Le dreaming, l’art des origines à l’épreuve du contemporain

Les grandes toiles aborigènes de la galerie Trib’art, imposantes et mystérieuses, accrochent d’abord l’œil par la minutie du travail et la gaieté des couleurs. Une répétition infinie du même motif qui donne le vertige et fait croire à une image mouvante. Ce vertige est celui qui nous transporte au cœur des traditions et des rites aborigènes sur le territoire australien. Contempler ces œuvres, c’est voyager à l’intérieur des coutumes et des croyances qui donnent lieu à de telles peintures, c’est tracer le lien entre l’œuvre contemporaine et les cultes immémoriaux qui la nourrissent.

Peindre le rêve du temps des origines

Mais si la toile est vertigineuse, c’est aussi parce qu’elle est un lieu entre-deux et un espace-temps particulier dans la mesure où, traditionnellement, la peinture est le moyen par lequel l’artiste amorce un rêve. Le Dreaming art est le principe de ces peintures symboliques et traditionnelles qui permettent au peintre de voyager dans un temps onirique, à la fois personnel, puisque le rêve que voit l’artiste reste attaché à son histoire propre, et collectif, parce que toujours en lien avec les mythes fondateurs. Le songe permet en effet de retourner aux origines mêmes de la création de la terre et de la civilisation australienne ancestrale en entrant en contact avec les entités divines fondatrices. La toile retrace alors pour l’artiste et les communautés le Dream time, qui est une forme de connaissance première, une vision du temps anhistorique de la création du monde et des lois de l’existence par les entités surnaturelles.

Jennifer JENNIFER INKATJI
Jennifer
Jennifer Inkatji

La force de telles œuvres est avant tout leur impénétrabilité, leur mysticisme, mais également leur aspect politique et social puisque l’œuvre est toujours une façon d’affirmer une nativité, une identité allant de paire avec l’appartenance à une communauté. Ainsi, les dessins aborigènes sont similaires à de grandes cartes géographiques à la fois fidèles au réel et rêvées quant au caractère mythique des espaces.

Du territoire sacré à la galerie 

Le problème du déracinement de l’œuvre nous paraît alors évident : la galerie est-elle jamais assez vaste pour nous livrer l’œuvre dans son authenticité, c’est-à-dire dans sa réalité cultuelle, cérémonielle, qui implique aussi une spiritualité, des danses, des chants, etc. ? En extrayant l’œuvre de son contexte ne la dénature-t-on pas ? Comment apprécier l’œuvre depuis la galerie, là où elle demande un processus d’initiation dans les milieux traditionnels ?

La forme rectangulaire du cadre est en réalité déjà une adaptation de la tradition aux lois pratiques de l’art. En effet, l’art aborigène est d’abord un art éphémère, les dessins se tracent toujours sur les surfaces mouvantes et instables : les corps pour le body painting et le sable pour le sand art. Le dreaming sur toile n’apparaît que dans les années 70, il permet une commercialisation et une popularisation de l’art aborigène, mais aussi la perpétuation d’une culture menacée. L’État australien lui-même défiscalise aujourd’hui les œuvres pour encourager l’achat de cet art.

Lisyanne Pesenti, directrice de la galerie, explique bien l’intérêt et les bénéfices d’un tel changement de support, elle dit combien la toile a une valeur publique et combien l’achat de celle-ci permet de faire vivre non pas un artiste privé mais toute une communauté. De même, on sait que les œuvres d’art aborigènes exposées aujourd’hui sont bien souvent des commandes ou que les artistes eux-mêmes fournissent des œuvres pour des besoins pécuniaires.

La peinture comme acte de résistance et de réappropriation 

LINDA SYDDICK NAPALTJARRI
Linda Syddick Napaltjarri

Quelque chose de sacré dans le processus de création s’est peut-être perdu, mais il n’en reste pas moins qu’exposer ces œuvres, c’est également reconnaître la résistance d’une culture contre sa disparition programmée. Si les méthodes ont évolué, l’enjeu social et politique reste le même : la peinture comme lien indestructible entre l’individu et la terre et l’appropriation de celle-ci par la cartographie mythique.

À l’ère du post-colonialisme, la volonté de réappropriation des terres et des sites ancestraux spoliés utilise les pouvoirs de cette peinture. En effet, celles-ci témoignent de savantes connaissances des territoires et des mythes associés, et peuvent alors jouer le rôle de passe-droits pour la restitution des terres, puisque les land rights exigent une preuve d’appartenance et de lien ininterrompu avec le territoire.

Venez à la rencontre de l’art aborigène à la galerie Trib’art, spécialisée dans les arts d’Océanie. N’hésitez pas à vous adresser à la galeriste, qui vous livrera avec honnêteté son expérience auprès des communautés et qui vous aidera à déchiffrer les mystères des œuvres.

Pour plus d’informations, vous pouvez vous rendre sur le site de la galerie.