Ubu roi (ou presque), mis en scène par Christian Schiaretti, au Théâtre National Populaire (TNP), nous plonge dans l’univers d’Alfred Jarry, dramaturge de génie, ayant inspiré l’intelligentsia surréaliste.
Si la pièce créée en 1896 offre des résonances avec l’époque médiévale, entre capitaine des dragons, famille royale polonaise et armée russe, elle fait, sans aucun doute, écho à notre société, grâce au texte ultra moderne de Jarry, mis en lumière par la mise en scène pleine d’anachronismes de Christian Schiaretti.
Lorsque l’on arrive dans la salle, les yeux sont immédiatement attirés vers le plateau, où les rideaux sont restés ouverts : amas de terre, « merdre », multitudes d’objets disséminés aux quatre coins d’une scène surchargée. Un capharnaüm joyeusement ignoble : le ton est donné.
Si le personnage d’Ubu est souvent dépeint comme ignoble, lâche et cupide, on le retrouve ici, personnifiant l’immaturité et le totalitarisme d’un enfant à qui on aurait confié les pleins pouvoirs. Poussé par la mère Ubu, qui a soif de pouvoir, Ubu se transforme sous nos yeux, en un monstre de cruauté, exécutant sans remords tous les habitants de son royaume. Il emprunte à la Reine de Cœur de Lewis Caroll sa démesure meurtrière, condamnant à mort nobles et magistrats par le simple usage de ces mots « Dans la trappe ! ».
Schiaretti transmet le génie de Jarry qui, avec Ubu Roi (ou presque), s’inscrit dans cette dynamique soulevée par Rimbaud, du rôle de l’artiste comme éclaireur de son temps : « Le poète se fait voyant par un long, immense et déraisonné dérèglement de tous les sens. »
Pourtant, si l’accent est mis sur le personnage éponyme, on ne saurait voir en la mère Ubu autre chose que la véritable héroïne de la pièce. Interprétée par Elizabeth Macocco, ce personnage de Reine-Mère, insuffle puissance et dynamisme à la pièce. Tantôt manipulatrice, tantôt cupide et cruelle, c’est elle qui pousse Ubu, à l’assassinat du Roi de Pologne. Puis le personnage s’étoffe, on découvre alors cette ambiguïté latente, entre désir de richesse et sagesse politique.
« Le mauvais droit ne vaut-il pas le bon ? », c’est autour de ce questionnement formulé par le Père Ubu que s’articule la mise en scène. Ou ce souci de faire de cette représentation un miroir tendu à notre société contemporaine, abordant les maux universels de la folie humaine : guerre, pouvoir, désir, mensonge et manipulation politique. Une résonance qui prend tout son sens aujourd’hui. L’exercice du pouvoir et ses affres sont ainsi dénudés, tout au long de la représentation.
Pourtant, à aucun moment la mise en scène ne tombe dans le pathos ou le drame, au contraire Schiaretti use de finesse en proposant une version où le grotesque est porté à son paroxysme. En effet, Ubu Roi (ou presque) s’inscrit dans un modèle rabelaisien, cher à Jarry. On retrouve alors un grotesque magnifié par la musique et les décors.
Car l’originalité réside dans la transposition de la pièce en une sorte de comédie musicale, étonnante tant elle sert avec justesse les propos de l’auteur. Ainsi, les scènes sont agrémentées de musiques et de morceaux chantés et dansés par les comédiens. Une rencontre éclectique entre Anders Nilsen et les Chœurs de l’armée rouge, ou quand l’absurde devient esthétisme.
La musique est prégnante tout au long de la pièce, avec les compositions de Marc Delhaye, qu’il interprète sur scène, sorte de personnage à part entière. Ainsi, au fil des actes, les numéros se succèdent, allant de la Chanson des Galopins à la fameuse Chanson du Décervelage. Un réel travail de composition donnant une dimension esthétique et joyeuse à la pièce.
L’actualisation ne passe pas seulement par l’écriture de Jarry, mais par tous les anachronismes (visuels ou textuels) glissés par Schiaretti au fil des actes. On retrouve ainsi des références à des sujets d’actualités, à travers un portrait de Depardieu en chapka et manteau de fourrure, une allusion à des « trésors off-shore », des portraits de politiciens lors de l’une des scènes d’exécution…
La mise en scène impose une réflexion sur la dénaturation ou la modernisation de l’œuvre. En effet le parti pris du metteur en scène, insérant des digressions tout au long de la pièce, peut paraître surfait. Néanmoins, la réflexion ainsi que l’élégance du jeu, porté par les neuf comédiens, transfigure cette œuvre, parfois trop mise de côté.
Encore une fois, Schiaretti s’inscrit dans un refus d’un théâtre d’élite, faisant d’Ubu roi (ou presque) une comédie musicale joyeusement ignoble, prenant à parti les spectateurs et les délivrant d’un rôle passif, trop souvent concédé.
Crédits photos Michel Cavalca TNP
Ubu roi (ou presque) – Alfred Jarry – Fatrasie collective
Du mardi 26 au vendredi 29 avril
Du mardi 31 mai au vendredi 10 juin 2016
Au Théâtre National Populaire
8 Place Lazare-Goujon, 69627, Villeurbanne.
Site web : http://www.tnp-villeurbanne.com/
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