Ainsi, on découvre comment attirer le geek, ou du moins celui qui se prétend en être un, à base de références et de campagnes marketing savamment dosées. On pourrait citer pas mal de films, mais il me semble beaucoup plus judicieux, pour arriver à la méthode Whedon d’en citer deux plus particulièrement, à savoir The Dark Knight en 2008, Inception en 2010.
Commençons par le premier. Fort du succès de Batman Begins, Christopher Nolan enchaîne avec sa suite qui sera à ce jour le plus grand succès du film de super héros, à savoir The Dark Knight. Cautionné par sa prestigieuse carrière et sa nouvelle aura auprès des geeks, Nolan décide de prendre une plus grande place dans The Dark Knight. Il co-écrit l’histoire avec David S. Goyer, là où Goyer était seul pour le premier volet Les différences sont notables. Là où l’histoire du premier était fort respectueuse de ces personnages et du comic-book (puisant sa plus grande inspiration dans Batman Year One de Frank Miller, et oui, encore lui), le second volet va opérer un virage assez incroyable que presque personne ne remarquera.
Si à la fin du premier volet, Batman s’apprêtait à en découdre avec le Joker, il passera dans le deuxième la moitié du film à prétexter avoir autre chose à faire, et à se poser des questions existentielles sur sa vie, son statut de héros, et surtout sa copine. Tandis que le personnage du Joker est lui, non seulement respectueux du comic-book original, mais en plus totalement actif, du moins la plupart du temps (de là à dire qui a écrit quoi, il n’y a qu’un pas). Marketing ? En quelque sorte, on peut dire que le succès du premier volet. Son respect du matériau a acquis le public à la cause de Christopher Nolan. De plus, en appelant le second volet The Dark Knight, le studio sait que pour le connaisseur, cela évoque l’œuvre la plus puissante créée autour de Batman, à savoir The Dark Knight Returns de Frank Miller (again !). Au cœur de celle-ci, nous pouvons remarquer un Batman vieillissant, appliquer la loi du talion auprès de ses ennemis une bonne fois pour toutes (Clint Eastwood a d’ailleurs voulu l’adapter, sans succès, il y a quelques années). Tout l’inverse du film de Nolan, ce dont les connaisseurs se seraient rendu compte si le film ne s’évertuait pas à répéter sans arrêt ses propres enjeux pour montrer qu’il est plus intelligent que les autres films de super héros. Si dans le précédent volet, le héros disait se définir par ses actes, ici ce sera surtout par la parole. Ainsi, chaque image, nous est expliqué par des mots, chaque enjeu nous est bien répété afin que tout le monde soit sûr d’avoir bien compris (Batman = gentil, Joker = méchant, Harvey Dent = futur méchant), la palme allant à l’explication finale du Joker envers Batman où il lui explique qu’ils sont chacun la face d’une seule pièce. Comme si le montage alterné du film ne suffisait pas à le démontrer, et qu’après 70 ans de Comics, de séries, de dessins animés et de jouets à leurs effigies, il restait quelqu’un dans la salle qui n’avait pas encore compris.
Pour information, tout ce qui est dit, face caméra, dans The Dark Knight, est en fait le sous-texte de 90% des comics de super héros. Vous le retrouvez en filigrane également dans les Spider-Man de Sam Raimi au cinéma, dans la mise en scène et le découpage. En d’autres termes, Nolan remplace par des mots ce que l’image suffisait à dire autrefois, et le public salue l’intelligence de la démarche. Et dire que le cinéma était muet autrefois… Le fait que nous vivions dans un monde de plus en plus bombardé d’images aurait-il rendu le spectateur aveugle au point que les scénaristes se sentent obligés de tout lui expliquer par des mots ? La métaphore imagée n’a-t-elle plus place dans la société actuelle ? Le cinéma, à son origine, n’est-il pas l’art de l’image ?
A priori non, puisque Nolan va appliquer la même méthode à son film suivant, à savoir Inception, un film de science-fiction où tout vous est expliqué. Puis ré-expliqué, puis encore expliqué, et de nouveau expliqué, et encore expliqué…Parce qu’il faut être sûr que vous ayez bien compris quand même, car c’est vachement intelligent. Peu importe si c’est la même histoire qu’un film d’animation japonais intitulé Paprika, puisque de toute façon personne ne l’a vu. Et puis, surtout, c’était pas aussi bien expliqué, ça demandait au spectateur de réfléchir et de trouver les réponses par lui-même. Dans Inception, tout est expliqué au moins. On répète tellement tout dans le film (comme dans ce paragraphe), que la seule chose qu’on ne dit qu’une seule fois, sera oubliée par la plupart des spectateurs d’ici la fin du métrage. Ce qui leur permettra de se poser plein de questions en sortant de la salle sur cette même fin, alors que la réponse se trouve dans le film (et que ce n’est pas la bonne question, aussi, mais ça, c’est une autre histoire..).
Le fait de vanter l’intelligence d’un film suffirait-elle donc à le rendre intelligent ? L’est-il vraiment ? Amusant d’ailleurs de voir qu’un certain Aronofsky, quelques mois plus tard, se souviendra qu’Inception s’inspirait grandement d’un dessin animé japonais de Satoshi Kon dont il est fan. Il fera alors la même chose avec Black Swan, d’après Perfect Blue (mais c’est pas grave, personne ne l’a vu, et en plus, il en a acquis les droits).
Fini les questions existentielles, métaphysiques ou sociétales telles que « Sommes-nous plus que la somme de nos propres souvenirs ? » ou encore « Et si le monde dans lequel nous vivons n’était qu’un leurre ? » ou même les questionnements sur la possibles humanité d’une intelligence artificielle. Dans la nouvelle science-fiction, on ressort de la salle en se demandant si le personnage principal est en train de rêver ou non. Il paraît qu’on y gagne. Pourquoi pas ?