La compagnie On OFF nous a donné rendez-vous pour un café culture au bal des fringants. Choc des cultures entre entendants, sourds et… africains, avec ce spectacle bilingue ! [Article web sous la vidéo].
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Le Vendredi 9 Décembre dernier, nous aurions pu nous mélanger aux touristes et lyonnais pour profiter de l’incontournable fêtes des lumières. Certains d’entre nous s’y sont risqués et vous ont déjà fait leur compte-rendu. Mais d’autres auront préféré le doux confort des petits théâtres de la Croix-rousse. Et si j’ai vaillamment traversé la foule de la presqu’île c’était seulement pour atteindre mon but : le café-théâtre « le bal des fringants ». Pourquoi se risquer en ville un 9 Décembre si ce n’est pas pour admirer les jeux de lumières ? Parce que la compagnie ON OFF nous donnait une nouvelle fois rendez-vous pour un café culture.
Café-culture au café-théâtre… ?
Le café-culture, c’est un concept mis en place depuis 2015 par la compagnie ON OFF, afin de proposer des évènements culturels pour sourds et entendants. Cette compagnie de théâtre, créée en 2008, est dirigée par Anthony Guillon, artiste sourd. Son but est de promouvoir la langue des signes dans le domaine artistique et proposer un plus large choix de spectacle au public sourd.
Ce soir-là, c’est donc un rendez-vous café-culture que nous proposait Anthony Guillon, sur le thème de l’Afrique, comme le laisse deviner les costumes des deux comédiennes : Valérie Véril et Delphine Saint-Raymond. Valérie Véril, est une conteuse entendante. Elle est à l’origine du spectacle, « Attifa de Yambolé », qu’elle a écrit à partir d’un conte africain. Celui-ci raconte l’histoire d’Attifa, une petite fille malheureuse d’avoir perdue sa maman, qui va suivre les indications du sage de son village afin d’embrasser une dernière fois sa mère. À travers ce conte initiatique, on retrouve certains aspects de la culture africaine, dont la comédienne utilise des clichés pour mieux créer le contraste avec nos croyances européennes, et ainsi nous faire rire.
Mais que vient faire la LSF dans ce raid en pleine savane ?
Tout est toujours une histoire de rencontre, et ça n’a pas loupé pour Valérie. Suite à une demande d’adaptation du spectacle pour un public sourd, elle fait appel à Delphine Saint-Raymond, comédienne sourde originaire de Toulouse. Mais adapter le spectacle en le traduisant ne suffisait pas. Car s’il existe une culture méconnue et stigmatisée, c’est bien celle des sourds. Et c’est ainsi que la compagnie « La Soi-Disante » est née.
De l’humour aux grincement de dents
Pour ce nouveau spectacle, le conte est toujours raconté dans sa globalité par Valérie, auquel s’ajoute la traduction en LSF de Delphine. Mais la moitié du spectacle est aussi constitué de dialogues très drôles entre les deux amies qui interrompent parfois le récit pour nous partager des anecdotes sur leur voyage commun en Afrique.
Le début du spectacle donne le ton. Valérie nous font croire avant même de commencer que la comédienne sourde s’est trompée à cause de sa communication difficile et que le spectacle est destiné aux enfants. Croyez moi quand je vous dit que la première intervention de Valérie m’a fait grincé des dents, et fichu la frousse que le public sourd ne lui casse la figure. Elle commence fort avec une phrase stéréotypée du genre « faut l’excuser, elle est sourde elle comprend rien ». Dans une salle remplie de sourds, il y a de quoi finir au bûcher.
Plus avance le spectacle, et plus nous comprenons le rôle caricatural des comédiennes, qui n’hésitent pas à grossir les comportements des deux personnages. Nous y retrouvons de nombreux stéréotypes du sourd vu par l’entendant, mais également l’inverse, ce qui est bien plus rare (et drôle).
Dans la peau d’un sourd
Ce spectacle est destinée au sourds comme au entendants puisqu’ils est supposé être bilingue. En effet, le conte est toujours traduit dans les deux langues, mais en ce qui concerne les apartés, ce n’est pas toujours le cas ; Et c’est un choix assumé par les comédiennes, qui se sont rapidement expliquées après le spectacle.
À de nombreuses reprises, Delphine s’exprime en langue des signes sans que Valérie ne traduise (elle fait semblant de ne pas connaître la LSF). Ce sont donc des moments privilégiés entre la comédienne et le public sourd. Ces moments sont très drôles et très justes dans les messages portés par Delphine. Ils ont pour but de faire rire les sourds, mais pas seulement. C’est un parti pris des comédiennes qui veulent que le public entendant se sente comme les sourds dans la vie quotidienne : mis de côté. Ou bien la blague n’est pas racontée, ou bien elle est résumée en vitesse par Valérie. Et c’est exactement ce qui se passe au quotidien lorsque les sourds sont en contact avec les entendants.
Un spectacle pour tous ?
Ce sentiment est entièrement assumé par les comédiennes et porte un message fort. Mais le résultat obtenu est-il celui recherché par les comédiennes ?
Pour ma part, je pense que les entendants comprennent bien la problématique lorsqu’elles s’expliquent à la fin du spectacle. Malheureusement cela n’enlève en rien le sentiment de frustrations qu’ils ont ressentis durant la soirée J’ai pu entendre plusieurs échos de personnes entendantes qui pensent que le spectacle ne leur était pas vraiment destiné, et je suis de leur avis.
Le message est fort et intéressant mais n’oublions pas que les gens viennent au café-théâtre pour rire et se détendre, pas pour se sentir ignorer.
Que vous soyez sourd ou entendant, c’est un spectacle drôle et très riche, à condition que vous connaissiez la langue des signes. Si vous êtes entendant-signeur, vous avez tout gagné puisque vous pouvez suivre toutes les parties du spectacle, mais pour les non signeurs, la frustration risque d’être trop rude.