Le Comœdia lâche les chiens

La semaine dernière, le Comœdia mettait à l’affiche C’est eux les chiens. Un long métrage marocain réalisé par Hicham Lasri, sorti le 5 février dernier et très (trop) peu projeté en France malgré sa qualité évidente. Le Comœdia prolongera d’ailleurs sa diffusion sur le mois à venir.

Le film raconte l’histoire de Majhoul, un marocain arrêté en 1981 pour avoir manifesté lors de la révolte du pain et qui vient d’être relâché 30 ans plus tard. Suivi par des journalistes voulant faire un sujet sur lui, Majhoul redécouvre le monde et part à la recherche de sa famille…

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C’est eux les chiens est une claque cinématographique. Un road movie en plein dans un Casablanca chaotique, à l’image d’un personnage principal tout en contraste. Une production ultradynamique réalisée caméra à l’épaule dans lequel on s’abandonne à travers  le charme de l’histoire.

Ce film est puissant et secoue le spectateur en l’entrainant dans un pays en crise, mais aussi dans la quête mélancolique du passé de Majhoul (ex matricule 404). La caméra qui est un personnage à part entière nous plonge littéralement dans ce film et nous donne l’impression d’en faire partie. Le réalisateur la considère d’ailleurs comme un personnage féminin que chacun désire. Elle reflète aussi l’état d’esprit de 404 en alternant des plans très dynamiques avec des séquences plus longues et plus calmes qui permettent aux spectateurs de se reposer avant la prochaine course des protagonistes, toujours à 100 à l’heure. Ces différents rythmes permettent de mieux comprendre ce que ressent 404 qui oscille entre joie et déception. Passionnant, touchant, souvent drôle, l’ennui n’a pas sa place dans cette œuvre.

Malgré les limites imposées par la réalisation caméra à l’épaule, les plans restent extrêmement travaillés, ce qui donne un côté très esthétique. Des cadrages intelligents et de nombreux effets de lumière apportent une beauté surprenante à ce film, dépassant le simple reportage youtubien qui le caractériserait selon le cinéaste. De plus, la caméra à l’épaule permet de plonger le spectateur dans le doute : est-ce un documentaire ou une fiction ?

Un metteur en scène qui nous entraine dans son univers, son atmosphère. Celle d’un Casablanca déchiré par ces émeutes et parcouru par cette équipe toujours dans l’urgence. Magnifiquement mise en valeur par Hicham Lasri, la ville se révèle à nous à travers ses cafés, ses ruelles, son hammam… Il ne manque que les odeurs.

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Le film est aussi porté par Hassan Badida, l’interprète principal qui est un acteur de théâtre marocain avec une présence immense, beaucoup de charisme et une vraie gueule ! Il était déjà présent dans le premier film d’Hicham Lasri (qui aime travailler avec la même équipe) et vient de recevoir deux prix pour son rôle dans C’est eux les chiens.

Il incarne un personnage très attachant et tout en contraste. Au fur et à mesure, le spectateur en apprend plus sur cet homme et son histoire tandis que ce dernier réapprend à vivre et redécouvre ce monde dans lequel il a vécu. Un monde très différent et à la fois assez similaire, notamment en ce qui concerne les émeutes (raison de son arrestation en 1981) qui sont présentes dès sa sortie en 2011. Voir Majhoul découvrir le monde technologique qu’il ne connait pas donne aussi lieu à des scènes très drôles, comme lorsqu’il découvre les SMS ou les jeux sur smartphone. Ses retrouvailles avec son grand pote, l’alcool, sont aussi un moment de pur bonheur, le tout accompagné de guitaristes jouant l’air du film Délivrance (1972).

Les autres personnages sont eux aussi très attachants et à l’égal de 404, ils évoluent et grandissent tout au long du film. Cette équipe de télé plutôt loufoque se laisse entrainer et nous entraine dans l’histoire de Majhoul : une histoire dans laquelle apparait une multitude de petits protagonistes. Des apparitions, elles aussi très drôles, qui permettent au réalisateur de donner la parole au peuple marocain sur les questions politiques.

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Bien que considéré comme tel, ce n’est cependant pas, à proprement parler, un film politique. Hicham Lasri se sert de la situation politique en tant que toile de fond à son scénario plus centré sur l’histoire de 404 et sur les dérives des médias. Des médias très présents dans ce film (avec l’équipe de journalistes, la radio…) qui dénonce la corruption de ces derniers et leurs liens avec le pouvoir. Le réalisateur dira d’ailleurs dans une interview accordée à Courrier international que l’information est « une arme pour endormir le peuple, pour l’agresser et pour lui balancer de l’intox ».

Évidemment, la politique est très présente à l’instar du premier long métrage du cinéaste (The End sorti en 2011) qui s’inscrit dans le contexte de la mort d’Hassan II. Mais cela n’en fait pas une œuvre coup de poing pour autant et le discours reste en effet assez consensuel, plutôt classique. Hicham Lasri ne se risque pas à une critique ouverte du gouvernement (ou alors par le biais de quelques personnages secondaires) et n’apporte pas un regard nouveau sur ces événements ou sur ceux de 1981.

On sort cependant de la salle avec l’envie d’en savoir plus sur les émeutes du pain et sur le printemps arabe au Maroc. Un film que la rédaction vous conseille fortement et qui mérite sa place dans les salles françaises, autant pour le message qu’il véhicule que pour l’histoire touchante et la réalisation survitaminée.

Au Comœdia le jeudi 20 et le samedi 22 février.