Michel Butor, éminent homme de lettres français, est mort le 24 août dernier à l’âge de 89 ans. Ce poète, romancier, essayiste ou encore critique d’art, est à l’origine d’une œuvre prolifique. Il s’est notamment imposé comme une figure majeure du Nouveau Roman, dont il était le dernier représentant. Son décès apparaît comme une occasion de découvrir ou redécouvrir la notice biographique qu’il a lui-même rédigée.
« Chaque mot écrit est une victoire contre la mort » – Michel Butor, Entretiens avec Georges Charbonnier, 2009.
Quelques éléments biographiques
Né en 1926, Michel Butor grandit à Paris où il étudie la philosophie. Il passe toutefois l’année 1939-1940 à Évreux. Son premier roman, Passage de Milan, est publié en 1954 et La Modification dès 1957. C’est au retour d’un voyage aux États-Unis qu’il publie Mobile. Toute sa vie durant, il parcourt le monde, régulièrement invité à donner des conférences et à enseigner. C’est en 1990 qu’il emménage dans sa villa en Haute Savoie. En 2013, le Grand prix de littérature de l’Académie française lui est décerné pour l’ensemble de son œuvre. Il meurt le 24 août 2016.
Butor, son œuvre et son lecteur
On peut tout d’abord souligner que la carrière de Butor se distingue par sa fécondité et le fait qu’elle n’ait jamais été interrompue. L’homme de lettres a en effet signé 105 livres et pas moins de 55 critiques. Ses travaux ont contribué au grand renouvellement des formes romanesques. L’Emploi du temps (1956) et La Modification (1957) viennent ainsi bouleverser les rapports habituels entre écrivain et lecteur. Ce dernier est obligé à un décryptage et à une reconstruction du récit.
Michel Butor a tout d’abord échoué à obtenir son agrégation de philosophie. Il est malgré tout parvenu à devenir professeur de philosophie, de lettres et d’histoire-géographie dans l’enseignement secondaire, ainsi que critique littéraire. C’est à Genève, dans une chambre sous les toits, qu’a été rédigé La Modification. Ce livre, introduisant un monologue intérieur rédigé à la deuxième personne du pluriel, lui a permis de remporter le prix Renaudot. Il s’agit du récit d’un voyage en train de Paris à Rome. Un homme marié se rend en Italie pour y retrouver une maîtresse. Il souhaite qu’elle le suive en France où il compte enfin se séparer de sa femme.
De son côté, la série des « Répertoires », comportant plusieurs essais, fait figure d’œuvre critique majeure. Butor y questionne la posture du lecteur. Dans Répertoire II, qu’il publie en 1964, l’homme de lettres souligne : « on écrit toujours « en vue » d’être lu ». Pour lui, c’est la nature de cette relation entre auteur et lecteur qui va déterminer la valeur de l’œuvre. Une œuvre « commerciale » sera étroitement adaptée au public visé. L’œuvre de qualité, en revanche, dépasse son projet et son public. Il revient alors au lecteur d’être actif, de construire à son tour.
Le Dictionnaire des écrivains
Butor a rédigé sa propre notice biographique pour le Dictionnaire des écrivains de Jérôme Garcin. Il s’y intéresse à la tâche de l’écrivain dans une perspective très personnelle, voire intime. Son parcours et son rapport à ses travaux y sont évoqués : « Michel Butor a, paraît-il, beaucoup écrit, mais cela lui est toujours assez difficile. La plupart du temps il travaille beaucoup sur ses textes, les raturant, reprenant des dizaines de fois (…). Pourtant il lui arrive aujourd’hui, comme une espèce de prime après tant d’efforts, d’écrire soudain une page ou deux presque d’un seul coup, auxquelles il ne trouve plus rien à changer. »
Par ailleurs, Butor évoque les choix qui ont marqué son existence. En effet, il refuse rapidement de continuer à écrire des romans, pour se concentrer sur d’autres styles littéraires. Il se place alors dans un rapport de soumission à l’œuvre en se faisant le serviteur de sa propre plume. Ce sont les livres qui disposent d’un véritable pouvoir performatif. « Il aurait probablement pu gagner sa vie avec son écriture, mais il lui aurait fallu pour cela continuer à écrire des romans. (…) Ses livres en ont décidé autrement… »
C’est enfin le sentiment de dépossession que peut ressentir l’écrivain qu’il décrit. Au sein de sa génération, Butor est indéniablement, l’un des écrivains qui a le plus profondément remis en cause la notion d’auteur. Il questionne perpétuellement la nature de ce statut et fait état de la distance qui peut s’imposer entre ses textes et lui-même. « Il a parfois l’impression de lire l’œuvre de quelqu’un d’autre. Ces textes ne lui semblent guère plus siens que ceux d’autres auteurs qu’il étudie dans ses cours. »
La culture de l’inconnu
On peut finalement dire de l’œuvre de Butor qu’elle a été profondément impactée par ses voyages. C’est notamment avec un voyage en Égypte que s’amorce la période romanesque. Cette dernière s’achève avec sa découverte des États-Unis. Ces périples interviennent comme des moments de rupture ou de renouveau.
La vie de Butor est constituée de déplacements incessants. Il dispose d’une vraie capacité à observer et apprendre de différentes cultures. Il s’est aussi largement imprégné des lieux qu’il visitait. C’est sa curiosité débordante qui donne finalement à ses recherches leur dimension encyclopédique. Butor aspire à tout voir, tout comprendre. C’est une tension assez paradoxale qui semble exister entre les huis clos de ses romans et ses voyages. Il incarne une bipolarité entre grands espaces et situations étriquées. Butor dit lui-même écrire pour trouver une place à l’intérieur d’une société où il se sent perdu.
C’est son goût du voyage et de la découverte qui a animé Michel Butor jusqu’à la fin de ses jours. Il s’en est allé de découvertes littéraires en découvertes « tout court », avant de finir ses jours à l’hôpital de Contamine-sur-Arve. Sa notice s’achève d’ailleurs sur ces mots : « Il a une barbe depuis qu’il est grand-père. Il est toujours vêtu d’une salopette. Il vit dans un village savoyard au-dessus de Genève, et continue de courir le monde quand il le peut. » Ce 14 septembre, il aurait eu 90 ans.