Interview de Lucie Salvi, une rencontre poétiquement clownesque

« Un clown, c’est un personnage qui est à côté de la plaque, mais qui ne veut pas l’être »

Nous sommes le 22 octobre 2015. Il est 20h30, lorsqu’en toute hâte, je prends place dans le public au théâtre de l’Uchronie pour découvrir R.A.P (Rimbaud, Arthur. Poèmes) mis en scène par Mario Gonzalez.

J’aperçois des pieds en dessous du rideau qui se trouve au fond de la scène. C’est Ève ! Ève, c’est une jeune clown sous laquelle se cache Lucie Salvi, fraîchement débarquée à Lyon et qui a accepté de partager son univers clownesque autour d’un café.

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Crédits : Boris Horvat

Lucie Salvi a commencé le théâtre à la MJC du coin, puis est passée par le conservatoire de Chambery, de Metz et de Paris. Une voie royale au sein d’établissements reconnus, et puis un jour : « J’ai atterri dans le salon de Mario pour préparer mes scènes d’audition » m’a t-elle dit. Belle surprise qui permet à notre comédienne de faire un bout de chemin avec Mario Gonzalez. Mario est comédien et metteur en scène, spécialiste du masque et de la Commedia Dell’arte. Au fil du temps, Lucie devient l’assistante à la mise en scène de Mario au CNSAD :

C’est en ne jouant pas, que j’apprends le plus !

Lucie rencontre alors un homme de théâtre talentueux, un univers et une façon de travailler qui lui plaît, je veux dire qui lui plaît vraiment ! Étant spécialiste du jeu masqué, Mario travaille aussi le clown qui est pour notre comédienne, le plus petit masque possible : « il n’y a pas de différence entre le jeu masqué et le clown » m’a-t-elle précisé. Et ce qu’elle aime par dessus tout dans le clown, c’est de voir le regard du public qui se met à pétiller quand il aperçoit Ève et plus Lucie. Bien sûr, le nez ne fait pas tout ! C’est évidemment la magie qui anime Lucie, et Ève qui fait son effet.

Quand je mets le nez, je ne peux plus marcher, je ne peux plus parler comme dans la vie, tout est amplifié.

En m’évoquant sa vision du clown, Lucie m’a très justement dit : « Un clown, c’est un personnage qui est à côté de la plaque mais qui ne veut pas l’être » : eh oui, c’est bien ce qui nous fait rire dans tout ça !

Pendant la pièce, j’ai la plaquette du spectacle en main sur laquelle se trouvent deux photos d’Ève, et je m’aperçois que son maquillage n’est pas le même que celui que je vois en face de moi. J’ai donc voulu en savoir plus auprès de Lucie, qui m’a d’abord expliqué que Ève n’a pas toujours été Ève. Avant, c’était Jeanne. Mais Jeanne, ça faisait trop vieux. « Ève, c’est plus actuel, plus femme ».

Notons qu’il n’y a pas seulement le nom qui peut évoluer chez un clown mais ses vêtements, son maquillage, sa manière d’agir, de parler… comme nous êtres humains finalement (aussi ridicules que nous puissions être) ! Et pour revenir au maquillage, quant à lui, il doit amplifier toutes les expressions de la comédienne et évolue par nécessité, commodité, ou même esthétisme.

Pour nourrir Ève, Lucie utilise ce qui la nourrit elle : « Ça me donne envie de faire pareil, je me dis que c’est possible » ! Elle m’a parlé d’observation. D’abord dans les films où elle aime retrouver Charlie Chaplin, Robert De Niro, Michel Bouquet ou encore Peter Sellers. Et puis la rue, le métro, le bus, le café où elle aime observer les gens qu’elle croise :

« On apprend énormément en observant la vie, c’est fascinant, c’est gratuit ».

C’est donc chez nous qu’elle nourrit son jeu de clown et De Niro n’a qu’à bien se tenir ! Devant R.A.P (Rimbaud, Arthur. Poèmes), je me suis vue raconter des histoires un peu mirobolantes à mes amis ! Cette création a été l’occasion pour Lucie de réunir deux univers qui l’ont construite : « On prend les poèmes d’Arthur Rimbaud et on fait du clown, on verra ce que ça donne ».

Pari réussi pour Lucie qui nous fait entendre son « best of de Rimbaud » composé de dix poèmes portés par Ève et son énergie corporelle et vocale. On peut enfin oublier la monotonie qu’on nous apprend à l’école au moment de passer au tableau. Ève apporte quelque chose d’inhabituel, d’inconnu, aux poèmes de Rimbaud, et permet aux spectateurs d’entrer dans l’imaginaire de Rimbaud. « Si on met un personnage inconnu ni d’Ève, ni d’Adam, les poèmes ont plus de portée, sont plus accessibles ». L’envie première de Lucie est donc de faire entendre la poésie et de donner corps au texte :

« On ne peut pas vivre sans poésie, que ce soit un poème ou le soleil qui se couche. Alors il faut en donner à fond les ballons ».