Et si ce soir, vous alliez dîner chez votre voisin ? Vous savez, celui qui vous fait saliver tous les soirs en été, quand les odeurs de ses épices viennent jusque chez vous titiller votre pauvre assiette de pâtes au gruyère. Ou bien chez un illustre inconnu qui maîtrise l’Osso Buco à la perfection ? L’idée est tellement chouette que l’on se surprend à croire qu’elle existait déjà, et pourtant… Eattiz débarque bel et bien à Lyon pour réhabiliter une pratique ancestrale, en lui donnant ce coup de pouce technologique qui fait notre époque. Nous avons interviewé la créatrice de cette application 100% made in Lyon.
Si Eattiz vous dit quelque chose, c’est que vous avez peut-être déjà entendu parler de… Eatizz (oui, la différence est ténue), une autre application, toute aussi sympathique, qui permet, elle, de récupérer les restes des établissements de restauration à moindre coût, pour lutter contre le gaspillage. Eattiz avec moins de Z et plus de T, se propose, elle, de vous mettre en relation avec des « chefs » tout-venants, dont vous pouvez aller partager l’intimité le temps d’une soirée et déguster un bon repas. Démonstration en vidéo :
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Ça donne plutôt envie non ? À nous carrément, alors on a été poser nos petites questions à sa fondatrice, Kahina Ahcene.
Bonjour Kahina, est-ce que pour commencer tu veux bien nous parler un peu de ton parcours ?
Salut ! J’ai vécu en Algérie jusqu’à mes 17 ans, j’ai eu mon bac, et après j’ai fait une classe préparatoire à Paris. J’ai atterri à Lyon à 19 ans, je connaissais pas du tout, mais ça a vraiment été un coup de cœur, ça fait 10 ans que je suis ici maintenant. C’est une ville qui est restée à taille humaine bien qu’il y ait énormément d’évolutions, alors que Paris j’ai l’impression que c’est en perte de vitesse ; ce n’est pas comparable en taille, mais j’ai l’impression qu’on n’est pas dans la même dynamique. De voir ces évolutions au fur et à mesure, c’est ce qui m’a donné envie de rester.
Quand et comment as-tu eu l’idée d’Eattiz ?
Lors d’un voyage au Maroc il y a plus de 2 ans ; j’étais encore salariée. Je parle l’arabe et le français, et je suis partie avec des amis français au Maroc, qui eux ne parlaient pas un mot d’arabe pour le coup. J’étais la guide du voyage et en fait, sur une semaine, on a mangé deux fois chez les gens, un peu par hasard : ils nous ont invités alors qu’on était dans un café. Pour moi c’était un truc complètement normal, je viens d’Algérie et c’est social en fait, c’est de l’hospitalité de base. Les gens là-bas ont plus de facilité à ouvrir leur portes qu’ici où il faut être amis etc. Et du coup, mes deux amis en rentrant m’ont dit que c’était super, que ça avait complètement changé leur voyage, qu’ils avaient été surpris de ce qu’ils avaient pu découvrir à l’intérieur de la maison, ce qu’ils avaient pu voir de la construction familiale etc.
Ensuite l’idée a fait son chemin et depuis on a rejoint l’incubateur Lyon III, j’ai trouvé des associés, des investisseurs, j’ai choisi une agence pour faire le développement et puis surtout ça a été ces 6 derniers mois entre le lancement de la version bêta, trouver les bon relais, équilibrer le concept entre le fait qu’il soit contraignant et le fait qu’il soit utile, trouver le bon mixte entre les deux, pour que ça reste un plaisir comme un service à utiliser, que ce ne soit pas très contraignant parce que ça reste un loisir, ça ne répond pas à un besoin vital.
Une belle aventure qui arrive à terme ?
En tout cas, c’est comme un accouchement [rire].
Qui est prévu pour quand ?
Ça va commencer en fait, parce qu’au final ce n’est que du pré-fonctionnement. On a fait une phase de lancement le 28 juin qui s’est super bien passée parce que c’était le jour de la sortie de la version beta en français. On a juste créé un site 100% responsive pour l’instant, et l’application est prévue pour la fête des lumières.
En attendant du coup on a fait pas mal d’acquisitions. On a plus de 200 cuisiniers sur Lyon, et donc on peut commencer avec la rentrée maintenant que les gens sont revenus pour commencer à tester vraiment le service. On fait le lancement du Petit Paumé en octobre place Bellecour, le but c’est vraiment de commencer à faire enregistrer des repas le jour-même, et voir comment les gens réagissent. Parce que ça vaut toutes les études de marché du monde en fait, tu peux recevoir plein de questionnaires où tout le monde te dit oui à tout, si tu n’as pas vu la personne mal se servir du site, tu ne peux rien corriger. Ces événements permettent un vrai retour de personnes qui ne sont pas des proches, des amis ou des personnes qui sont habituées à l’informatique.
À qui s’adresse l’application ?
Je pense qu’il y a deux cibles. Les gens qui aiment cuisiner et qui ne pensent pas forcément à aller chez les autres. C’est une vraie tendance depuis quelques années de refaire à manger à la maison, de revenir à des aliments plus sains – pas forcément ce qu’on trouve au supermarché – et il a plein de gens qui préfèrent recevoir des gens chez eux parce que c’est moins contraignant que de sortir et ça leur fait vivre différemment leur passion que de cuisiner pour leur famille, leur copains…
L’autre cible c’est les gens qui vivent plutôt en collocation, ou dans des petits apparts et tout, et qui se disent c’est vraiment une bonne opportunité pour rencontrer l’habitant local, comment on mange vraiment, qui peuvent recevoir des conseils. Au final maintenant quand tu voyages, à moins de partir en back-pack, tu as assez peu d’occasion de rencontrer les vrais habitants d’une ville, et donc l’application vient aussi répondre à cette envie-là.
Ce n’est pas seulement rentrer dans la cuisine de l’habitant, c’est aussi entrer dans son intimité.
Oui, les gens sont très différents quand tu leur parles dans un café, il y a un côté cordial etc, mais quand tu vas chez eux c’est comme si tu faisais partie de leur famille, de leurs proches. Ça change complètement le rapport. Et donc en rentrant de ce voyage après le retour de mes amis je me suis dit que c’était dommage qu’il y ait eu cette barrière de la langue, et que ça serait bien de trouver un moyen de systématiser tout ça en créant un site où les gens peuvent s’écrire avec une langue en commun.
Enfin si c’est utilisé de manière locale, il y aura peut-être moins de dépaysement, non ?
Oui bien sûr, et en même temps ça dépend. En rentrant de ce fameux voyage je me suis dit que je n’avais jamais fêté le nouvel an chinois par exemple, alors qu’il y a énormément de gens qui le font autour de moi. Tu peux aller au restaurant mais tu ne parles pas aux gens, et je me suis dit que c’est quand même fou qu’en connaissant des gens qui viennent d’une famille chinoise on n’ait jamais eu l’occasion de participer à cette expérience-là. Et en réalité pour plein de familles, que ce soit religieux ou culturel ou juste le nouvel an ou quoi, il y a sûrement des gens qui ont envie d’ouvrir leur porte, de faire à manger et de partager ce moment-là avec toi. Et donc d’un point de vue local, le but ce n’est pas forcément de rencontrer ton voisin mais de voir toute la diversité culturelle qu’il y a dans ta ville.
C’est pour ça qu’on se parle en ce moment d’ailleurs, la nourriture c’est de la culture.
C’est un besoin vital à la base, mais par contre, il y a tellement de diversité, ça attache beaucoup au terroir de chaque pays, de chaque région, ça attache aussi au savoir-faire, c’est ça qui fait que c’est un facteur de fierté de chaque ville, de chaque pays. Quand tu vas quelque part on te demande « est-ce que tu as mangé ça ? », tellement c’est devenu un marqueur culturel.
Donc finalement créer cette application dans la capitale de la gastronomie, c’est assez cohérent.
Ça a une cohérence énorme. Lyon est en train de devenir une référence par rapport au tourisme. Le tourisme se passe autrement à Lyon qu’à Paris, moins massif, plus qualitatif. Le centre culturel de Lyon est plus retreint et ça permet une toute autre interaction. Il y a beaucoup de ville de taille moyenne où l’application sera plus agréable à lancer et à tester pour cette raison.
Le but de l’application, à terme, c’est d’être globale j’imagine ?
La vocation de l’application ce serait surtout de dupliquer le modèle de développement qu’on a fait à Lyon et de faire des adaptations par villes, mais pas par pays. Ça resterait local, entre guillemets. On appelle ça « glocal » dans le jargon [rire]. Lancer dans des villes, de taille et de capacités à peu près comparables et où le tourisme est clair, la nourriture est claire. On ne fera pas un lancement dans toute la France, parce qu’avant de toucher quelqu’un dans une toute petite ville, il faudra être énorme. Alors que dans une ville comme Lyon, ça fait effet de propagation.
C’est comme ça que fonctionne Uber par exemple. On ne trouve pas un Uber dans tous les villages. On fait partie des start-up qui sont plutôt bien suivies par la ville, parce qu’on correspond très bien à l’esprit de la ville aussi. Nous on va pas juste dupliquer le modèle, on veut vraiment essayer de s’adapter à la manière dont la culture gastronomique fonctionne à chaque endroit.
Et alors, quelle est la spécificité lyonnaise ? Quelles parties de l’application ne seraient pas dupliquées ailleurs ?
Je vais prendre l’exemple inverse. Si on la lance en Espagne, la nourriture n’est pas du tout la même. Elle est très peu chère dans la rue, les gens se voient dehors… La vraie attraction pour les gens ça ne va pas être la nourriture mais la rencontre, alors qu’à Lyon il y a un tel terroir gastronomique et les gens cuisinent très bien aussi chez eux… aller chez un Espagnol c’est plus pour rencontrer la personne que pour mieux manger. Donc il faudra s’adapter et donner autre expérience utilisateur.
En parlant de prix, qui fixe le prix des repas ?
C’est une question qu’on s’est posé super longtemps pour être sincère. Comme c’est un tout nouveau service, les gens ne se rendent pas compte de la valeur à donner à ce qu’ils font. Il y a des gens qui cuisinent super bien qui te disent « je veux juste que ça rembourse le prix des ingrédients, ça fait six euros par personne », et d’autres qui te disent « moi ça m’a pris une heure de course, deux heures de préparation, une heure de dressage, j’ai passé quatre heures à préparer le repas en tout, et même si c’est fait avec plaisir, si je n’y gagne rien du tout ça ne m’intéresse pas ».
Et du coup au final, en première version de lancement, on a décidé de faire trois prix : 15, 25 et 35 euros. Selon les capacités de la personne à recevoir chez elle, selon ce qu’elle sait faire, et selon les ingrédients qu’elle utilise. Quelqu’un qui va te faire une entrée-plat-dessert avec des ingrédients de fou, c’est normal que le repas soit à 25-35 euros. Par contre quelqu’un à qui tu écris le jour-même, tu lui dis « on vient ce soir, on est deux », et qui te dit « j’avais prévu de faire ça, est-ce que ça te va », ça va être plutôt 15 euros.
Mais ça reste le chef qui décide ?
Oui, on a trois menus et c’est la personne qui cuisine qui décide de son tarif. Du coup ça correspond vachement aussi à la mentalité de la personne.
J’ai vu dans les mentions du site que ce n’est pas considéré comme un salaire mais comme une gratification, pour une question de légalité, j’imagine ; est-ce qu’il n’y a pas un risque que les gens se fassent surtout de l’argent avec l’application ?
Déjà pour faire de l’argent, en ayant deux ou trois places chez soi ça va pas être évident, non ? Le fait d’être obligé d’être présent pendant le repas et de cuisiner, ça limite pas mal combien une personne peut gagner.
Et les avis permettent une certaine régulation, non ?
Oui, il y a un système d’avis, de notation. À moyen terme il y aura aussi la possibilité d’écrire une annonce beaucoup plus personnalisée. Pour l’instant l’inscription se fait en moins d’une minute, avec pseudo, âge, adresse, ce que je cuisine… et ça crée une annonce automatique avec les informations de base ; mais à moyen terme la personne pourra écrire ce qu’elle veut, et la sélection se fera aussi par là. Pour moi, c’est une évolution du service très importante, plutôt que des questions de prix, parce qu’au final personne ne le fera pour gagner vraiment beaucoup d’argent, et parce qu’au-delà de ça, ça reste un moyen d’ouverture, c’est notre axe d’amélioration principal. Pouvoir partager un bon moment, pouvoir mieux connaître les personnes et rester en contact avec elles. On a souvent cette frustration quand on rencontre des gens en vacances, de perdre contact. C’est aussi ce côté réseau social qui fait l’intérêt du site.
Comment s’est faite l’association avec Grégory Cuilleron ?
Je l’avais contacté pour avoir des recettes pour le blog d’Eattiz qu’on est en train de monter. On s’est rencontré, il m’a dit oui sans problème pour les recettes. Une semaine plus tard il m’a contacté pour me dire que le projet lui parlait, qu’il avait envie de s’y associer. Ça s’est fait très simplement, parce qu’il était intéressé et que la démarche était très professionnelle de mon côté aussi, ce qui a pu le rassurer.
Et quel est son rôle ?
C’est quelqu’un qui a une très bonne vision de la cuisine régionale, qui s’intéresse beaucoup au terroir, il est un peu guide dans notre image, dans l’orientation qu’on donne au service. Il correspond aux valeurs qu’on défend, et il nous aide aussi beaucoup à mieux faire connaître le service, c’est un bon ambassadeur.
Une petit portrait chinois « cuisine » pour finir, ça te tente ?
Allez !
Sucré ou salé ?
Salé.
Ton épice préférée ?
Un truc qu’on appelle le ras el-hanout, c’est un mélange d’épice, mais en fait il y a beaucoup de variantes parce que c’est à partir de 5 épices qu’on peut appeler ça du ras el-hanout, et ça peut aller jusqu’à 35. C’est donc des textures et des couleurs très différentes, c’est toute cette tambouille là que j’aime, plus il y a de variantes et plus j’aime.
Ton plat fétiche ?
Le bœuf bourguignon [rire]. C’est pas très exotique ! J’ai appris ça avec la mère d’une amie, ça la faisait beaucoup rire d’apprendre ça à une algérienne, alors que sa propre fille s’en fichait.
Un dessert ?
Le tiramisu. Simple mais efficace. Et puis encore une fois il y a plein de variantes possibles.
Ton lieu de restauration préféré à Lyon ?
C’est compliqué, ça évolue tous les 6 mois ! Pour le coup il y a un qui n’a pas la pub qu’il mérite : à 5 mains, le restaurant de Grégory Cuilleron, sur les quais [au 12 rue Mgr Lavarenne, Lyon 5ème].
Un ustensile indispensable dans ta cuisine ?
Un couscoussier. Je fais tout à la vapeur et je le fais là-dedans ça marche très bien [rire].
Merci Kahina pour tes réponses, et bonne continuation !
Merci à toi.