Projeté en exclusivité lors du festival Lumière en Octobre dernier, le dernier film de Steven Spielberg, The Fabelmans, prouve que le réalisateur a encore des choses à raconter au-delà de l’aspect du “faux biopic”
Tout commence par un déclic, le jeune Sam Fabelman se rend au cinéma avec ses parents qui appréhendent sa réaction au vu de son jeune âge. Une projection de film plus tard, partagé entre fascination et frayeur, la rétine du jeune garçon sera marquée à jamais par ces images. Bien plus qu’une passion, il décide d’en faire sa future carrière.
Son père ingénieur et sa mère ex professeur de piano (parfaits Paul Dano et Michelle Williams ), ses deux sœurs, leur oncle Bennie (Seth Rogen, impeccable et remarquable) devront alors vivre au gré des promotions du père et des déménagements de ce dernier et de sa famille, mais aussi pousser le jeune Sammy à poursuivre son rêve de réaliser des films, et ce peu importe les épreuves familiales que le jeune garçon et sa famille devront traverser au fil du temps.
Après un détour vers le remake fantasmé de son enfance, West Side Story, Steven Spielberg et Tony Kushner (Scénariste également de Lincoln et Munich) décident de raconter non pas un biopic standard, mais un faux biopic pour ainsi parler de ce que Spielberg sait faire de mieux, le pouvoir de l’imagination et de la création ainsi que celui des images et du cinéma en lui-même.
Jusque-là habitué à des registres plus sombres en tant que scénariste (Poltergeist, A.I, Rencontres du 3e type, Les Goonies et même… la saga de jeux vidéos Medal of Honor), il décide de montrer une facette encore rarement vue, aussi bien intime et mélancolique, sur une peinture familiale sur le point de se briser, comme souvent évoqué dans sa filmographie (on pense à Arrête-moi si tu peux) mais surtout, chose plus étonnante, une pure comédie dramatique empruntant les travers du Teen-Movie pour mieux en exposer les mécanismes au service de son récit à travers le portrait du jeune Sam adolescent (la révélation du film, Gabriel La Belle, mais également sa version plus jeune, Matteo Francis- De Ford)
Du déraillement ferroviaire au déraillement familial.
Toute la première partie suit le jeune Sam, voyant son hobby prendre une place de plus en plus considérable au sein de la cellule familiale, le poussant à exprimer son génie (les impacts de balles du western, les sœurs changées en momie avec le papier toilette) tandis que quelque chose coince dans la relation entre les Fabelmans et l’oncle Bennie, jusqu’à cette scène magnifique du feu de camp avec la danse de sa mère devant les phares de la voiture, et comment le pouvoir de l’image va alors servir de miroir déformant et confronter Sam à la réalité d’une façon extrêmement dramatique.
Le pouvoir des images…pour se confronter à la réalité.
Et c’est à ce moment-là que le film bascule, oscillant le temps d’un rêve prémonitoire vers un basculement prophétique, et mettant le protagoniste face à la plus grande décision de sa vie : Prendre conscience des sacrifices que va lui imposer sa passion, le temps d’une séquence de discussion avec un oncle revenu du passé.
Et tout le deuxième acte jusqu’au départ en Californie fera basculer le parcours et les choix du jeune Sam, donnant ainsi raison à l’avertissement du rêve prémonitoire de sa mère, elle-même victime et coupable de cette trajectoire que prendra la contamination de la vérité et de la réalité sur les images filmées par son fils. Au départ pour le nier, et ensuite y faire face en se confrontant à ses peurs via ce que sa propre caméra a capté dans une magnifique séquence de film de guerre amateur.
Il en est de même dans le troisième acte du film, où le jeune Sam se fait brutaliser à causes de ses origines juives et se voit confier, en tant que jeune cinéaste, le soin de filmer un week-end à la plage pour les élèves de son lycée, et ainsi pouvoir exercer un contrôle de la réalité via le pouvoir des images, en transformant son agresseur en héros solaire et charismatique dans les images idéalisées par le jeune Sammy.
Les premiers émois adolescents amèneront également le jeune Sam à comprendre la cruelle vérité du monde, au regard de ses origines juives mais également par sa rencontre avec sa première petite amie, Monica, dans une séquence hilarante de justesse où Sam sera face aux convictions religieuses très appuyées de la jeune fille (superbe séquence de la chambre).
Poursuivre ses rêves peu importe les épreuves à la limite du méta…
Et il en sera ainsi dans le dernier quart d’heure, avec sa rencontre fantastique entre le jeune réalisateur et son idole Howard Hawks (David Lynch, magnifique et hilarant), dans laquelle le parallèle Sam Fabelman/Steven Spielberg s’établit dans un plan méta où la mise en scène devient vecteur de sens au détour d’un ultime gag visuel totalement inattendu pour conclure le film.
Ne se cachant pas derrière l’aspect “biopic” pour éviter une redite et réflexion de sa propre carrière de manière un peu trop didactique (Ready player one et le bon gros géant le faisait déjà), Steven Spielberg signe surtout un feel good movie doux amer sur le pouvoir de la création et la réflexion des conséquences sur le quotidien.
Bien que servi par une mise en scène discrète mais en retrait pour toujours mettre ses personnages en avant, entre lumière et ombre, rêves de grandeur et rupture brutale vers la réalité, le réalisateur nous apprend à toujours garder espoir et à ne jamais se décourager, quitte à faire face à soi-même pour vivre de sa passion.