Du 13 au 25 janvier, la compagnie La Grenade sera reine aux Clochards Célestes : dans les décombres d’un Palais Bourbon assiégé, l’ex-Assemblée tentera de s’expliquer sa chute, mais aussi de construire demain. Et en chanson, s’il vous plaît ! Une expérience unique, entre les quatre murs d’un lieu épargné et libre, encore : le théâtre.
Dans le manifeste de la compagnie La Grenade, on peut lire que l’on ne choisit pas ce dont on a à répondre. Le combat s’impose à nous. Avec une énergie phénoménale et une envie intarissable de partager, les cinq comédiens nous embarquent au sein d’une Assemblée Nationale désertée, où flotte une Marianne bien triste et amochée. Prendre le temps et le droit de répondre, voilà la volonté du spectacle, bien au-delà de la simple question esthétique, de la mise en abîme auto-centrée du théâtre : car il va (enfin) au monde, et trouve peut-être sa raison de persister dans nos rues, nos structures.
Trois anciens députés et une bien silencieuse greffière pénètrent dans ce qui fut l’Assemblée. Là où on hurlait dans les micros pour se faire entendre, où on piquait un petit somme devant notre magazine porno. Le lieu est désormais désertique, chaotique, et nous, public, sommes les nouveaux acteurs illégaux de la reconstruction. À noter que l’illusion se poursuit partout : n’ayant pas pu obtenir de places, nous voilà sur le trottoir, prêts à partir. Mais l’un des comédiens fait irruption dans la rue, nous entraîne à l’intérieur en nous priant d’éteindre nos téléphones — ils sont équipés de GPS, on pourrait se faire repérer. Toujours dans son rôle, il parvient à nous trouver des places improvisées. Voilà du théâtre.
« Vous avez fait des lois contre l’anarchie. Faites des lois contre la misère. »
Dans un rythme essoufflé qui, parfois, suspend l’instant d’espoir au-dessus de nos têtes, le spectacle fonctionne telle une machine dans un roulement conscient et efficace. L’esprit critique du spectateur est sans cesse mis en alerte : 1789, 1793, 2016, les sauts dans le temps sont organisés de façon à créer des résonances pertinentes, toujours. Utopiste, la Grenade ? Peut-être. Sûrement. Et alors ? Lorsqu’on éclaire le visage de Marianne, maquillage dégoulinant, bas résille déchirés, à la lumière d’une lampe de CRS, aussi agressive qu’une arme : il ne reste qu’à répondre.
Le plus fort, le plus impressionnant, c’est que la compagnie construit un spectacle sur le politique sans faire de politique, parvient à questionner tous nos doutes et toutes nos colères accumulées, à l’heure où des policiers armés de mitraillettes se postent à l’entrée des villages par groupe de dix. Et tout cela, sans faire entendre une voix plus forte qu’une autre : impossible d’y déceler un message, une leçon. Ce n’est pas non plus de l’ordre du constat, puisque le spectacle se joue dans un monde qui n’existe pas encore. C’est de la pure et simple agitation de consciences, stimulation des neurones et des émotions à la fois. Pas besoin de Brecht ou de toutes ces vieilles théories : faisons du théâtre, dans le plus simple esprit.
Démocratie ?
C’est d’ailleurs grâce à leur riche expérience du théâtre que la compagnie fonctionne aussi bien. Ceux qu’on avait vus à Aurillac jouer Quatre-vingt-treize dans la rue puisent ici les ressources de la scène. Un décor et des lumières travaillés, l’humour toujours aux aguets. Après avoir fait le triste constat de la chute de l’Assemblée, on joue aux cow-boy style Ennio Morricone, on chante lorsqu’il n’y a plus de lumière, on s’enfuit en vitesse lorsque notre réunion est menacée ; mais Marianne en est sûre, she will survive.
Démocratie ? Telle est la question finale puisque le système français est mine de rien décortiqué. Le principe même d’Assemblée est vu depuis ses origines, de sa prise de pouvoir à l’écriture de la Constitution. Quelles priorités ? Les lois, la gérance sur l’exécutif, la justice ou le pain ? Quel contrôle sur le peuple ? Est-ce finalement une démocratie, puisque celle-ci n’est pas directe ? Et tous ces questionnements apparaissent de fil en aiguille : on ne nous sert pas vulgairement matière à réflexion avec des indications claires et précises sur la façon de la penser, mais on nous dresse un portrait. Selon un angle de vue bien assumé.
Soyons sérieux !
Enfin, dernière touche de renouveau qui donne au spectacle tout son sens : le burlesque, omniprésent, et la tendance à se parodier soi-même ; à n’être, au plus profond du sérieux, jamais vraiment sage, puisque nous sommes au théâtre. Ce n’est pas une réflexion sur la matière théâtrale à proprement parler, mais plutôt sur la forme des paroles qui émergent aujourd’hui, au milieu des flots d’informations. Et le théâtre est une réponse.
Nous sommes peut-être dans les sous-sols d’une vieille institution, mais tout est plein de couleurs, de rires, de clins d’œil. On ressort de la salle le sourire aux lèvres, plein d’une énergie que seul le théâtre sait provoquer. On ressort dans un monde qui peut nous sembler hostile mais, bizarrement, on est heureux d’y être. Parce que l’on a la certitude que toutes les personnes présentes dans la salle se sont posées les mêmes questions que nous, ont certainement les mêmes peurs. Et qu’il existe des milliers de réponses.
On vous l’a dit : c’est de l’utopie. Et c’est pour ça que c’est du théâtre.