Stylisme ostentatoire et guerre des images. Nous évoquions il y a quelques articles de cela, une hypothèse selon laquelle la décision de couvrir son corps serait aujourd’hui un acte des plus rebelles. Contemplons celle-ci de plus près.
Qui porte quoi, pourquoi et comment? Peut-on, sans finir au tribunal, dissocier réellement la soutane du moine? Quelle place pour l’expression individuelle et l’appropriation de l’image de chacun-e?
Aux Etats-Unis on envisage la possibilité d’avoir une présentatrice voilée aux commandes d’un JT d’une grande chaîne généraliste, qui ferait son boulot comme n’importe quel(le) autre de ses collègues, Noor Tagouri. Cette dernière ambitionne de suivre les pas d’une consœur, Mnar Muhawesh, première journaliste voilée à l’antenne, sur une chaîne américaine du câble en 2009. Qu’en est-il de l’Hexagone où l’on est plutôt pris d’une obsession grandissante doublée d’une amnésie (sélective?) ; une duplicité dont il y a tant à débattre. Et donc écrire, et donc ici.
Nous vivons une époque où, revenant d’assez loin, il est désormais probable de rencontrer un banquier avec une coupe iroquoise, une nounou tatouée, un agent d’accueil piercé. Cette même époque cependant, est aussi celle des hystéries ponctuelles, autour d’habits, coiffures ou bijoux qui sèment la panique car associés à une agression, une propagande, une menace.
Laïcité, fantasmes, héritages du colonialisme.
En avril dernier, à Charleville-Mézières, la jeune Sarah est refoulée à l’entrée du collège car elle porte une jupe trop longue. L’incident n’est pas le premier, on en dénombre plus de 130 pour l’année 2014.
Quelques semaines auparavant, à Montpellier cette fois-ci, plusieurs jeunes filles se retrouvent également soupçonnées de prosélytisme et condamnées d’un seul coup d’œil, plutôt arbitraire. Toutes, comme le veut la Loi, retirent leur voile avant de franchir le seuil de leurs établissements respectifs.
« Pourtant la marque de la jupe, c’est Kiabi » a déclaré la maman d’une des jeunes montpelliéraines, et non Kouachi Brothers (ajoute le rédacteur d’Arlyo).
Tapage médiatique de circonstance, chacun voyant l’électeur/trice à sa porte, apportant l’eau à son moulin (c’est pour mieux te noyer mon enfant) bref passons.
Echo, émulation, et dépassement, la même chose se produit il y a quelques semaines en Belgique.
Des jeunes filles portant des jupes à caractère terroriste, organisent un sit-in, qui se transforme en stand-up du directeur de l’école.
On le voit ici, rappeler le règlement intérieur de l’établissement qu’il dirige. Sa motivation est donc d’appliquer les consignes dont il est garant.
Curieusement la liste de vêtements prohibés est assez exhaustive et ne concerne que des tenues couvrantes, non moulantes, et peu eurocentrées…
Du côté des adultes, souvenons-nous que les textes n’interdisent aucune tenue au sein des universités.
En ce qui concerne le monde du travail en revanche : bienvenue en schizophrénie.
D’un côté nous avons l’affaire de la crèche Baby Loup, crèche privée qui a décidé de licencier une employée, adoptant ainsi les réglementations du secteur public concernant le contact avec des enfants de moins de 6 ans. Lois censées protéger la neutralité d’opinion des petits, appliquées ici pour les faire vivre dans une bulle aseptisée où les différences ne sont pas traitées mais censurées. Curieusement, sur le trajet maison-école-maison, pour la même tranche d’âge, aucune loi n’empêche l’affichage publicitaire à caractère sexiste/raciste/spéciste.
D’un autre côté, au sein des collectivités, personne ne s’offusque de la présence de femmes de ménage voilées, ni d’agents d’entretien particulièrement barbus. On y serait même plutôt accoutumé-es, vous reprendrez bien un peu d’orientalisme ?
Ainsi donc sous couvert de laïcité, vocable fourre-tout, n’a-t-on pas généré un contre-culte sévère, ironiquement dogmatique en soi?
Pourquoi les messages qui nous arrivent par toutes sortes de moyens et véhicules, opposent les concepts de liberté/pudeur, nudité/intégrisme, égalité/amalgame ?
Qui a réellement peur de son propre corps, et de sa propre image?
Les secteurs de services concernant enfants et adolescents ne devraient-ils pas favoriser l’expression des différences, éduquer les regards à une variété de formes, couleurs, longueurs, afin de se concentrer sur l’individu à qui l’on a à faire plutôt que sur les volumes de tissus?
Hier encore : 1896, un musulman en robe au Parlement.
Philippe Grenier, médecin natif de Pontarlier, se convertit à l’Islam en 1894, et est élu député deux en plus tard. Il entre ainsi au Parlement, vêtu comme les musulmans d’Algérie qu’il a côtoyés au cours des 10 dernières années : turban, cape et gandoura. Ses convictions religieuses étaient explicitement mentionnées dans son programme politique durant la campagne des législatives.
Peut-on envisager aujourd’hui une telle carrière pour quelqu’un-e aussi ouvertement affiché-e (quel que soit son bord politique)? Quand on pense que sur les 30 dernières années le look le plus contesté a été le costume Thierry Mugler à col mao de Jack Lang, alors Ministre de la Culture, on pourrait penser que non. Mais pas seulement pour cause de séparation religion(s)/État. Car si la carrière politique de Grenier débute une décennie avant la loi de 1905, les courants philosophiques qui ont mené à cette même loi, ont également inspiré les Pères Fondateurs des Etats-Unis, (…pays où exercent Noor et Mnar, vous suivez ?)
D’où nous viennent cette susceptibilité et cette psychose autour du concept de « tenue ostentatoire » ?
Peut-on réellement dessiner un contour, et imposer une garde-robe type, en fonction des lieux et métiers? Et, puisque de simples écolier-es sont également touché-es, qu’en est-il des civils? Poussera-t-on la dérive paranoïaque jusqu’à créer une autorité chargée de vigiler aux mœurs vestimentaires?
Il s’agit probablement là d’un prétexte pour continuer à éviter les discours de fond. Pourquoi donc s’acharne-t-on à soupçonner un choix de tenue comme manifestation d’une tentative d’atteinte à la liberté d’autrui. Il est clair que l’on vise des populations précises, plutôt que des styles.
Mais quand les styles se brassent au sein de groupes d’individus qui dépassent leurs ethnicités respectives ; qui saurait distinguer un turban Sikh d’un look babacool ?
S’agit-il donc d’une guerre implicite à coup de fringues ? N’y a-t-il pas un risque à prendre au sérieux ? Cette stigmatisation prend facilement la jeunesse en otage. Il n’est pas rare que les motivations quant au choix d’un hijab ou d’un sarouel parmi les catégories les plus en colère de la population, soient les mêmes que pour un blouson noir dans les années 1960, une crête dans les années 1970, une collection de piercings dans les années 1980. De nos jours, proportionnellement à la radicalisation des discours politiques et publicitaires, les réactions des publics s’exaltent. Le style comme place virtuelle où se tiendrait une manif : le camp de l’exhibitionnisme, inculqué et rabâché comme ultime forme de liberté d’expression s’opposerait au camp d’une conscience du corps et de la gestion de sa visibilité …sans pour autant avoir d’agenda intégriste à cacher.
Détendons-nous et admettons que nous sommes coincés dans des problématiques stylistiques dignes du XIXème siècle. Il y a encore des populations eurocentrées qui peuvent, et les autres qui doivent en permanence se justifier, de la moindre coupe afro ou bout de tissu, que ce soit pour honorer des ancêtres, ou bien pour ressembler à Johnny Depp dans Pirates des caraïbes.
Pour finir, gardons toujours en mémoire qu’en fonction du porte-feuille et de quel coté de la caisse l’on se situe ; un-e terroriste peut facilement porter un tailleur ou un costard cravate au design innocent.