Kyan Khojandi à Lyon : gérer ses Pulsions par le rire

Vendredi 24 novembre, Lyon avait le plaisir d’accueillir sur scène Kyan Khojandi pour son spectacle Pulsions, co-écrit avec Navo. Partenaires de toujours, ils sont à l’origine de la série désormais culte Bref, mais aussi des excellents Bloqués et Serge le Mytho. ArlyoMag a eu la chance de les découvrir sur scène pour ce nouveau one-man show intelligent, intime et à l’humour décapant.

Kyan Khojandi se produisait à la Bourse du Travail de Lyon avec son one-man show Pulsions, co-écrit avec Navo. Retour sur un spectacle émouvant et décapant

Crédit photo : Thomas O’Brien

Comme beaucoup de monde, j’ai découvert Kyan Khojandi et Navo lors de la déferlante Bref. Cette série qui passait alors sur Canal + a bouleversé mes années lycée. À la manière des personnages qui se balançaient toutes les répliques de la Cité de la Peur, on s’amusait à échanger leurs propres répliques. On n’avait peut-être pas vécu chaque facette de leur jeunesse mais on s’y retrouvait bien dans l’esprit. Bref, au-delà d’être une série hilarante, parvient à convoquer une émotion particulière du fait de sa sincérité. Elle met en scène des personnalités complexes et attachantes, traite de thèmes sensibles sans verser dans un pathos gratuit et développe un véritable parcours initiatique.

J’ai eu de nombreux fous rires devant ces repas de famille gênants et pas tout à fait étrangers, l’enterrement de Croquette ou encore ce pote à conditions générales. Et puis j’ai pleuré comme une madeleine sur l’épisode « On était des gamins » avec cette sensation réconfortante d’entendre quelqu’un mettre des mots sur ce que j’avais reclu au fond de ma tête. La diffusion de Bref a donc marqué plus d’une génération et s’est installée durablement dans les consciences de ses spectateurs. Et après de nombreux projets concrétisés à la télé, au cinéma ou sur le web, Kyan Khojandi et Navo sont donc de retour sur scène pour nous proposer Pulsions, one-man show décortiquant l’intime pour en faire surgir le rire.

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L’intégrale de la série désormais disponible sur YouTube

Navo ou une première partie surréaliste

C’est tout d’abord Navo qui monte sur la scène de la Bourse du Travail. Il arrive… sans se presser, nous évitant ainsi le coup de l’humoriste à ressort qui balance bras et jambes dans tous les sens en affirmant combien il est heureux d’être là ce soir avec nous. Non, à la place, le gars se pose tranquillement et nous annonce qu’il a écrit un sketch de trois minutes pour une première partie de six minutes. Quoi de plus logique alors de répéter chaque phrase de son sketch une deuxième fois. Quoi de plus logique alors de répéter chaque phrase de son sketch une deuxième fois.

Voilà, ça vous donne une idée de l’absurde total dans lequel nous sommes plongés pendant son passage. Ce qui est génial, c’est d’observer le public. D’entendre les premiers éclats, puis des ricanements à retard, un silence qui s’installe et un nouvel élan de rire. Placide, Navo continue de plus belle sur sa lancée et propose au public de participer au lancement de Kyan : au mot « applaudissement », toute la salle doit s’exécuter. Ce qui semble être au départ une simple consigne se transforme en une véritable bataille de nerfs entre l’humoriste et le public. Navo énonce la règle, les spectateurs applaudissent avant le signal et il recommence son lancement. C’est à qui cédera le premier. S’engage alors un long moment d’absurde entre Navo et la salle entière, chacun restant campé sur ses positions. Parce qu’il faut bien l’avouer, le public maîtrise cet art ancestral de jouer au con. Longtemps. Et pourtant, Navo tient bon face à cette pression importante et remporte haut la main le défi. Il nous laisse alors avec Kyan, non sans être salué par de vifs applaudissements.

Dans la pure tradition du stand-up

Ce qui m’a d’abord marquée dans ce spectacle, c’est la présence lumineuse de l’artiste. Kyan Khojandi déborde d’énergie sur scène et son enthousiasme est on ne peut plus communicatif. Il passe sans difficulté de l’absurde à l’humour noir avec un brin de second degré et un comique gestuel qui ne lasse pas. Au-delà de sa dimension comique, Kyan possède un véritable talent de comédien. Dans une certaine mesure, il m’a rappelé Baptiste Lecaplain dans cette façon d’enchaîner coup sur coup les vannes avec un rythme effréné. Aucun répit pour les estomacs du public, ce dernier rit de long en large.

Par ailleurs, l’écriture du spectacle est particulièrement soignée. Les vannes se répondent les unes aux autres dans une construction quasi millimétrée. Certaines développent en plus des images novatrices et hilarantes. Je pense notamment à l’existence d’un petit chimiste dans nos têtes qui est parfois débordé par les événements. Mais aussi au bus de l’amitié dans lequel se réunissent des personnages hauts en couleur et qui file vers des horizons (trop) bienheureux. Sans oublier la fameuse technique du « hurler-chuchoter » que l’on a toutes et tous expérimenté via nos parents, nos voisins ou nos potes en soirée. Autant d’images donc qui forgent une vraie personnalité à ce spectacle et qui inscrivent le spectateur dans la découverte d’un souffle nouveau de création humoristique.

Le spectacle est aussi rempli de références variées telles que les Simpson, le personnage d’Hubert Bonisseur de Labatte ou encore l’émission Intervilles, références culte pour une tranche d’âge relativement importante du public. Public qui ce soir-là allait du minitel à Snapchat en passant par MSN. Bien loin d’être clivant, le spectacle réunit au contraire tout type de spectateurs via l’universalité de son propos. Pulsions, c’est un peu l’équivalent du film Vice-Versa pour les adultes. Il épingle les différentes pulsions qui nous agitent : la pulsion de mort, de bouffe, de désir. Tous ces affects qui, au-delà du rire premier, nous livrent un spectacle touchant et intime.

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Leur sketch mémorable proposé durant le gala du Montreux Comedy Festival en 2013

Une tendresse particulière

Ce qui se dégage de Pulsions, c’est avant tout une écriture soignée. Kyan et Navo prennent le parti de traiter de sujets difficiles pour en faire émerger quelque chose de fort. C’est un rire salvateur qui nous est proposé à travers l’évocation de thèmes bouleversants, notamment la mort du père. Kyan Khojandi amène cet épisode marquant de sa vie avec force et sans artifice, parvenant avec brio à extraire un rire franc des spectateurs et à exorciser par là même cet événement. Pulsions a donc le mérite de ne pas être que drôle et émouvant mais il témoigne d’une vraie intelligence.

À travers un aspect social et psychologique, le spectacle évoque en effet des thématiques fortes telles que la construction de soi, le regard de l’autre, notre rapport à la famille… C’est en partant de leur expérience personnelle que Kyan et Navo parviennent à toucher nos sensibilités, à faire sortir des vérités peu souvent exploitées dans un one-man show.

Pulsions comporte une générosité et une sincérité peu communes qui bouleversent le public et le font adhérer entièrement au propos. Cette adhésion s’est d’ailleurs ressentie dans le dernier quart d’heure du spectacle où les rires et les applaudissements n’en finissaient pas, jusqu’à ce que la fin du spectacle soit saluée par une standing ovation plus que méritée. Le public lyonnais a assisté ce soir-là à une très belle performance de deux humoristes/comédiens à la démarche généreuse. Kyan et Navo ne versent ni dans la facilité, ni dans le pathos mais proposent au contraire un spectacle aussi plaisant qu’intelligent. Les spectateurs sont ressortis de la salle en ayant reçu de nombreux fous rires, de l’émotion et de la matière à réfléchir sur eux-même. Définitivement un spectacle à découvrir sur scène pour apprendre à connaître notre nature d’être humain et à s’accepter tel quel.

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Léa Lallemant

Fana de cinéma, de musique, de littérature, de théâtre, d'événements culturels riches et variés, de rencontres diverses, de soirées au coin du feu, d'aventures rocambolesques et de listes à rallonge.