Lumière. Une musique digne d’un polar des années 70 résonne.
Un banc. Nous sommes devant une école, une école pour jeunes filles. Le décor ainsi planté, voici nos protagonistes qui s’approchent. Un homme vêtu de chaussettes, de bottes, visiblement dépourvu de pantalon et habillé d’un imperméable vient. Puis un autre homme vêtu exactement de la même manière que ce dernier arrive.
Qui sont-ils ? Pourquoi sont-ils en ce lieu ? Drôle d’accoutrement pour un tel endroit, non ? Que de questions se bousculent dans nos têtes de spectateurs à cet instant, et dont certaines nous poursuivent jusqu’aux dernières minutes de cette intrigue.
Dans cette pièce, La Secrète Obscénité de tous les jours présentée du 6 au 8 février à la MJC Laënnec-Mermoz, la seule certitude que nous avons est qu’une chose étrange est en train de se passer…
Toutefois, une question persiste et surplombe toutes les autres : que sont-ils venus faire devant cette école pour jeunes filles ?
Deux hommes affublés d’imperméables. Des jambes nues à découvert qui insinuent une absence de pantalon pour l’un comme pour l’autre. Ajoutons à cela, leur présence devant une école d’enfants. La réponse est toute prouvée… des exhibitionnistes !!
Une discussion s’entame entre ces individus ou plutôt une joute verbale commence. Ils se disputent ainsi le même banc devant cette école, à ressort d’arguments exposant leur légitimité sur ce lieu pour leur activité un tantinet amorale ! Tout en guettant les alentours et déviant de leur conversation, dès qu’ils entendent et aperçoivent un danger quelconque par crainte d’être découverts. Aussi au premier abord, nous pouvons présumer que cette œuvre est une parabole présentée comme la déchéance et la perversion morale de l’être humain d’aujourd’hui. Mais vraisemblablement pas tout à fait, au vu du reste de l’histoire à venir.
Ainsi, d’une ambiance parfois lourde de cette confrontation qui se joue devant nos yeux, le spectacle balance avec une ambiance drôle carrément décalée et burlesque. Dès lors, d’étranges exhibitionnistes, les deux hommes se muent en clowns déployant un arsenal de pitreries avec notamment un numéro de funambules agiles ou encore l’utilisation du fameux gage des tartes à la crème.
Aussi, ces deux hommes tout d’abord anonymes à leurs débuts, nous deviennent de plus en plus familiers jusqu’à ce que nous nous demandions si dans un sens, nous ne les connaissons pas. Nous sommes en présence d’un certain S.F et un certain Karl aux identités troubles.
À ma droite, le dénommé S.F intéressé par l’hystérie féminine et les névroses de tout un chacun. À ma gauche, un homme nommé Marx qui possède une aversion pour le capitalisme et les petits bourgeois, et prône le collectif à l’instar de l’individu. Après ça le résultat s’affine, les deux protagonistes qui se disputent sous nos yeux semblent être Karl Marx et Sigmund Freud. Effectivement, vous avez bien compris Karl Marx et Sigmund Freud, les auteurs illustres respectivement de Das Kapital. Kritik der politischen Ökonomie (1867) à savoir Le Capital. Critique de l’économie politique et Die Traumdeutung (1900), c’est-à-dire L’Interprétation des rêves.
Les deux hommes s’affrontent pour un banc, mais sur bien des choses encore, particulièrement sur le terrain des idées et théories qui les animent avec vivacité et finesse d’esprit. Alors, ces personnes antithétiques se querellent sur l’histoire, l’homme et le développement des individus influencés par la sexualité et/ou la société. Les ardents discours évoqués par ces deux hommes disposent toutefois d’une certaine poésie et tendresse l’un pour l’autre. Ainsi, naîtra une amitié entre ces deux êtres humains à première vue incompatibles tant par leurs classes sociales, leurs théories et les idées. Marx se faisant même un plaisir d’être psychanalysé par le grand Freud. Quant à ce dernier, il récitera le discours sur l’Internationale ouvrière prononcé par Marx lors d’une conférence à Londres en 1864 qui l’exalte énormément. Ils termineront même par danser un slow sur la BO du film La Boum.
Derrière la rencontre cocasse de ces hommes ayant marqué l’histoire, une farce se joue. L’auteur chilien de cette pièce, Marco Antonio de la Parra, nous expose un morceau du Chili et de ses heures sombres. Ainsi, l’évocation des méthodes de torture d’un ex-patron et la méfiance des personnages l’un envers l’autre, se demandant si l’autre n’est pas au service du pouvoir ou de la répression, traduisent la suspicion et le règne de la peur concordant à l’ère Pinochet. Ajoutons à cela le rappel par l’auteur, par le biais de ces personnalités, d’arrangements ou de petites lâchetés faites par des personnes renommées ou non qui ont fermé les yeux parfois, paralysées par la violence et la cruauté de l’époque, devenant malgré elles complices. Nous sommes également face au traitement de l’instrumentalisation et l’appropriation des figures de l’histoire et de leurs idées aux périodes sombres de l’histoire par certaines autorités. Ainsi, nos deux hommes par moments frustrés face aux événements et à la dépossession de leurs idées osent sortir du statut dans lequel ils ont été placés et sont prêts à tout, même commettre l’irréparable devant cette école dans un final explosif.
Toutefois, cette adaptation par la compagnie l’Apropos fait un traitement léger et n’exploite pas encore assez cette thématique politique de la dictature chilienne en approfondissant. Cependant, la légèreté a aussi du bon et donne un résultat assez plaisant.