L’institut d’art contemporain de Villeurbanne accueille une collaboration inédite et inattendue. L’artiste brésilienne Maria Thereza Alves rencontre l’artiste américain Jimmie Durham. Les deux plasticiens, connus à l’international, ont des approches différentes de l’art. Leurs esthétiques, pourtant, se croisent et se recroisent comme un dialogue visuel. Les thématiques se rejoignent avec évidence ou avec étonnement. Le sujet qui les rassemble du 2 mars au 27 mai à l’IAC est « la Méditerranée ». Sujet aussi ambitieux que prometteur, l’exposition The Middle Earth est la première étape sur cette thématique.
La Méditerranée est un fantasme plus qu’un territoire. Le terme a une si grande connotation historique, artistique, et politique qu’il est très complexe de travailler sur la question et de surprendre le visiteur. Ce dernier s’attend forcément à croiser différentes notions et représentations dans l’exposition. De Homère aux migrants, les grandes thématiques ne sont pas exploitées simplement en allusions ni de manière stérile mais les grands thèmes de la méditerranée apparaissent de manière intelligente et moderne.
L’espace redessiné
Ce n’est pas dans un musée que le visiteur déambule mais bien dans un laboratoire. L’espace de l’exposition coïncide avec l’espace de la terre du milieu. Divisés en 11 salles thématiques, Les objets se succèdent et ne se ressemblent pas. Les Plantes vertes de Maria Thereza Alves succèdent aux pierres bleues de Jimmie Durham. L’ethnographie se mélange à l’archéologie et à l’anthropologie.
L’absence de cartels nous fait douter en permanence de la nature des objets exposés. L’art contemporain est défini en partie grâce à sa place dans le musée et grâce aussi aux codes qu’on y accorde. Le visiteur reconnaît d’abord les conventions d’expositions pour reconnaître ensuite une œuvre d’art. Or, si on enlève les étiquettes, comment reconnaître l’œuvre d’art ? C’est là tout l’intérêt de la scénographie pensée par les deux artistes. La confusion entre objet archéologique, objet naturel, documentation anthropologique et objet d’art.
Tout au long de l’exposition, des phrases en latin et des illustrations scientifiques sont collées aux murs. Ces fausses documentations nous perdent plus qu’elles nous renseignent. La science, ici a valeur d’art et l’art a valeur de science. Comme un parcours initiatique, le visiteur déambule dans une encyclopédie artistique. L’exposition n’a de scientifique que la forme et d’artistique que le fond.
La salle 1 : nourriture et musique est une excellente introduction. Elle nous accueille dans un espace de doute. Araignée de Maria Thereza Alves sont des chaises très designées en acier. Les chaises sont faites pour s’asseoir, pourtant, une œuvre d’art n’est pas créée pour être utilisée. Alors : doit-on s’asseoir dessus ? Personnellement, je n’ai vu aucun visiteur les utiliser comme tel mais je reste persuadé qu’il fallait s’y asseoir. Dans la même salle, sont exposées des tables en bois verni sur lesquelles sont présentées des olives et des pois chiches. Peut-on en manger ? Et que faire de la musique qui tourne en fond ? Est-elle présente pour documenter l’atmosphère méditerranéenne, ou participe-t-elle à l’installation artistique ? Les sculptures qui suivent achèvent de perdre notre réflexion. Des objets trouvés de Maria Thereza Alves, des plantes vertes et une vénus à la coquille du IIe siècle avant notre ère, se confondent.
L’histoire repensée
L’espace du musée, ce n’est pas seulement l’espace spatial mais également un espace temporel. The middle earth raconte l’histoire de la Méditerranée. Elle raconte les mythes qu’elle a accueillis, de Homer à Moïse. Les 11 salles portent les grands noms des âges anciens de l’humanité. L’écriture, le verre, le silex, le fer… On voyage ainsi dans l’espace de la Méditerranée et dans l’Histoire de celle-ci.
Le Hall nord se consacre particulièrement au mythe des sirènes. C’est une pièce vaste qui n’accueille qu’une seule oeuvre et peu d’éléments : We Know Everything That Happens Over All The Generous Earth. (Nous savons tout ce qu’il advient sur la terre féconde). Une sculpture chimérique en terre nous rappelle ces espèces hybrides entre la femme et l’animal. La présence du son, également, nous inquiète et nous fascine. Sortis du fond de la pièce, les cris sourds nous invitent à nous approcher tel le chant des sirènes. Au mur, une aquarelle de Maria Thereza Alves fait directement écho au chant 12 de L’odyssée, l’épisode célèbre de Ulysse contre les sirènes. Au-dessus de nos têtes, suspendue à un fil fragile, une patte d’oiseau en verre nous rappelle la menace de ces créatures. Ce hall est une vaste allégorie de la mythologie homérique et nous fait vivre un aspect de la Méditerranée, celui de la poésie, de l’épopée et du voyage des héros.
L’actualité requestionnée
On ne peut pas aujourd’hui parler de la Méditerranée sans avoir en tête les images tragiques des migrants échoués sur les plages. C’est avec ces références que l’on comprend la salle 6. Elle occupe une place particulière. Sans nom, au milieu de la visite, et isolée des autres salles par son niveau sous le sol. Elle nous montre Mediterranean Sea, installation des deux artistes. Elle étale autour de nous des déchets et des poubelles entravées. Au centre de la pièce bleue, un baril de pétrole rempli d’eau. On comprend alors la poignante métaphore. On devine ce que symbolise les rebus, échoués sur le sol quand la mer se retire. Témoignage des désastres écologiques et des désastres humains.
Les deux artistes sont militants chacun à leur échelle. Marie Thereza Alves est elle-même migrante. Elle a fui le Brésil de la dictature de Castel Branco. Elle a connu la marginalisation de l’establishment à New York. Elle s’est engagée dans de nombreux partis politiques et écologiques. Elle est co-fondatrice du Partido verde et investie dans le Partido dos Trabalhdores. Jimmie Durham est aussi un militant originaire de New York, il représente l’International Indian Treaty Council pour les droits des Peuples Indigènes. Marqués par leurs engagements politiques, respectifs ils collaborent ensemble à cette installation inédite.
Des esthétiques recomposées
L’exposition est aussi le lieu d’un dialogue poétique. Une rencontre entre un artiste collectionneur et minéral avec une artiste créatrice et organique.
Les végétaux sont pour Maria Thereza Alves l’allégorie humaine. On retrouve à travers la croissance d’une plante, l’évolution de l’Homme. Tout au long de l’exposition, le visiteur se confronte à des espèces très différentes d’arbustes. Autant d’espèces que d’identités. Autant de formes que de visages. Hall sud, intitulé plantes semble le plus correspondre à l’esthétique de l’artiste brésilienne. Comme dans une serre, sous les baies vitrées du musée, grandit Chanson Florale. Un panorama d’essences florales zigzague dans la pièce. En fond, des noms d’arbres sont prononcés en latin.
Juste avant, la salle silex correspondait plus à l’esthétique de Jimmie Durham. Se rapprochant plus de l’art minimal et de l’arte povera, ces compositions laissent leur chance aux objets bruts, à la forme simple, au hasard et au commun. Une pierre trouvée par terre, un caillou à la couleur étrange ont leur place comme objet d’art. L’œuvre Durham’s Flint Tool Collection, nous fait partager la collection de silex de l’artiste.
Pourtant, si l’exposition joue avec ces contrastes forts entre les deux artistes, elle crée aussi un vrai dialogue et fait émerger une troisième identité artistique. Les phrases latines et les extraits d’encyclopédies anciennes collés au mur tout le long de l’exposition et la scénographie en général nous fait partager cette collaboration.
Découvrez la Méditerranée poétique, rêvez, imaginez, revisitez. Visitez Middle Earth comme vous visiteriez les grands vestiges antiques, les pyramides d’Egypte ou le Parthénon d’Athènes. Vous croiserez peut-être Ulysse dans un cheval de bois.