Vendredi 18 mars, au théâtre Kantor de l’École Normale Supérieure de Lyon, se jouera L’École des femmes de Molière, dans une version « historiquement informée ». Au programme : costume d’époque, diction et gestuelle restitués, intermèdes musicaux… ArlyoMag vous encourage à saisir cette chance de vous glisser dans la peau d’un spectateur de 1662, et vous en dit plus sur le projet, grâce aux éclairages précieux de Bénédicte Louvat-Molozay.
Si la France possède un âge d’or du Théâtre, il s’agit sans doute du XVIIème siècle. Corneille, Racine, Molière… Sous le règne de Louis XIV, le genre théâtral ne gagne pas seulement ses lettres de noblesse, il fournit également à notre langue ses plus grandes pièces classiques. Souvent lues, bon-gré mal-gré, à l’école, les Phèdre, Cid, et autres Fourberies de Scapin laissent parfois un goût amer… et pour cause ! Que valent quelques répliques sur du papier, face à une pièce mise en scène ?
Seulement voilà, réussir à assister à une mise en scène « classique » de ces chefs-d’œuvres relève de l’exploit. Et si nous n’avons rien contre les réinterprétations souvent virtuoses de nos metteurs en scène contemporains (on est moins indulgent quand ils font des coupes dans le texte, mais c’est une autre histoire, et un autre article), force est de constater qu’en transposant Dom Juan à Brooklyn, on perd un peu en authenticité. Pour être clair, on peut adorer West Side Story (ou Las Vegas) et quand même tenir à découvrir un jour une version plus « historique » de Roméo et Juliette.
Eh bien, c’est possible ! Pas avec du Shakespeare, mais avec l’École des femmes de notre Molière national, représentée dans une version « historiquement informée », ce vendredi 18 mars, à 20h30. Bénédicte Louvat-Molozay, maître de conférences à l’université Paul Valéry de Montpellier et initiatrice de toute la démarche, a accepté de répondre à nos questions.
Ce projet de monter une pièce du XVIIème (le siècle de spécialité de cette chercheuse passée par l’ENS) n’est pas apparu soudainement. Il s’est imposé par étapes successives, et comme Bénédicte Louvat-Molozay nous l’explique, il s’agit avant tout d’une collaboration :
« Tout a commencé par un projet autour des « sons du théâtre » monté avec un collègue musicologue, Xavier Bisaro, au début des années 2010. »
Un projet qui l’amène par la suite à travailler avec l’actrice et metteuse en scène Anne-Gersande Ledoux autour d’un atelier de déclamation baroque, avant la rencontre déterminante de deux Suisses : Olivier Bettens, historien de la déclamation (dont le site Virga.org est passionnant), et l’organiste Pierre-Alain Clerc, lors d’un stage, à l’été 2013, d’une école thématique du CNRS, intitulée « Les sons de la déclamations théâtrale au XVIIème siècle ». Entourés d’une dizaine de chercheurs en différents domaines, l’idée devient alors de jouer quelques scènes de L’École des femmes de la manière la plus historiquement réaliste. Un retour aux sources qu’il s’agit de contextualiser :
« Que ce soit en termes de jeu, de prononciation, de gestes de civilité, rien n’est certain à cent pour cent. Notre travail, qui s’appuie sur des traités de rhétorique comme ceux réunis dans l’anthologie de Sabine Chaouche (Le Faucheur, Bary, Grimarest) pour le jeu de l’acteur, ou celui de Bacilly pour la prononciation, est un travail fait de choix et de décisions. »
À titre d’exemple, et pour les initiés, précisons par exemple que le choix d’une diction « baroque », comme Eugène Green ou Benjamin Lazar en ont fait leur spécialité, n’a pas été retenue. Pour la plupart des lecteurs à qui cette distinction ne dit rien du tout, retenez simplement que le texte sera parfaitement intelligible, même si la diction risque d’en intriguer plus d’un, ce que notre spécialiste tempère rapidement :
« Les changements qui peuvent le plus surprendre le public contemporain ? Cela dépend des spectateurs, mais je dirais la prononciation, essentiellement. En tout cas dans un premier temps, mais oui, c’est peut-être le plus bizarre avec les « oi » qui se prononce « oué » et le roulement des R. Il y aussi le jeu frontal (les acteurs parlent en direction du public), mais ce ne sont que de petits décalages, le tout est suffisamment cohérent pour que, passé le premier quart d’heure, on s’habitue. »
Ainsi, depuis ses balbutiements, le projet a pris une ampleur que même ses créateurs ne soupçonnaient pas, jusqu’à donner cette version intégrale de L’École des femmes, créée pour la première fois au Conservatoire à rayonnement régional de Paris, en octobre 2015. Un travail acharné d’une poignée de passionnés, et qui commence à prendre son envol : la troupe est attendue à Boulogne le 8 avril, à Montpellier le 4 mai, à Chambéry et en Suisse l’an prochain.
Comme nous le confirme Bénédicte Louvat-Molozay, le temps et l’argent investis sont considérables. Les costumes d’époque seront l’une des nouveautés de la représentation lyonnaise. Confectionnés sur mesure par la costumière parisienne Delphine Desnus, associée à Mickaël Bouffard, docteur en histoire de l’art, ils ont pu être financés grâce à la donation d’un mécène. Autre nouveauté lyonnaise : les intermèdes musicaux, joués à chaque fin d’acte, et interprétés le 18 mars par les musiciens du CNSMD (Conservatoire National Supérieur Musique et Danse) de Lyon. Le projet connaît-il enfin son aboutissement ?
« À un moment, on s’est dit : cela peut s’arrêter à chaque instant, on aura quand même amassé une grande somme de connaissances. Mais on continue par plaisir et parce qu’il est apparu nécessaire d’aller jusqu’au bout de l’entreprise. Du point de vue de la musique et des costumes, on peut parler d’aboutissement oui, il resterait à travailler sur les éclairages et le décor, qui posent des problèmes financiers, ainsi que de sécurité pour le premier (éclairages à la bougie) et de logistique pour le second. Mais la volonté d’aller au bout est là. »
Cette démarche d’une mise en scène historiquement informée nous semble tellement légitime que nous avons interrogé Bénédicte Louvat-Molozay sur son absence à plus grande échelle. Pourquoi les metteurs en scène ne vont-ils pas aussi à la recherche de cette forme plus authentique qui pourrait trouver son public ?
« C’est une source d’interrogation quotidienne ! Pourquoi toujours privilégier une archi-lecture du texte ? La mise en scène est héritière des conceptions d’Antoine Vitez ou Bernard Dort qui théorisent le théâtre comme un art de l’ici et maintenant. Une pièce du passé n’a pas de sens en soi, mais seulement si elle dit quelque chose d’aujourd’hui. C’est une conception qui se respecte, mais elle bloque une partie de la recherche et de la mise en scène. Les musiciens n’ont pas ce problème. Ils se replongent plus facilement dans le passé pour comprendre les partitions, les instruments d’époque et retrouver le son. Le texte dit aussi quelque chose par lui-même. Notre travail rompt par exemple avec une vision contemporaine (d’abord romantique) du personnage d’Arnolphe, touchant, à la limite du tragique. Il est l’instigateur d’une histoire sordide, et est clairement ridiculisé par Molière. »
Bénédicte Louvat-Molozay, comme beaucoup des chercheurs qui ont travaillé sur le projet, tient également un rôle dans la pièce. Une double casquette d’universitaire et de comédienne qui nous a intrigués. Car au final, est-ce la passion qui sert le travail ou l’inverse ?
« Les deux ! Je ne voulais pas être simplement observatrice, je voulais aussi jouer, pas seulement par goût du jeu, mais pour expérimenter les vertus de la recherche appliquée. On peut lire des centaines de pages de traités théoriques… à mon sens, il faut absolument les expérimenter pour véritablement comprendre de quoi il est question. »
Une vision que la rédaction d’ArlyoMag ne peut que partager ! Nous vous donnons donc rendez-vous le 18 mars, pour une représentation qui ne manquera pas de faire date…
L’École des femmes, de Molière, au théâtre Kantor de l’ENS (métro Debourg)
Vendredi 18 mars, 20h30. Durée : 2h15
Représentation gratuite dans la limite des places disponibles, réservation (importante !) auprès de Michelle Rosellini : michele.rosellini@ens-lyon.fr