C’est un tonnerre d’applaudissements qui a accueilli William Friedkin au hangar historique de l’Institut Lumière jeudi dernier. Fidèle à son caractère cinéphile et bavard, ce dernier s’est livré, pour le plus grand plaisir des spectateurs, à une longue présentation en amont de la projection de son film Sorcerer. Arrivé la veille, le cinéaste s’est montré très présent durant ce Festival, jamais à court d’anecdotes, il a assuré la présentation de la nuit consacrée à ses films, ainsi que la traditionnelle leçon de cinéma donnée à la Comédie Odéon.
Durant cette présentation, animée par Thierry Frémeaux, le cinéaste s’est montré généreux et volubile, racontant son vécu de spectateur et sa vision du cinéma actuel. Citant volontiers André Bazin, il s’est dit heureux et ému de se trouver sur les traces des frères Lumière et de tant d’autres cinéastes dont les œuvres ont traversé son cinéma. À la question de Thierry Frémeaux qui lui demande s’il a aimé travailler dans le Hollywood des années 70, 80, et s’il aurait aimé faire partie de celui de l’Âge d’Or, il répond :
« L’Âge d’Or d’Hollywood c’était les années 30,40, 50 ; mes films favoris, ce sont les comédies musicales de cette époque : Singing In The Rain, The Band Wagon, Gigi, An American In Paris. Je n’aurais pas aimé être en plein exercice du cinéma aujourd’hui aux États-Unis. André Bazin s’est demandé : « Qu’est-ce que le cinéma ? » Et je pense que la question mérite d’être reposée aujourd’hui. À l’époque, l’éventail des films qu’il était possible de faire aux États-Unis était très large, aujourd’hui il s’est extrêmement restreint, aux Blockbusters notamment. Et je pouvais voir tellement de films français, allemand, japonais… et aujourd’hui on ne peut voir que quelques films étrangers et les catégories cinématographiques sont limitées. La pellicule est pour ainsi dire morte. Et j’ai bien du mal à trancher, si c’est le public qui adhère à cet état de fait où si c’est ce que les studios le forcent à accepter. »
Sincère et passionné, le réalisateur (manifestement épris de Minnelli !) s’est également dit ému de voir projetés ensemble son film Sorcerer et celui qui l’a inspiré, Le Salaire de la Peur d’Henri-Georges Clouzot, au sein d’un même Festival.
« Je venais de faire l’Exorcist et la French Connection et je pouvais faire à peu près ce que je voulais, j’aurais pu filmer le Bar Mitzvah de mon neveu, et ce serait très bien passé ! » William Friedkin
Sorcerer : infernal convoi
« Je considère Le Salaire de la peur d’Henri-Georges Clouzot comme l’un des plus grands chefs-d’œuvre du cinéma. C’est aussi à l’origine un excellent roman de Georges Arnaud. Et il m’a semblé intéressant pour le public américain qui n’avait pas accès à l’œuvre de Clouzot, de créer une œuvre originale totalement différente avec de nouveaux acteurs, de nouveaux décors, mais qui s’inspire tout de même du travail d’Arnaud et Clouzot. » Ainsi William Friedkin introduit-il son rapport à Sorcerer qu’il considère comme le film étant le plus proche au visionnage de la vision qu’il en avait.
Malheureusement, le film à sa sortie ne rencontre pas son public, la faute à Georges Lukas dont La Guerre des Étoiles sort la même semaine et polarise toute l’attention ! Sorcerer est de ces tournages dont on aime raconter l’histoire tant ils sont une aventure en eux-mêmes. Steve McQueen, Robert Mitchum et Lino Ventura se désistent tous, laissant place au casting éclectique et surprenant que l’on connaît. Les conditions de tournage en République Dominicaine sont particulièrement complexes, la question de l’unité des plans au montage final pousse Friedkin a imposer un rythme de tournage profondément éprouvant à son équipe et ses acteurs.
Sorcerer démarre dans la frénésie du film chorale, avec la trajectoire de trois truands, qui se rejoignent finalement dans la chaleur et la moiteur d’une raffinerie de pétrole d’Amérique du Sud. La seule manière de fuir cet enfer sera d’accepter une mission impossible, conduire deux camions remplis de nitroglycérine à travers la jungle. Friedkin avec Sorcerer signe un grand film à suspense aux effets spéciaux spectaculaires (on pense notamment à la traversée du pont suspendu, devenu une scène culte). La bande originale du groupe Tangerine Dream nous hantera longtemps l’esprit, nous ramenant sans cesse à cette image iconique d’un camion dans la nuit dont les phares s’allument, comme les yeux d’un monstre, prêt à foncer dans l’obscurité.
La Chasse : cuir, queer, et petits meurtres à New-York
Ce Festival mettait également à l’honneur un autre film « maudit » de Friedkin. Le réalisateur décide de filmer la réalité d’un milieu, celui des bars gays sadomasochistes new-yorkais, et d’en faire la toile de fond d’une fiction policière. Évidemment tout ne se passe pas comme prévu ! Les relations avec Al Pacino sont difficiles sur le tournage, l’acteur allant jusqu’à renier le film à sa sortie. Le film provoque la colère du milieu gay new-yorkais qui ira jusqu’à perturber le tournage. Censuré à sa sortie, le film de Friedkin, presque 40 ans après, conserve toujours un fantastique goût d’audace et de subversion.
Alors qu’un mystérieux meurtrier, à l’allure des égéries de Tom of Finland, sévit dans les night-clubs gays de New-York, un jeune flic en quête de promotion est choisi pour le traquer, car possédant le physique type des victimes. Voilà donc Al Pacino, tout en cuir et jean, rasant les murs de la ville nocturne, dévoré par le regard des hommes qu’il croise dans les parcs et les night-clubs. Le travail des couleurs et de la lumière n’est pas sans rappeler celui de Dario Argento dans ses films les plus iconiques.
Et c’est comme si ce milieu agissait physiquement sur le personnage d’Al Pacino, qui devient de plus en plus trouble et troublé au contact de ce milieu. La scène finale souligne avec brio le génie du suspense de William Friedkin : rentré chez lui après que l’affaire soit close, Al Pacino retrouve sa petite amie. Alors qu’il se rase dans la salle de bain, elle essaie la tenue qu’il a laissé sur le sofa, une casquette et un blouson de cuir, les mêmes que ceux de l’assassin. Regard d’Al Pacino au miroir, générique de fin.
Laurine Labourier