Comme chaque année depuis maintenant 37 ans, se tenait à Villeurbanne la semaine dernière le Festival du Court Métrage. L’occasion de découvrir des courts métrages venus de toute l’Europe et de profiter des diverses soirées thématiques proposées aux spectateurs. Cette année, le Festival a consacré une soirée à l’artiste plasticienne Ulla Von Bradenburg, dont la projection des œuvres était suivie d’un deuxième programme expérimental intitulé « Cinéma feeds cinéma ».
Ulla Von Bradenburg est une artiste allemande qui aime travailler l’art sous toutes ses formes. Qu’il s’agisse du dessin, de la peinture, du film, de la performance ou d’installation plastique, sa démarche se construit en lien avec la littérature, l’architecture, l’histoire du cinéma et le théâtre. Ainsi, le Festival présentait lors de cette soirée 7 films en noir et blanc et un en couleurs, presque tous tournés en 16mm. Au travers de ces huit films tournés entre 2005 et 2016, se dessine petit à petit une véritable proposition esthétique et scénographique de l’artiste.
L’œuvre de Von Bradenburg
Tout d’abord, la caméra tourne autour des corps qui restent fixes et l’empêchent de pénétrer la communauté qu’ils forment (Around). Puis la scène du théâtre devient le motif d’un jeu entre cette immobilité des corps que la caméra embrasse dans un long travelling latéral (Schlüssel). Dans 8, la caméra traverse les pièces et couloirs d’une maison, embrassant les corps vides de ses occupants ; déjà se dessinent des motifs symboliques chers à Ulla Von Bradenburg : la clé, le rideau de théâtre, le fils malade. Enfin, les corps s’animent alors que la caméra tourne autour d’eux, traversés par le chant de la voix de la réalisatrice que chacun de ses personnages incarnent. Le fils malade revient à la vie (Singspiel).
Dans The Objects, qui nous évoque immanquablement cette tradition de l’objet fétiche au cinéma, la caméra embrasse en un plan séquence unique des objets mouvants, vivants sans présence de l’homme. Avec le court métrage suivant, on bascule dans une forme de conte chanté. Dans une forêt, un couple et un homme et une femme se tiennent, qui chantent, qui échangent une parole à travers des voix qui ne correspondent pas à leur genre (Chorspiel). Finalement, avec Die Strasse, on semble arriver à l’aboutissement du projet de Von Bradenburg : les corps sont mouvants, l’espace s’est ouvert, la famille est devenue communauté, unie par les rites partagés.
Coup de cœur
Le dernier court métrage présenté au Festival, It has a Golden sun and an Elderly Grey Moon, marque une évolution profonde dans l’œuvre de l’artiste. En effet, même si elle n’a pas obtenu le prix Marcel Duchamp cette année, Ulla Von Bradenburg livre avec cette œuvre un hommage vibrant aux avant-gardes cinématographiques et picturales. Ici, les corps deviennent tâches de couleurs, ils s’animent sur l’espace vierge du décor comme s’ils composaient une toile. Ainsi, l’artiste nous ramène au projet des avant-gardes futuristes, dadaïstes, expressionnistes : mettre la peinture en mouvement par la forme et la couleur pour ramener l’art à une expression pure.
La pellicule ronronne
Le second programme proposé par le Festival nous amenait à une réflexion sur l’image et notre qualité de spectateur. En effet, le nom de «Cinéma feeds cinéma » cachait un programme de courts métrages reposant uniquement sur l’utilisation de fragments exogènes de films. L’occasion de rappeler que le montage, ici l’agencement d’images hétérogènes, peut créer de véritables chocs esthétiques et politiques.
Alors que les spectateurs rentrent dans la salle, tous s’arrêtent pour jeter un coup d’œil à la curieuse boîte de métal qui trônera toute la séance au milieu d’eux. Ils n’ont, pour la plupart, jamais eu de projecteur dans la salle avec eux, et encore moins entendu la pellicule défiler pendant la projection. C’est donc un parfum de nostalgie, et des souvenirs de vieux films en noir et blanc qu’a réveillé le ronronnement paisible de la pellicule qui nous a accompagnés tout au long des projections en 16mm des courts métrages.
Le montage, un acte de création
Seul le premier, Film quartet/polyframe d’Antoni Pinent, était projeté en 35mm ainsi que le très beau Cut d’Anita Thacher dont la copie 16mm n’a pu être obtenue pour le Festival. Le film d’Antoni Pinent surprend par la grande variété des sources filmiques (Un chien Andalou et Singing in the rain apparaissent brièvement) et le mixage de l’image et du son qui travaille sur la vitesse et la saturation visuelle et auditive. Anita Thacher va travailler le montage comme véritable motif esthétique en utilisant des caches de différentes formes géométriques qui créent des coupes à l’intérieur même du cadre et changent la compréhension de l’histoire.
On retrouve cette idée dans Safety Film d’Hans Scheugl, lequel choisit de jouer sur les textures négatives et positives de l’image pour donner un nouveau rythme au western. Dans Her fragrant emulsion de Lewis Klahr, le montage est utilisé pour symboliser l’obsession du réalisateur pour l’actrice Mimsy Farmer. Ici, l’accumulation d’images révèle la figure sensuelle de l’actrice, à la fois intime et inaccessible pour Klahr. C’est une autre atmosphère qui se dégage de Conference de Norbert Pfaffenbichler, qui mobilise le montage successif de 65 apparitions jouées d’Hitler au cinéma, de la parodie au cinéma-réalité. Enfin, The color of love de Peggy Ahwesh transforme le matériau du film pornographique à travers un travail chimique sur la pellicule qui fait surgir une poésie inattendue.
Deuxième coup de cœur
Shooting Blanks de Mike Hoolboom et Shawn Chappelle, et Home Stories de Mathias Müller, qui proposent chacun à leur manière une utilisation du montage qui nous amène à réfléchir sur l’image.
Dans Shooting Blanks, on se trouve directement confronté à notre passivité vis-à-vis des images. Dans la première partie du film, la voix d’Hoolbloom raconte des souvenirs sur fond noir. Puis les images apparaissent soudain et viennent agresser l’œil à la faveur d’un montage d’images de guerre et de pornographie. Alors on réalise que le plus déroutant pour nous, c’était d’être privés d’images et non d’être confrontés à une accumulation d’images violentes. Ainsi, Shooting Blanks nous interroge sur notre rapport aux images et nous invite à devenir un spectateur actif.
Enfin, dans Home Stories, le montage fait succéder des plans mobilisant les mouvements identiques d’actrices hollywoodiennes dans différents films. Le travail colossal de recherche du réalisateur magnifie la figure de ces actrices tout en créant un profond suspens par ce redoublement des mouvements qui guettent la menace du hors-champ.