Comme toutes les grandes villes, Lyon est facilement associée à différentes vertus. Capitale de la gastronomie, ville équitable et durable, ville lumière (eh oui Paris), ville de l’étudiant, ville de l’entrepreneuriat du patati et du patata. The Economist vient tout juste d’attribuer une place à notre terrain de jeu dans le top 30 des villes les plus agréables à vivre… au monde (!). Nous pouvons donc avoir quelques attentes, voire prétentions, lorsqu’il s’agit de « notre » rayonnement international. En l’occurrence, concernant cette rubrique, penchons-nous sur la situation actuelle et, pourquoi pas, projetons-nous dans le futur.
Nous nous posions déjà quelques questions il n’y a pas si longtemps : Lyon et les créateurs de mode.
Qu’en est-il en cette rentrée des classes, période propice aux bilans et plans d’action ?
Potentiel, mirage et immobilité
Forte de ses six écoles de mode dont une Université publique, Lyon promet, Lyon vend. Mais vend-elle uniquement du rêve ? En effet, le potentiel débordant ne se traduit pas par l’effervescence escomptée. L’on pourrait se demander où fuient nos designers, diplômes fraichement imprimés sous le bras.
Si quelques noms se détachent et sont plus qu’affirmés chez ceux de la Haute Couture (Nicolas Fafiotte est maqué avec Miss France, et tout roule pour Alexis Mabille, surtout chez les princesses des Émirats), quelles perspectives s’offrent à nos jeunes pousses ? Et comment s’en sortent les moins jeunes ?
Lyon, à l’instar du reste de la France, et conformément aux dispositifs de la Communauté Européenne, bénéficie de solides moyens et structures pour permettre à de jeunes talents de passer à l’activité.
Le secteur dit de la mode, lorsque l’on explore le site de la Chambre de Commerce et d’Industrie, compte plus de mille références en matière de création (incluant vêtements accessoires chaussures chapeaux, bijoux, lingerie, et même perruques !)
L’auto-entreprenariat (désormais micro), l’auto-emploi and co. ont explosé au cours des 5 dernières années. Quels sont les dommages collatéraux ? L’Union des Auto-Entrepreneurs dresse un portrait enthousiaste, s’appuyant sur des chiffres dépassant le million d’entreprises créées depuis 2009 dans toute la France .
Pourtant, le fait de devenir son propre patron ne garantit en rien la stabilité de l’emploi, ni le confort, ni le succès, ou la préparation à la retraite. En observant de plus près, au sein de la masse qui a allègrement plongé dans le bain des promesses d’essor, d’enrichissement et de self-made manitude, nombreux sont ceux qui déchantent… mais s’accrochent.
Certes, on nous facilite grandement la corvée, puisqu’il est possible d’obtenir des financements pour se perfectionner dans son propre domaine, puis apprendre à créer sa boite, la gérer et la promouvoir ; et enfin on nous prête même le stylo pour signer un micro-crédit, autre « solution » présentée comme manne incontournable. Toute une chaîne de montage qui mène à l’obtention d’un statut précaire, venant substituer l’autre statut précaire (mais moins classe) du demandeur d’emploi. Ou comme on dit aux US, l’entre deux jobs.
Que se passe-t-il une fois engagé avec soi-même et surtout avec ses créanciers ? Pour ce qui est des secteurs habillements, accessoires et bijoux, les néo business men/women sont contraints de multiplier les activités et ne comptent plus les heures de labeur. Ainsi, à moins de posséder un patrimoine et donc la garantie d’un bon nom de famille, il est courant que nos talents locaux et prolo soient forcés de brader leur art, ou de proposer des services extra, comme des ateliers, des rencontres, des super promo… Diversifications qui demandent à leur tour beaucoup de temps et qui éloignent des objectifs principaux. L’on entre vite dans la survie et la course au comment payer mon loyer en « trahissant » mon concept original afin de vendre sûr.
Autre handicap sur le territoire lyonnais, l’immobilier commercial.
Le parc immobilier offert par les dispositifs pour relancer l’économie n’est pas spécialement sexy, ou facile d’accès, ni même pertinent ou propice. Le design, l’habillement, le stylisme, ne s’épanouissent que dans un habitat bouillonnant. Or, avec la gentrification et le déclin du brassage lyonnais, s’il est facile de convaincre un public de banlieue de fréquenter des boutiques du centre ville, l’inverse est impossible. Pourtant c’est précisément en périphérie que l’on propose aux talents moins fortunés des locaux commerciaux à prix sacrifiés. Pas de place pour les banlieusard-es créatifs/ves donc, mais pour les banlieusard-es dépensier-es oui.
Peut-on dire bobo…
Quand on cherche des articles originaux en matière de stylisme, à Lyon, on pense immédiatement à la Croix-Rousse. On pense, de plus en plus, Village des Créateurs : association-locomotive de la créativité made in Lugdunum.
Comme vous le savez, en bons lecteurs d’Arlyo, suivre un mouvement sans esprit critique est impossible. Si d’une part le VDC irrite par la prétention et l’efficacité de leur com, il n’en reste pas moins un atout qui, une fois reconnecté avec la réalité, pourrait dénouer la situation locale. Il y a aussi la boutique VDC, qui propose tous les mois, diverses collections, de créatrices et créateurs adhérent-es.
En théorie, une mine d’or, une rampe de lancement pour nos artisans/entrepreneurs. Pourtant, à l’image du quartier entier de la Croix-Rousse, la paresse intellectuelle semble avoir largement grignoté l’aire d’activité.
En épluchant les différents CV, bio et communiqués de presse des designers mis en avant, (matériel disponible en boutique VDC), il semblerait que la tendance soit aux effets de manche, aux slogans et à l’attitude, mais pas à l’innovation. Certes, ces néo-marques bénéficient d’excellents services de webmaster qui savent à merveille broder des concepts et des identités plus ou moins convaincantes autour d’une originalité homologuée. Un oxymore malheureux mais qu’il serait dangereux d’ignorer.
Car nous lyonnais-es disposons d’excellents ingrédients. Les écoles, les talents, les moyens, la clientèle.
Pourtant nous nous retrouvons dans des atmosphères snobs et face à des articles proposés à prix fort, « faits-mains », comme des T-shirt made in Turkey sur lesquels on imprime un mot au pif. Seriously Lyon ?
…mais pas trop ?
Face à cette scandaleuse ambiance générale, qui consiste à vendre l’idée d’un produit plutôt qu’un produit de qualité et d’identité, quelques noms se démarquent. Nous irons les explorer, les interroger et pourquoi pas les taquiner (du moins pour ceux qui veulent bien répondre au téléphone).
Pour commencer, et par souci de fair-play, une marque lyonnaise lauréate du prix des Talents de Mode décerné par le VDC en 2009 et qui mérite une ola, aller, même deux.
Coupé Couzu propose « des patrons pour la couture, plus jeunes, plus tendance, plus simples à réaliser… et dans un esprit ludique et décomplexé. »
Le langage technique de la confection, comme tout langage technique, peut décourager les plus inventif/ves d’entre nous. La marque dont l’atelier se trouve juste au dessus du Passage Thiaffait, dépoussière, démocratise et vend pour pas cher des kits complets et détaillés pour réaliser soi-même des modèles. Il y a même une étiquette qui indique « cousu par moi-même ». On nous conseille aussi le type de tissus, et les possibilités de variation vont de la taille 36 à 44. La vente se fait par correspondance, livraison gratuite en métropole. Une communauté autant virtuelle que réelle s’est créée autour du concept. La marque organise des apéro-coutures, des apéros tout court, et propose un blog où les client-es s’expriment et s’exposent. Distribuée à l’international et auprès de plus de 25 points de vente, on peut s’attendre (mais pas trop longtemps quand même) à ce que l’on aille au-delà du 44.
C’est 100% lyonnais, c’est original et c’est imprimé sur du papier recyclé (youpi).
L’originalité, dans ce qu’elle implique d’honnêteté, d’innovation et donc de désobéissance, semble être justement l’élément indispensable pour assainir le marché, et réconcilier le public avec nos créateurs et créatrices locaux.
Lyon n’a pas seulement tout d’une grande ; elle l’est aussi, et devrait dépenser plus d’énergie que d’argent pour affirmer une identité courageuse, avec un passé prestigieux et un futur à la hauteur des titres dont on voudrait la vêtir.