L’Opéra de Lyon met à l’honneur du 19 au 25 avril le chorégraphe tchèque Jirí Kylián et son ancien élève, le suédois Johan Inger. L’opéra nous réserve une soirée en trois parties somptueuses de danse classique contemporaine. Under a day, no more play et petite mort, confirment la grandeur du répertoire lyonnais. Petit rattrapage si vous avez loupé les représentations.
Jirí Kylián est sans doute un des plus grands chorégraphes vivants. Lyon a la chance de l’accueillir en résidence jusqu’en 2019. Il est l’auteur de plus d’une centaine de ballets dont douze appartenant au répertoire de l’opéra de Lyon. Prague, Londres, Stuttgart, La Haye : sa carrière se constitue dans les grandes villes de la danse en Europe du nord. Johan Inger, élève de Kylián à la Nederlands Danse Theatre a lui aussi une grande carrière derrière lui. Pour notre plus grand plaisir, ils offrent à l’opéra de Lyon trois grandes performances.
Under A Day, Johan Inger
La première partie s’organise autour du thème célébrissime de Nina Simone Be my husband. Le morceau de jazz est interprété trois fois de trois manières différentes. Les danseurs interprètent cette trichotomie avec virtuosité. Parfois agressifs, parfois neutres, parfois doux, les artistes s’activent selon les notes de musiques.
Johan Inger s’inspire de la vie de Nina Simone et de sa relation ambiguë à l’amour. Le chorégraphe charge sa danse de conflits personnels. Il nous montre le tiraillement des émotions et l’hésitation des mouvements. Les danseurs évoluent en duo, en trio ou en groupes et mélangent les genres mettant ainsi en évidence les difficultés des relations humaines. « La musique, la puissance des textes ainsi que la personnalité bipolaire de Nina Simone m’ont guidé dans l’exploration des contrastes. », parle ainsi Johan Inger de son projet.
Les costumes, réfléchis par Catherine Voeffray, sont d’abord simples et atemporels, ils nous renvoient alors à l’universalité des relations humaines. Ensuite, ils sont colorés et vifs et représentent ainsi des taches d’émotions et de singularités qui se mélangent ou se repoussent.
No more Play, Jirí Kylián
La deuxième partie est sans doute plus dramatique, plus sombre. Le chorégraphe précise que « l’idée de base de cette chorégraphie s’inspire d’une petite sculpture d’Alberto Giacometti. » No More Play, créé en 1988, est un jeu complexe d’effets de lumières et de contrastes tonals. Seule la musique de Anton Webern semble connaître les règles du jeu. Elle dirige avec malice les acteurs et la lumière. Quel est le but du jeu ? Peut-être jouer est-il une finalité ? Source de création et prétexte au mouvement, le jeu devient le créateur.
Trois hommes et deux femmes se partagent l’espace. Comme pour Under A Day, la relation sentimentale des êtres est au cœur de la représentation. Les mouvements sont plus charnels, presque érotiques parfois.
La lumière, imaginée par Jirí Kylián lui-même, semble construire l’espace et diriger les danseurs. Ces derniers évoluent parfois dans un rectangle de lumière, parfois leurs ombres sont projetées en grand sur un écran blanc. Giacometti lui-même entretient dans sa sculpture, un rapport particulier à l’espace. « L’espace n’existe pas, il faut le créer mais il n’existe pas. » Peut-on y voir une comparaison à la danse ? Le jeu semble relier les deux artistes dans une même volonté de jouer l’espace.
Petite mort, Jirí Kylián
La soirée se termine en apothéose avec une des plus célèbres pièces de Jirí Kylián, Petite mort. Créée en 1991, le chorégraphe rend hommage à Mozart et utilise ses concerto n°23 et 21.
La petite mort, c’est Eros et Thanatos, c’est l’évanouissement et c’est l’orgasme. Sur scène, cette dualité s’exprime de façon spectaculaire par l’emploi de fleurets. Les six hommes armés se détachent des six femmes. Les violents coups de sabres s’accordent avec les danses sensuelles et charnelles des six couples. Le jeu avec les sabres est d’une dextérité spectaculaire. Au moment où les sabres fendent l’air, c’est toute la salle qui retient son souffle. Les danseurs se transforment en Cyrano le temps de quelques minutes, le temps de rencontrer la petite mort.
Les danseuses prennent le relais sur la scène et se meuvent dans des corsets noirs. Sur scène, elles jouent avec leurs costumes avec une sensualité rare. Saluons d’ailleurs le travail sublime de la jeune Kristina Bentz.
Enfin, les femmes se mélangent aux hommes et aux fleurets. Ils se battent, se débattent et s’enlacent. Sur la musique de Mozart, les danseurs fusionnent corps à corps, le fer avec la peau. Eros et Thanatos dansent, La pulsion de vie avec la pulsion de mort. L’amour contre la mort, mais pourtant l’un ne peut vivre sans l’autre. Cette thématique classique est interprétée de façon magistrale par la troupe de l’opéra de Lyon. Jirí Kylián réécrit le mythe d’une manière singulière et subtile.