Petit guide de survie en librairie
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Le temps d’un été, je me suis improvisée libraire. Après avoir passé un an à faire des articles sur l’actualité littéraire et sur les librairies, il était grand temps de passer à quelque chose de plus sérieux, de rentrer dans le vif du sujet !

Si j’ai pu m’entretenir avec des libraires pour écrire des articles ou par curiosité, je dois bien me rendre à l’évidence : une fois qu’on y est, ça n’a pas grand-chose à voir. Pour cette raison, j’ai décidé d’écrire sur ma propre expérience au sein d’une librairie (papeterie et presse en plus). Cette expérience s’est avérée enrichissante à plusieurs points de vue. J’ai pu en apprendre davantage sur les habitudes de lecture de la plupart des Français (sortant d’une formation hypokhâgne/khâgne, ça fait bizarre) et de me rendre compte de la difficulté que représente aujourd’hui le métier de libraire, toujours plus confronté à la concurrence déloyale des grandes enseignes.

Le don d’ubiquité

Après des études littéraires puis de cinéma… quel fût mon état quand j’ai su que j’allais principalement être à la caisse. Mon aversion pour les mathématiques et le calcul mental n’a clairement pas d’équivalent. Tous ces livres qui s’offraient à moi, ne pouvant que les regarder, de loin, depuis le comptoir de la caisse.

Cependant, travailler à la caisse d’une librairie c’est un peu avoir le don d’ubiquité. C’est grâce à ce poste que j’ai pu me rendre compte que non, les gens ne lisent pas que du Balzac et du Maupassant. Non, les livres de théorie littéraire, c’est pas le dada de tout le monde…

 

Je réalise que ce qui fonctionne le mieux de manière générale : c’est le polar. Pendant les premières semaines je me suis honnêtement demandée pourquoi est-ce que, littéralement, tout le monde, et surtout les femmes, achète des polars. Je pense qu’il serait une très bonne chose que d’écrire une thèse ou quelque chose sur ce phénomène qui n’est sûrement pas si récent que ça et pourtant en augmentation constante d’après mes collègues. Une dame toute gentille m’aborde et me demande si un livre qui parle « d’un enlèvement d’enfant en Islande et d’une cabane » me dit quelque chose… Pendant deux mois j’ai essayé d’aboutir à une conclusion socio-littéraire, ou quelque chose d’équivalent, mais sans succès.

 

 

 

 

Ensuite, les grands auteurs contemporains comme Houellebecq, Onfray ou encore les ouvrages regroupant politique et histoire sont les deuxièmes plus grosses ventes. En somme, ce sont toujours les mêmes auteurs, polémistes, qui sont en tête des ventes.

Ainsi mon don d’ubiquité me permit de balayer à peu près toutes les catégories socio-professionnelles et d’âge. Car la librairie c’est un peu ça : un petit monde à part où l’on y trouve tout et tout le monde.

Le microcosme de papier

Mais ce « tout et tout le monde » demeure variable, ne serait-ce que par rapport au type de librairie dont il s’agit. Chacune fonctionne en général de la même manière : tous les matins il y a les réceptions, les personnes qui viennent récupérer leurs commandes, les habitués puis les clients plus spéciaux, etc. Cependant, chaque librairie possède une aura singulière, un petit quelque chose de différent. Cette petite chose en plus n’est d’ailleurs pas calculée uniquement en fonction des décisions du libraire.

Chaque librairie doit être en harmonie avec la demande, soit le type de clientèle qui la fréquente. Dans la librairie où je travaillais, la clientèle était principalement âgée, il faut donc savoir répondre à certains critères (comme un rayon entier consacré aux mots croisés et fléchés, et c’est même pas une blague). D’autre part, la librairie était située en centre-ville, j’avais donc l’occasion de discuter avec les habitués qui venaient prendre leur quotidien pendant leur pause de travail.

Dans une petite ville comme celle où j’ai travaillé, la clientèle se compose essentiellement d’habitués mais aussi de touristes, d’où l’importance de s’aligner avec les attentes de tout le monde.

Les difficultés liées au statut de librairie indépendante

Ces attentes, toujours différentes au gré des nouvelles publications, sont difficiles à contenter du fait des stocks qui ne sont pas immuables. Pour une petite librairie comme la nôtre, il est important de constamment les renouveler. Ce stock peut-être en lien avec les saisons (Noël, lectures d’été), les expositions de la région, etc.

C’est ici l’un des points faibles face aux grandes entreprises comme Amazon ou la Fnac. En effet, impossible pour les petites libraires de tout avoir. Les murs des librairies ne fonctionnent pas comme « la salle sur demande » de Poudlard : on ne peut pas entasser tous ces livres dans l’espoir que quelqu’un vienne les chercher.

De plus, les petites librairies indépendantes tentent de faire face à la hausse constante des achats de livre en ligne comme sur Amazon. Qu’est-ce que vous pouvez, dans le fond, répondre à un client qui s’indigne en disant qu’il peut recevoir un livre le lendemain même ? Nous n’avons pas les mêmes possibilités logistiques que ces grands groupes. Il est parfois difficile de convaincre certaines personnes, n’étant nous-même armés que de bonne volonté, et surtout celle de ne pas se faire manger.

Finalement, 30% des personnes qui achètent des livres vont préférer aller acheter ceux-ci dans des grandes surfaces ou grands magasins culturels, plutôt que d’aller dans des libraires. Il y a donc en plus une peur inconsciente que les livres dans une librairie indépendante soient plus chers qu’à Carrefour. Alors que non, Musso ou Molière seront tous les deux au même prix, où que ce soit, suite à la Loi Lang, stipulant le prix unique.

Le livre, ça lie

Qu’est-ce que les clients peuvent alors gagner à se rendre dans une petite librairie, même si ça implique que : pas forcément accessible avec la voiture ? Qu’il faut payer le parking, qu’on ne peut pas faire d’autres courses en même temps, que le livre risque de ne pas s’y trouver, etc. Je dirais que l’argument principal serait le conseil. Quelques critères suffisent aux libraires et ils dégotent une petite perle, dont vous n’avez probablement jamais entendu parler et qui s’avérera (on l’espère) être un fabuleux moment de lecture.

Par exemple, la librairie dans laquelle je travaillais, suite au changement de propriétaire, avec la passation d’une grande chaîne à une librairie indépendante, a failli fermer. Pourtant, grâce à de nombreuses protestations et témoignages de soutien de la part de ses habitués, la boutique a survécu.

Finalement l’une des manières pour les librairies de se faire connaître et de ne pas mourir, c’est de s’allier, de créer des partenariats. Ces partenariats se construisent à plusieurs échelles comme au niveau de la région (rencontres avec des auteurs, expositions…) ou à l’échelle nationale avec d’autres libraires.

Le site Les Libraires propose par exemple une cartographie détaillée des librairies indépendantes en France, ayant la plupart du temps une singularité. Si vous vous rendez sur le site, celui-ci met en avant deux librairies à Lyon : La Librairie Philippe Lucas, spécialisée dans les livres anciens, et CoMédias.

Cet article n’a pas pour vocation première de vous faire culpabiliser d’aller acheter vos livres à la Fnac. J’ai juste espoir qu’il puisse vous donner un point de vue plus éclairci sur les conditions réelles des librairies en France, mais qui continuent de vivre grâce à des gens passionnés. Un peu comme nous quoi !