On le sait et on fait semblant de rien, les messages publicitaires nous narguent depuis toujours. Placer les complexes dans la tête du consommateur, afin qu’il/elle achète le dentifrice ou le yaourt qui sauve la vie et rend heureux/se, à l’abri du cholestérol, des pellicules et dans la célébration d’un ego dénaturé.
Depuis quelques années, à image du greenwashing qui consiste à mettre du vert plein les packaging pour faire croire que les produits sont bio et 100% pas chimiques du tout, on assiste à une fausse propagande de tolérance envers les « grandes tailles ».
Quelle est réellement la place du public non anorexico-normé en matière de stylisme ? Sommes-nous en train de vivre une ouverture vers la représentativité des physiques moyens (mais néanmoins dignes) ; Quelle est l’offre à disposition des gens que l’on a retranchés dans des catégories extra-ordinaires ? Y a-t-il une vie après la taille 40 ?
De qui se moque-t-on ?
On estime que 45% des français-es sont en situation de surpoids (30%) et obésité (15%). Se basant sur l’Indice de Masse Corporelle (IMC), les conditions « d’anormalité » sont définies par les indices dépassants des moyennes, calculées en rapport poids/taille. Un tiers des français-es est également insatisfait de son poids, par là même, de son volume. Beaucoup de chiffres, peu de sentiments. Sans ignorer évidemment que l’obésité n’est pas une partie de plaisir, ni un choix esthétique, nous ne pouvons douter qu’une personne sur trois ait le droit d’exister, et, pour ce qui intéresse cette rubrique, de se looker. Ces morphologies différentes sont une réalité, néanmoins, sous-représentée ; voire, très mal représentée. Ainsi, l’absence totale de figure lambda entre le clown et l’hyper sexualisée nie, et méprise, la quasi totalité du public en question.
Qu’en est-il de celles/ceux qui ne sont pas malades, mais ne sont tout simplement pas concerné/es par le diktat des mensurations ? Certes, on entend parler de célébrer les différences, notamment côté poids avec la présence de « mannequins normaux ». Lacoste fut pionnier il y a 10 ans déjà en proposant un spot avec un homme tout nu mais pas musclé (mais quand même tout nu) pour un parfum. Dove également, avec ses femmes dites rondes, qui ont le droit de se laver comme toutes les autres… (les hommes gros, eux, ne se lavent pas, c’est connu). D’ailleurs, comme dans l’industrie de la mode, les hommes sont peu présents. On ne nous montrera pas d’homme bedonnant ou asthmatique, tout comme on refuse le droit d’exister aux hommes asiatiques dans les films pour ado/adultes. On ferait donc de l’être-gros, une caractéristique de bonne femme, qui n’est tolérable que si elle se prête à être objet. Petite illustration ici :
https://www.youtube.com/watch?v=BxT7pKJdpZo
Petit bijou intitulé « Plus Size Woman Makes Three Guys Lose Their Damn Minds »
Une femelle pour trois mâles, comme d’hab, qui n’a que son curve pour se défendre ; musique d’ambiance softporn ; une allégorie lubrique assez triste avec un tube de crème solaire qui explose… Les protagonistes hommes sont évidemment tous hétéro-normés, musclés et pas spécialement variés dans leurs couleurs de peau respectives.
Et quand la grosse n’est pas à disposition pour un accouplement relativement consenti, elle est forcément caractérielle et belliqueuse :
Ici, Rick Owens, pionnier de l’anti-fashion, avec ses walkyries de podium…
Lyon, complice du fat-shaming ?
La réalité locale semble aller de pair avec les habitudes et l’imaginaire collectif. Lyon, qui bâtit sa réputation sur un rayonnement gastronomique indiscutable, ne semble pas être une ville pour les gros/ses. Peu fat-friendly, voire pas du tout, à l’instar du reste de la France, et comme dans d’autres domaines, l’écart se creuse sur le terrain des classes. Ainsi, notre métropolis, jolie mais pas jojo, n’offre que deux enseignes se voulant expertes des « grandes tailles ». Autre point important, les noms avec lesquels on tourne autour du pot. N’est-il pas ridicule de noyer un poisson aussi apparent, et au demeurant, merveilleux ? Gros n’est pas un gros mot, contrairement à « grande taille », « taille forte », et d’autres euphémismes inutiles qui, au final, manifestent une pitié envers les indigents de la condition pondérale. On ferait une faveur aux gros/ses avec des termes qui soulignent le caractère exceptionnel, hors norme, d’une stature.
Côté offre commerciale lyonnaise, nous constatons donc une pénurie favorisant le mouvement de masse. Pas de quartier pour les XL, ou les over 40. Sans oublier le fait que les tailles des articles sur le marché sont calquées sur des standards asiatiques, donc plus petits que la réalité. Les deux boutiques précédemment citées, qui ne méritent pas franchement publicité, proposent des motifs incertains à mi chemin entre carreaux et animalier, des couleurs peu flatteuses, ou, à l’opposé, des coupes et des tons qui évoquent le deuil. RIP porte-monnaie, les codes du marché me disent de payer plein pot pour me couvrir, ou au contraire, me déguiser. Cache-toi pauvre gros. Et c’est ce qu’on attend de ce public là. Sois rigolo-te ou sexuellement comestible, et tais-toi. Auprès des enseignes cheap, celles qu’on connaît tous, il semble qu’au delà du faux Large, les personnes doivent se saucissonner de force dans des tenues impitoyables.
Petit témoignage de Charlène, une chère lectrice, à ce propos.
Alors déjà je dirais que l’offre pour les grandes tailles est bien réduite. Il y a pas mal de boutiques en ligne, mais moi j’aime pas, parce que je préfère essayer les fringues avant des les acheter.
Chez H&M avant ils ont cru bon de baptiser un rayon Big is beautiful, au cas où on oublierait que c’est possible, au cas où ce serait trop dur d’aller dans ce rayon, pour nous donner du courage, pour pas qu’on aille se suicider après avoir vu le peu d’offre de fringues exposées dans ce mini rayon (c’est ironique d’ailleurs, plus on est gros, moins on a d’espace dédié)
Pour résumer, l’offre de boutiques est vraiment moindre. Et encore parmi cette offre il faut compter les magasins de vieilles grosses où même les vieilles grosses ont pas envie d’aller.
Parce que les enseignes ou boutiques qui offrent des coupes sympas, c’est encore plus réduit. H&M font des efforts, et c’est là que je m’habille maintenant. Kiabi aussi, ou La Halle, où il y a aussi des coupes sympas, à côté de coupes qui donnent la gerbe.
On l’aura compris, l’offre est ridicule, non seulement on subit une discrimination instituée mais en plus on subit une ségrégation. Hé oui, on a notre propre rayon, on est pas des Femmes, on est des Grandes Tailles (ça vaut pour les hommes aussi hein). Si cette distinction n’est pas d’une violence inouïe, je sais pas !
Moi je voudrais juste des fringues sympas, qui me ressemblent (du peu que j’ai vu des boutiques en lignes sympas, c’est super girly, et moi c’est pas mon style le super girly), pas trop chers, pourquoi on a des fringues différents ? Parce que faut des coupes qui cachent, qui rabotent, qui donnent l’illusion de. Mais qui trompe t-on ? Et dans quel but ?
Puis après sur le fait d’être gros de façon générale, on subit une put*** d’hypocrisie et plein de remarques, très souvent, sans que les personnes qui nous entourent s’en rendent compte.
Par exemple quand untel parle d’une personne qu’il a pas vue depuis longtemps, et que cette personne a pris du poids, c’est la première chose qui sera rapportée « euh il a vachement grossi! » So what ? C’est juste ça que t’as remarqué ? Ou une fois une amie qui monte sur l’arrière du vélo de son chéri, qui dit qu’il va avoir du mal à rouler, et l’amie qui répond « dis tout de suite que je suis grosse ! »
Les gens, enfin certains hein, ont beau s’insurger contre le fat shaming, en vérité, personne n’a envie d’être gros.
Et je ne suis ni curvy, ni généreuse bon sang, je suis grosse et ce n’est pas une insulte !
Fat Pride, l’extra large pour tous
La solution, face à ce racisme corporel, vous l’aurez devinée désormais, se trouve dans l’action commerciale. Lève-toi et boycott.
Aux États-Unis dans les années 60, la National Association to Advance Fat Acceptance, organisait des Fat-in, où des gros-ses tenaient haut des portraits d’actrices telle Sophia Loren, icône décomplexée du cinéma et des glucides.
De ce mouvement naissent des sous-groupes, notamment une branche féministe, Fat Underground, dont l’un des slogans fut « le régime est une cure pour une maladie qui n’existe pas ». Toute proportion gardée évidemment, être différent-e, nous le savons bien, n’est effectivement pas un syndrome.
Entre manifs, poèmes, et autres publications, une activiste de la première heure, Carole Shaw, lance le gimmick Big Beautiful Woman, qui sera aussi le nom d’un magazine mode et actualités pour les femmes au dessus de la moyenne. Le magazine cesse d’être publié dans les années 90, mais les revendications perdurent, proportionnellement aux humiliations.
Passant d’une réaction intello, à une action bien plus concrète, des groupes de pression naissent et prennent puissance depuis une dizaine d’années. Ainsi, le phénomène backlash, autrement dit, utiliser tous les moyens possibles pour dénoncer et contrer une mode, a permis de remettre en avant cette tranche très importante de la population que l’on voudrait paradoxalement rendre invisible. Le gros est fainéant, le gros n’est pas productif, le gros est irresponsable, la grosse est maternelle, accueillante, rigolote.
Autant de clichés véhiculés par de grandes marques, dont certaines plus que centenaires. Comme par exemple, Abercrombie & Fitch, brand connue déjà pour sa politique si particulière quant à l’embauche et aux conditions de travail. Chez ceux-là, on punit à coup de pompes pour les gars ou squats pour les filles (évidemment) des employé-es qui oseraient gagner du poids comme il arrive souvent chez les humains. Leur PDG, Mike Jeffries, a déclaré la guerre aux physiques communs en criant haut et fort que sa marque ne concerne « que des gens cool, maigres donc beaux ». Idem pour Victoria’s Secret dont la conception du perfect body s’apparente à un spot pour le mouvement pro ana. On pourrait citer d’autres grandes marques, populaires ou haute couture, qui toutes refusent le droit d’exister à un modèle de consommation qui ressemblerait plus à nos miroirs qu’à nos écrans.
Il faut savoir que chaque backlash a pour effet la baisse d’au moins 10% du chiffre d’affaire de chaque société attaquée, non pas en justice, mais directement à la gorge. Encore une fois, si l’on insulte l’intelligence des consommateurs/rices la meilleure réponse reste simplement de fermer son portefeuille.
En somme, ne cédons pas à la culpabilisation en croyant que nous appartenons à la mauvaise époque, et que Botero nous aurait aimé-e-s pour ce que nous sommes réellement. Revendiquons plutôt le droit de marcher le double menton haut sans rentrer son ventre.