La bibliothèque Marie Curie de l’école d’ingénieurs INSA (Institut National des Sciences Appliquées) retourne aux sources de la technologie, au cœur du berceau de notre civilisation : la Grèce. Un pêle-mêle d’inventions qui rend hommage au génie grec, du service du vin à la contemplation des étoiles. Petit parcours scientifique dans la Grèce antique…
Un parcours très technique
L’exposition (gratuite !) de la bibliothèque Marie Curie propose entre maquettes, reconstitutions visuelles et explications textuelles de nous raconter le génie des Grecs dans l’Antiquité. Une excellente initiative à contraster : l’exposition, à destination des ingénieurs, est à prendre comme telle : une exposition scientifique. Car l’exposition pêche par un manque de repères culturels. Une sorte de principe de base de l’exposition semble imposer un aspect purement technique, à même d’attirer les ingénieurs, en oubliant trop la dimension culturelle de ses inventions.
Du coup, à charge pour votre serviteur d’Arlyo de rectifier le tir et d’interroger l’exposition sous l’angle culturel qui lui manque. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » disait Rabelais. Et si l’aspect technique des inventions grecques est passionnant par leur modernité, il n’empêche que les grecs semblent beaucoup s’intéresser à certaines thématiques liées à la société dans laquelle ils évoluaient.
In Vino Veritas ?
Une des premières thématiques que l’exposition nous propose est celle du vin. Il est passionnant de voir le nombre d’inventions des Grecs qui ne servent qu’à… servir du vin. On trouve dès le début de l’exposition un automate qui remplit la coupe que l’on pose dans sa main, suivant un système de vases communicants et de pression.
Sans datation, l’automate de Philon d’Alexandrie pourrait très bien être pris pour un robot du XIXe siècle. Le but de cet automate, et de quelques autres, était de servir le vin, puis l’eau dans les proportions qui permettront de le boire. À l’époque, le vin est très aigre, c’est pourquoi il doit être mélangé avec des épices, du miel, et de l’eau. On est au cœur des rituels de sociabilité de la Grèce antique. D’ailleurs, le vin est l’attribut d’une des divinités les plus complexes et les plus ambiguës, qui a aussi sa place dans l’exposition : Dionysos.
La technique au service du Théâtre
Deux des plus impressionnantes créations grecques sont celles des théâtres mobiles d’Héron d’Alexandrie. Une simple ficelle, un contrepoids et des graines. Un système de poulies rudimentaires qui aboutit quand même à ces petits théâtres mobiles. Intéressons-nous de plus près à celui qui met en scène Dionysos justement : le théâtre bouge, et Dionysos aussi ; du vin s’échappe de son Thyrse. Un premier autel s’enflamme, puis un second.
Au-delà de la complexité apparente du dispositif, qui cache une simple ficelle que l’on tire et qui s’enroule autour d’un axe, le théâtre mobile reprend les fondements du culte dionysiaque. Le feu des deux autels rappelle les sacrifices qui étaient faits pour les dieux, remontant au mythe de Prométhée. Le vin qui s’échappe du Thyrse est l’attribut dionysiaque par excellence, car provoquant l’ivresse et l’Hybris, l’excès, propre aux transes du dieu et de ses prêtresses. Et dans une dimension plus « méta », l’objet lui-même est lié à Dionysos : c’est un théâtre. Or le théâtre grec est profondément ancré dans le culte dionysiaque, car il y prend racine : le terme de tragédie veut dire « chant du bouc », animal du satyre, compagnon du dieu de la fête.
Dionysos, Dieu du génie ?
Nous sommes ici au cœur des rites sociaux de la Grèce. Le vin et le théâtre, liés au culte de Dionysos, sont clairement au centre de la vie grecque qui était réglée par le rite, aussi religieux que social. Il est donc étonnant de voir comment dans cette société la science, la technique ont cherché à se mettre au service de cette vie, et l’on ne peut réduire l’intérêt des scientifiques et inventeurs à un simple aspect pratique. D’ailleurs, le lien entre science, rite religieux et commerce rappelle avec amertume les commerces les plus kitsch de Lourdes par exemple, qui n’ont rien inventé : Héron d’Alexandrie avait déjà inventé un système de distribution d’eau sacrée payant.
On mettait une drachme dans la cuve, la drachme tombait sur un plateau qui soulevait une petite bonde le temps que la pièce ne tombe. Le temps pendant lequel la bonde était ouverte, l’eau sacrée coulait par un petit robinet. Pratique, technique, l’invention est déjà une marchandisation du rite religieux.
Sciences et techniques : le vertige du génie grec
Évidemment, l’aspect pratique et religieux n’était pas le seul. L’invention et la technique ont aussi été portées par le besoin de se mettre au service de la science. Les différents instruments pour mesurer le temps, le ciel, et bien sûr, pour compter. Science et technique ont été intrinsèquement liées, et l’exposition nous le montre très bien au travers de divers instruments que l’on croirait sorti d’un roman de Jules Verne plus que de l’Antiquité, comme la sphère armillaire de Ptolémée, qui correspondait au GPS grec.
Au point que, parfois, les grecs semblent être passés à un progrès proche de changements pharaoniques : l’éolipyle d’Héron d’Alexandrie a failli être la machine à vapeur du XIXe siècle mais dans l’Antiquité. Il ne manque qu’une poulie et une courroie pour que ce dispositif très simple devienne la machine à vapeur. De plus la compréhension du monde est tout de même au cœur de la pensée grecque, qu’elle soit philosophique et ou scientifique, si tant est qu’on puisse séparer les deux.
Une exposition sur le génie technique, pas sur ses origines
L’exposition a été créée pour les 60 ans de l’INSA, mais aussi, entre autres, pour les 20 ans de l’association culturelle franco-hellénique DEFKALION, qui promeut la culture grecque sur Lyon. Le problème est qu’elle n’a finalement envisagé que l’aspect purement technique des inventions grecques, alors que celles-ci sont de toute évidence ancrées dans une société précise qui porte ces inventions. L’exposition est technique, à destination des futurs ingénieurs qui fréquentent l’école. Pour autant, pourquoi déconnecter la technique et la science du berceau culturel dans lequel elles sont nées ? Le questionnement culturel que nous venons d’esquisser est finalement ce qui manque à cette surprenante exposition, qui réduit le génie grec à sa technique, en oubliant la société qui a permis son avènement.