C’est la deuxième année que le Musée des Confluences organise les Jazz Days, invitant un artiste à s’imprégner de l’ambiance du lieu pour proposer trois créations inédites. Le 26 avril dernier, Dhafer Youssef s’est emparé de l’auditorium, accompagné de Dave Holland à la contrebasse, pour emmener son public dans un voyage humain et onirique à la fois, avec le talent qu’on lui connaît déjà.
Dhafer Youssef jouait ce mardi sa première création inédite, intitulée « Voyage dans le Nouveau monde », au grand auditorium du Musée des Confluences, salle sobre et intimiste. Un homme en sarouel noir et chapeau plat, les yeux pétillants et un grand sourire sur le visage, entre en scène, suivi d’un monsieur fort distingué dans son costume gris clair, qui a l’air plus timide, mais tout aussi content. Dhafer Youssef et Dave Holland accueillent le public très simplement, prennent leurs instruments et entament alors un dialogue musical empreint de mélancolie, l’Oud ancestral répondant à la sage contrebasse.
Pendant plus d’une heure, les deux maîtres dans leurs domaines respectifs vont nous raconter les pays lointains qui nous deviendront familiers bien vite, les difficultés communes d’une Humanité bien diverse, la joie et la sagesse d’une vie simple. Tour à tour triste, enjoué, fort, tendre, le son est un mélange déroutant des traditions orientales et américaines, créant véritablement un nouveau Monde. On est à la fois en train de se balancer sur rocking-chair sous un porche en bois dans l’Amérique profonde, et en train de boire un thé à la menthe dans un décor de sable et de bâtisses d’un blanc aveuglant.
C’est l’histoire d’une Humanité qui a souffert et appris la sagesse. C’est l’histoire d’enfants qui font la course au bord d’une rivière. C’est le récit d’un voyage à pied interminable. Ce sont les paroles d’un sage bienheureux. Ce sont les hommes et les femmes, dans ce qui les unit tous et fait d’eux des trésors. C’est aussi et surtout l’histoire de deux musiciens qui sont heureux de jouer ensemble et de partager leur Art.
Bien que Dhafer Youssef soit le principal argument du concert sur le papier, c’est Dave Holland qui a la place de choix : il est l’invité de marque, celui à qui on donne tout. Dhafer Youssef n’a d’yeux que pour le contrebassiste, attend ses répliques, s’exclame lors de ses solos. Il effectue une sorte de danse de la joie continue, entre sautillements et sourires, et présente son acolyte avec une déférence non contenue, le définissant non pas comme un joueur, mais comme un chanteur de contrebasse. Et en effet, Dave Holland ne fait qu’un avec son instrument, et il a ici toute la place de montrer ce dont il est capable.
Dhafer Youssef a une technique vocale bien à lui : avec un geste presque dramatique, il porte la main à son nez, et peut ainsi monter dans les aigus, transformant sa voix en un son qui rappelle fortement l’harmonica. Son chant devient plainte androgyne. Quand il revient dans sa tessiture naturelle, la musique se fait plus enjouée.
Le plus surprenant fut sans doute la justesse des dosages, entre jazz original et traditions orientales, entre deux instruments (et deux hommes) bien différents. L’ensemble ainsi créé a réellement fait office de voyage vers un nouveau monde, où la musique reprend son rôle de langage.
Il est souvent de bon ton d’avoir quelque méfiance envers les concerts de jazz. Une tête d’affiche peut vous rassurer, mais même les plus grands s’embourbent parfois dans une technique parfaite et néanmoins vide de toute chaleur. Ou alors vous pourriez assister à une création originale qui se veut hors des cadres académiques, et tenter d’écouter une histoire que seuls les musiciens comprennent, leur musique étant devenue une cacophonie frustrante de déconstructions harmoniques. Mais ne vous méfiez pas de Dhafer Youssef, vous pouvez y aller les yeux fermés.