Rencontre : les bouquinistes lyonnais

Les bouquinistes lyonnais sont établis depuis 30 ans sur les quais de la Pêcherie, en dessous du pont qui mène de Hôtel de Ville au Vieux-Lyon. Entre les caisses en fer et les planches de bois se trouvent ceux qui font vivre ce lieu unique : les bouquinistes.

Après les gondoliers à Venise, les coursiers à New-York, je vous propose de découvrir les bouquinistes de Lyon. Eh non, les bouquinistes ne sont pas que Parisiens. Il est possible que vous vous soyez aventurés le long des quais de Saône et que vous soyez tombés par hasard sur les caisses remplies de vieux bouquins ou alors… pas du tout, et ils demeurent pour vous un mystère. En effet, la plupart des Lyonnais ignorent que se cache dans leur ville un petit havre de paix où littérature côtoie soleil et rencontres.

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De Paris à Lyon, de bouquin à littérature

L’emblème historique des bouquinistes est un lézard qui porte une épée. Le lézard, c’est le bouquiniste qui, dès que le soleil pointe le bout de son nez, s’empresse d’ouvrir sa caisse et d’exposer ses bouquins, le samedi et le dimanche. Si Lyon ne peut certes pas rivaliser avec les 900 caisses qui bordent les quais parisiens, on trouve quand même 20 caisses sur les quais de Saône. L’aventure débute en juin 1987. Les bouquinistes avaient, pour tout étale, une planche de bois où se mélangeait tous les livres, de tous âges et tous genres. L’année qui suit, la ville offre aux bouquinistes des caisses en voyant le succès et l’engouement que suscite cette nouvelle attraction. Avant l’apparition des bouquinistes, c’est-à-dire à la fin des années 80, le commerce de livres d’occasion était interdit dans Lyon, mais pas dans les périphéries comme Villeurbanne, où beaucoup de bouquinistes allaient chiner à l’époque.

Leur apparition sur les quais permit aux grands collectionneurs d’assouvir leur soif de vieux livres. Du XVIIe à Amélie Nothomb, les caisses sont remplies. Et on ne trouve pas que des vieux livres. Certains bouquinistes proposent beaucoup de nouveautés. Les livres de poche, les classiques, sont généralement à 1 ou 2 euros, soit le rêve pour tout étudiant féru, ou non, de littérature. Les livres de poche et les BD, « c’est ce qui se vend le mieux ici », d’après ce que les bouquinistes me disent. Si « bouquin » désigne la « mauvaise littérature », les bouquinistes savent en parler comme si chacun était un petit trésor, et nous donnent envie de tout lire.

Les bouquinistes, ces passionnés

L’épée que porte le lézard représente l’aspiration des bouquinistes à devenir libraires, auxquels on accordait le privilège de porter une épée. Certains disent qu’ils avaient une boutique, certaines proches des quais, mais qu’ils ont préféré se dédier à leur profession de cœur. Certains sont à la retraite, certains sont d’anciens ingénieurs, professeurs ou libraires. On peut trouver ici ce qui peut manquer dans les grandes enseignes : la proximité. Il est tout aussi possible de parler de Montaigne que de littérature fantastique ou de gros nanars. Les bouquinistes prennent le temps pour indiquer, recommander, ce qui n’est pas forcément le cas des vendeurs ailleurs.

Pour pouvoir posséder une caisse, il suffit de faire une demande auprès de la mairie et de se mettre sur une liste d’attente le temps qu’une autre caisse se libère. Le loyer d’une caisse s’élève à 70 euros par mois, soit une somme très raisonnable par rapport au loyer des boutiques en ville. Une fois que l’on a cette boîte, il est possible de la léguer à la personne de notre choix. Un des bouquinistes était avec son fils qui doit dans quelques années reprendre l’emplacement. On pourrait donc penser que les bouquinistes ont de beaux jours devant eux, mais la plupart des personnes que j’ai rencontrés confient que leur travail est depuis quelques années en danger.

Une profession sur le déclin

Les bouquinistes doivent faire face à plusieurs soucis. Premièrement, trop peu de lyonnais semblent être au courant de leur existence. Un lyonnais, un samedi, questionne un des vendeurs en lui demandant depuis combien de temps ils sont sur les quais, car il ne les avait jamais vus auparavant. Le bouquiniste lui répond qu’ils sont installés à cet endroit depuis 30 ans. Certains vendeurs se plaignent de la désinformation à leur sujet. Il y aurait eu quelques années de fausses informations dans certains magazines lyonnais. Certains indiquaient un mauvais quai par exemple. Ils n’étaient tout simplement pas cités dans le Petit Paumé pendant un petit moment. Il y eut certaines années une enseigne lumineuse pour indiquer leur emplacement mais celle-ci disparut presque du jour au lendemain.

Le principal problème auquel doivent faire face les bouquinistes, c’est l’évolution de la place de la littérature chez les jeunes générations. Si dans les années 90, il y avait beaucoup de gros collectionneurs qui venaient toutes les semaines récupérer les livres mis de côté par les bouquinistes, cette génération tend à disparaître. Il est de plus en plus difficile de se faire une clientèle fidélisée. Il y a davantage de personnes qui viennent vendre les livres qui appartenaient à leurs grands-parents que de grands acheteurs. Les bouquinistes sont inquiets : ils voient les mœurs changer, la concurrence devient rude, à l’intérieur même de Lyon avec des bouquinistes qui se développent un petit peu partout. Mais c’est surtout internet qui cause le plus de tort aux bouquinistes. Si à une époque les personnes à la recherche d’un vieil ouvrage étaient presque certaines de pouvoir le trouver sur les quais de Saône, internet a banalisé ce qui est rare et peu d’ouvrages demeurent introuvables.

Ce sont donc principalement les touristes qui longent par hasard les quais et qui profitent le plus des bouquinistes. Quand je demande quel livre se vend le plus, tous les bouquinistes répondent que les touristes demandent Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry. Alors venez apprivoiser les bouquinistes de Lyon comme l’ont fait le Renard et le Petit Prince. Le Renard et le Petit Prince eux doivent se quitter, mais je vous assure qu’une fois les bouquinistes apprivoisés, impossible de les quitter !