À l’occasion de son prochain spectacle bilingue français/LSF, Si je suis de ce monde, nous avons rencontré la comédienne et metteur en scène Anne de Boissy. Elle fait partie des neuf co-directeurs du collectif les TROIS HUIT, et nous raconte son travail artistique et linguistique au cœur du Nouveau Théâtre du 8ème.
Tombée très jeune dans le monde du théâtre, c’est à sa création, en 1992, qu’elle intègre le collectif, ce qui ne l’empêche pas de participer à de nombreux autres projets. En découvrant NELKEN, spectacle de Pina Bausch mêlant la langue des signes française (LSF) à la danse, Anne de Boissy décide d’intégrer cette langue à son travail artistique. Une langue au paradoxe intéressant, puisqu’elle est officiellement francophone depuis 2005, et pourtant largement inconnue des français.
Un projet artistique, linguistique et politique
Anne de Boissy nous avoue s’être lancée dans ce projet en toute innocence, ne se rendant pas compte qu’une langue implique une culture et une communauté. Ignorante de l’histoire violente de la langue des signes, elle était loin de s’imaginer ce qu’elle fera vivre aux sourds en s’appropriant leur langue, alors qu’eux-mêmes n’y ont pas suffisamment accès. Comme si ça ne suffisait pas, elle obtient facilement des subventions spécifiques à la création et à la langue des signes, quand les sourds, eux, n’accèdent qu’aux financements liés au handicap. Une question se pose alors : comment faire pour que les artistes sourds aient accès à un espace de création en parité avec les entendants ?
Un spectacle ou les deux langues sont à égalité sur scène, et dans les gradins
Le processus de création suit une ligne éthique étroitement liée à la langue. Anne de Boissy a délibérément choisi de ne pas apprendre la langue des signes, pour ainsi se retrouver dans la position des sourds au quotidien. Toutes les traductions de texte sont faites par des personnes sourdes. Une entendante de haut niveau en langue des signes, Géraldine Berger, est sa partenaire sur scène, et interprète la partie de la pièce en LSF. Il était très important pour eux de rester au plus proche de la culture de chaque langue, en évitant les arrangements scéniques qui nuiraient à la compréhension.
Dans son nouveau spectacle, Si je suis de ce monde, Anne de Boissy s’attaque à la poésie d’Albane Gellé. Un art difficile à comprendre pour les entendants comme pour les sourds. Mais l’objectif n’est pas de niveler les langues pour rendre les textes accessibles, mais bien d’en creuser les difficultés pour faire du théâtre.
Du théâtre tout public ?
« Les sourds sont gourmands de théâtre. », nous affirme Anne de Boissy. Il y a peu de théâtre en langue des signes. Peu de spectacles, donc peu de spectateurs, et fatalement, peu de critiques. Il s’agit donc, pour elle, d’une mission de service public.
Dans ses spectacles, nulle allusion au handicap. La raison : les sourds font partie de ce monde et s’intéressent à tout. Ce n’est pas parce qu’on s’adresse à un public sourd que l’on doit parler de surdité. Le mot handicap n’a sa place nulle part car les sourds ne se considèrent pas comme handicapés. Comme exemple, le festival Regard d’Avril : un festival bilingue, et non pas un festival avec accès handicapés. Dans les spectacles d’Anne de Boissy, on retrouve cette équité sur le plateau, ou l’accessibilité à la langue se fait au centre, et non pas dans un coin de la scène.
Où se cachent les artistes sourds ?
Il existe deux compagnies de comédiens professionnels en France : la compagnie ON OFF à Lyon, et la compagnie d’Emmanuelle Laborit à Paris.
De nombreux artistes sourds jalonnent la France, mais peu sont reconnus comme professionnels car ils ont peu d’espaces pour se produire, et il n’existe aucune école de théâtre pour sourds. Tout reste à faire, mais malheureusement, il n’y aucune volonté politique pour leur donner une place dans le monde artistique. Pourtant, les sourds sont bien présents dès lors qu’on leur laisse la place. Le Festival Clin d’œil en est un bel exemple, environ cinq mille personnes venues du monde entier pour participer à cet événement riche en artistes sourds et malentendants.
Le mot de la fin
Anne de Boissy termine cet entretien en évoquant son regret que les entendants ne soient pas plus curieux de la communauté sourde. En dehors de leur handicap, leur culture n’est pas légitimée dans l’esprit des entendants. Résultat ? Les sourds nous voient comme des dominants qui les écrasent, et préfèrent boycotter notre culture à leur tour. Il faut leur donner la possibilité de s’exprimer, se tromper, explorer, créer. Tout comme nous avons eu cette possibilité de travail artistique.
Le problème vient peut-être de l’idée que sourds doivent s’intégrer aux entendants. L’intégration est un processus qui s’opère à deux, mais quelle place laissons-nous aux sourds ? Une place au centre ou sur le côté ?
Si je suis de ce monde : jeudi 15 mars, 19h – Institut d’Art Contemporain
Samedi 7 Avril – 17 – Nouveau théâtre du 8e
Jeudi 31 Mai – festival des langagières – TNP Villeurbanne