Exister en différents coloris : la transparence des peaux foncées.

Les joies de notre époque, des  hashtags, des trends et des friends qui nourrissent et influencent nos modes de vie grâce à des dispositifs qui tiennent dans la poche. On sait aujourd’hui ce qu’est un dashiki ou une gandoura sans bouger de chez soi, ni même de sa chaise, et s’en procurer moyennant Paypal. Aujourd’hui, si Martine (ou Martin) veut célébrer la Aishwarya Rai qui sommeille en elle, il suffit de googler l’inspiration  pour démarrer instantanément une nouvelle ère dans ses armoires. Que de confort et d’accessibilité.

Le métissage en matière de style est une opportunité, une réalité qui semble pourtant confidentielle, voire underground. Pourquoi entend-on parler par exemple de culture black, mais n’en voit-on pas concrètement la couleur? 

Comment se comportent les industries de l’habillement-maquillage-coiffure & co ? Et quel(s) impact(s) sur l’imaginaire collectif? 

La diversité, mainstream mais pas trop.

La technologie a bâti des ponts et paradoxalement, les vitrines de magasins, les médias et les affiches publicitaires nous canalisent vers une palette assez pauvre. À tel point que même nos amies les supermodels du monde des podiums s’en inquiètent et s’en mêlent. Depuis 2013 Naomi Campbell, Iman et Bethann Hardison toutes trois icones noires (et plutôt vintage) de la Mode lancent un appel sous la forme de leur Shame List ; une liste de la honte où figurent les noms des sociétés qui d’après elles manifestent la suprématie blanche dans le secteur.

Hardison, ancienne mannequin désormais directrice de casting, se surprend à compter plus de mannequins non-blancs dans les années 70 qu’aujourd’hui. En France, c’est Paco Rabanne qui avait forgé sa réputation de visionnaire (avant celle de voyant) en faisant défiler des mannequins noires en 1964. Il raconte à ce propos qu’en coulisses de son propre show, des éditrices de mode lui avaient alors craché au visage.

Les mannequins dits « de couleur » sont par la suite devenu-es tendance, mais juste pendant la décennie disco des 70’s.

Yves Saint Laurent qui avait eu l’idée avant Rabanne en 1962, réussira en 1988 soit 26 ans plus tard à imposer Naomi comme première femme noire en couverture de Vogue Paris.

Alors certes, tout ça c’est de la mode et pas du stylisme, et nous nous étions promis de ne parler que de la réalité, mais constatons qu’en dehors de ce contexte privilégié, et de cette période bien limitée, les attentes sont toujours là.

Si vous vous amusez à vérifier des sites de prêt-à-porter populaires comme H&M, Zara ou même Kiabi (pour consommer local ha ha) vous observerez qu’à moins d’être Rihanna ou Obama, les têtes d’affiche et la cible tirent vers le pâle. En revanche sur du plus haut de gamme comme Asos, on trouvera un soupçon de hâle.

Récemment une polémique autour du terme « nude » (= chair) utilisé pour parler de maquillage et sous-vêtements soulignait la vision chromocentrique de l’idéal de peau nue, selon les marques. Jetez donc un œil à cette vidéo : Black Women Try « Nude » Fashion

Absence de représentativité, confusion et négation des individualités.

Fifty shades of Beyoncé
Fifty shades of Beyoncé

L’idéal de beauté à l’occidentale, dans sa candeur, sa maigreur et sa monotonie, déteint fortement hors de nos marchés. Les client-es que nous sommes, volontairement ou pas, collé-es en permanence devant des écrans se laissent facilement formater par des messages harcelants. En témoigne aux Etats-Unis le phénomène appelé « internalized racism ». Dénoncé en son temps par un certain Malcolm X, qui fut aussi adepte du défrisage, le principe est d’exposer un/plusieurs sujet-s à une incessante propagande de haine envers soi-même par l’intermédiaire de n’importe quel moyen et discipline (littérature, musique, cinéma, mode…)

La version actuelle n’en est pas moins inquiétante, avec des ados paumés qui diffusent sur Youtube des messages de honte et d’excuses pour être nés de la mauvaise couleur, avec la mauvaise qualité de cheveux ou grain de peau. Dans la même idée de psychose on se souvient tous de Beyoncé qui pour l’Oréal est devenue blanche et rousse, soulevant l’inquiétude des moins influençables et l’émulation des plus vulnérables. Toujours à propos de cette désolidarisation auto-infligée, mais en Afrique cette fois-ci, les crèmes éclaircissantes font à nouveau débat. Très utilisées dans plusieurs pays de l’ouest et du centre du continent, elles viennent d’être interdites en Côte d’Ivoire. En dehors du facteur santé -ces produits causant notamment des tumeurs- l’obsession du modèle blanc fait toujours peser son ombre.  La course à la perfection selon des canons marketés concerne des thématiques de profondeur. À quel point se laisse-t-on conditionner, dissocier de la réalité individuelle de chacun, et où s’arrête la passivité des publics? Faut-il ré-apprendre à identifier son apparence selon un critère ethnique sans sombrer dans aucune forme de racisme, et comment?

Les réseaux sociaux, champs de bataille marketing désormais incontournables, réussissent parfois à surprendre d’un point de vue riposte. Ainsi des pages, des blogs ou des sites tels que Aime-toi beauté noire ou Diouda pour toutes les beautés du monde proposent des conseils et une contre-iconographie, célébrant d’autres parties de l’Humanité. Montrer, se montrer, exposer l’alternative et légitimer toutes les formes, toutes les nuances. Discours qui semble naïf et qui pourtant ne parait pas si évident à appliquer. Si l’on se penche sur les hashtag malheureusement populaires du moment comme #blacklivesmatter et #translivesmatter, on se rend compte que tout est encore à faire, dans tous les domaines. Car rien n’est anodin, les racismes, sexismes et genderismes latents dans nos gestes quotidiens sont aussi important que leurs multiples impacts.

Nous sommes tous sollicités constamment, et machinalement habitués à ne pas prêter attention. Pourtant de la nature des matériaux et procédés qui se cachent derrière un produit, au support qui va nous convaincre d’acheter ce même produit, tout est calibré, étudié, imposé.

Le style comme expression d’opinions, disions nous en avril dernier…

La diversité à Lyon, quelle est situation locale?

Ici à Lyon, la multitude et le brassage ne sont pas des notions nouvelles. Cependant côté services, la ville n’est pas spécialement championne en quantité de l’offre, mais pourrait se défendre en qualité.

Plutôt épouvantés par les nombreux « salons » auto-proclamés, et ayant trié parmi ceux qui ont au moins leur nom sur un annuaire professionnel (une dizaine), nous avons choisi d’interroger des lyonnaises.

Points de vue de consommatrices autochtones qui vivent à leurs propres rythmes et  styles.

Melissa

On peut dire que je m’habille à l’européenne, mon copain aussi. Nous achetons nos vêtements auprès des grandes enseignes, les produits de beauté sur internet et pour mes cheveux je recommande le salon Métamorphoses à Vaulx-en-Velin. C’est tout public mais ils sont très informés, spécialisés et compétents sur les types de cheveux comme le mien. À travers mon apparence je ne revendique aucune particularité pour ma couleur de peau. Je préfère manifester mon caractère. Je ne prête pas attention au fait que les publicités ou une vitrine mettent en avant des noirs. Ce n’est de tout façon pas mon corps qui est représenté. Si je dois acheter j’achète, c’est mon pouvoir.
En revanche pour les occasions où j’aime exprimer mon bagage culturel j’ai des difficultés à trouver des tenues traditionnelles sur Lyon. Je dois m’adresser à une couturière et ça coûte cher ou alors tenter à l’aveuglette un achat sur internet.

Françoise

Je m’en fiche un peu qu’il y ait des mannequins noirs dans les vitrines, je sais qui je suis et j’ai des goûts précis, je ne m’impose aucune barrière. Je ne ressens pas le besoin de célébrer une quelconque particularité,  je suis noire c’est pas nouveau pour moi, ni exceptionnel. Je pense m’habiller comme une française moderne. Mes produits de beauté je les trouve sur internet, mais j’achète tout aussi facilement les marques grand public.
Les gammes pour cheveux afro que j’achète en supermarché me donnent satisfaction. Je prends soin de moi sans difficultés. Cependant la ville manque cruellement d’un VRAI salon qui offre des réels services de mise en beauté pour peau noire, avec des produits et des techniques bien spécifiques appliqués par des professionnels.

bonda
Melissa, Françoise et leurs avis.

Nawelle

Je déplore un peu le manque de différences sur les mass médias, je comprends qu’on puisse se sentir exclus alors que l’argent n’a pas de couleur! Pour mes cheveux je n’hésite pas à me déplacer jusque dans la Nièvre, j’ai trop été déçue et pas assez écoutée. J’y achète mes produits d’ailleurs. J’aimerais juste qu’on respecte les problématiques de texture et de sensibilité. Je ne suis pas fana des recettes de grand-mère maghrébine, je suis typée mais pas crépue. Je préfère investir dans des soins professionnels et j’en attends beaucoup, je voudrais pouvoir faire confiance à des pro dans ma ville, après tout on paye pour un service comme tout l’monde. Mes vêtements je les prends auprès des grandes enseignes, et je pense que de voir en exemple certains modèles sur des peaux qui me ressemblent pourrait m’aider à gagner du temps et ne pas acheter un truc qui me fera un teint maladif!

Charlène

Petite, des voisines africaines ont imposé leur « science » à ma maman et mes cheveux n’ont plus été les mêmes. J’entends toujours dire « vous avez de la chance une perruque et c’est parti ». J’avoue que les postiches en plastique vendus au kilo ne m’enthousiasment pas vraiment. Etant métisse j’essaie de faire attention à ne pas abîmer mes cheveux et prendre soin de ma peau sans être non plus super informée. J’ai eu aussi des accidents de défrisage quand j’étais ado, et me suis confrontée à des coiffeurs qui n’avaient jamais touché de cheveux « différents ». Comme je trouve l’offre limitée et pas fiable, je compte toujours sur ma mère pour des recettes naturelles. Les produits du supermarché ça peut aller, mais c’est plein de trucs qui m’inspirent pas confiance. Les pseudo boutiques qui vendent tout et n’importe quoi non merci. Et se faire livrer des produits d’Afrique ou d’Amérique c’est cher, puis c’est un peu la roulette russe. J’ai remarqué qu’il y a quand-même un peu plus de visibilité. En réalité mon souci c’est pas tant la couleur de tel ou tel top model, mais plutôt le diktat des tailles!

Couleurs, genres, et volumes, comment démanteler la pérennité des discriminations?

L’Industrie dessine encore des cases et les réponses aux éternelles problématiques demeurent incomplètes. On nous brandit des cache-misères assez policés, comme en France Leila Bakhti ou Noémie Lenoir. Mouais, à quand des gens qui ressemblent à nos voisins, amis, parents, proches? Doit-on se contenter dans un pays comme celui-ci, de moins de 5 visages connus et récurrents pour représenter une richesse au potentiel encore sous-estimé, si ce n’est découragé? Pays phare concernant les mixités qui, nous l’avions vu dans un article précédent, est leader mondial de la cosmétique, mais dont le reflet reste embué par des stratégies de marché.
Les marques de luxe, qui osent aujourd’hui une Luptita Nyong’o ou une Alicia Keys se défendent revendiquant au moins dix années de présence d’une beauté diversifiée. Idem pour les marques de grande distribution qui ont à peine lancé leurs gammes afro-caribéennes et orientales ; à échelle de l’offre et de la demande, une décennie ça reste un peu léger.

Publicité pour du savon, dans les années 1880.
Publicité pour du savon, dans les années 1880.
Publicité 2011.
Publicité Nivea diffusée en 2011.

Encore une fois, nous consommateurs, nous trouvons face à une décision bien plus importante qu’il n’y paraît. Investir, entretenir son style, reste un acte d’une portée certaine, un message, une affirmation ou un refus. Les standards et fantasmes eurocentriques, qui s’appliquaient autrefois aux invasions coloniales, ont su évoluer avec les temps et les mœurs, changer de véhicules jusqu’à s’imposer dans nos garde-robes, nos tiroirs, nos beauty-case.

Offrons-nous du temps devant nos miroirs, au moment de cliquer un paiement, devant un rayon en magasin, et demandons-nous. Répondons-nous à propos de qui nous sommes, selon nos propres inclinaisons et non ce qui s’est imprimé par matraquage. Quelle(s) couleur(s) nous représente(nt) le mieux, sans subir le chantage des clins d’œil délavés d’un mannequin contraint et contrit.

Défaisons-nous du crible d’une Société qui remplit ses poches quoiqu’il arrive, que nous soyons complexé-es ou non.


Photo en Une : Refilwe ‘Vanillablaq’ Modiselle, première mannequin professionnelle albino et africaine.