Seconde partie du dossier – dont vous pouvez retrouver la première ici – avec cette fois-ci 2 films coréens, sortis dans leur pays la même année mais respectivement à 1 et 2 ans d’intervalle chez nous, et pas forcément en salles.
Après avoir exploré dans la première partie du dossier le rapport entre les hommes, l’océan et leurs navires, cette seconde partie va s’intéresser à une autre facette du film d’aventures montrant les implications psychologiques et stratégiques sur l’histoire (parfois avec un grand H pour Roaring Currents) comme sur ces personnages.
THE ADMIRAL: ROARING CURRENTS : un exploit historique qui a fait des remous…
Leçon d’histoire coréenne méconnue qui raconte comment le général Yi Sun Shin, déchu, emprisonné et torturé par les Japonais après leur invasion de la Corée et une défaite écrasante, a réussi un exploit sans précédent digne des plus grands récits épiques.
Voulant protéger un point stratégique lors de la bataille de Myong Jang, avec seulement 12 navires et son sens de la stratégie, il a réussi à vaincre la flotte japonaise composée de plus de 300 navires.
Pour son quatrième film, Han Min Kim signe une fresque épique et démesurée, rendant hommage à un héros de l’Histoire coréenne et déployant un savoir-faire technique rivalisant sans aucune difficulté avec les péplums des années 2000 de Ridley Scott, le Troie de Wolfgang Petersen ou Alexandre d’Oliver Stone, et tout ça avec un budget inférieur à 10 millions de dollars…
Énorme succès dans son pays, ayant trusté la place du 7e plus gros succès de tous les temps au box-office, couronné par 17 récompenses et 14 nominations, dont évidemment la prestation hallucinante et impeccable du grand Choi Min Sik, que beaucoup connaissent pour son rôle dans Old Boy ou le tout aussi génial J’ai Rencontré le Diable…
Et pourtant, avec un tel pedigree, un film comme ça ne mérite pas les honneurs, hors festivals, d’une sortie en salles sur notre territoire.
Le long-métrage est en effet sorti 2 ans après (l’année dernière donc), pour une vulgaire et anonyme sortie en DTV, et uniquement en DVD, amputée de 18 minutes au passage — sachant que dans les autres pays où il est sorti à la vente (et aussi par la case cinéma au passage), il bénéficie d’une édition Blu Ray.
La première chose qui frappe lors des premières images est l’ambiance mortifère qui règne, rappelant la patte du scénariste John Logan (Gladiator, Penny Dreadful, Skyfall) ou les films de Sam Peckinpah ; et la référence au film culte ayant lui aussi ce parfum de mort sur son récit épique : Il était une fois dans l’Ouest.
Le film s’ouvre sur un diégétique avec, en vignette d’arrière plan, les images de son emprisonnement et des tortures qu’il a subies. Yi Sun Shin est, dans les premières images, littéralement hanté par sa défaite et la mort de ses compagnons ; les dernières troupes coréennes croient en lui pour tenir bon face à la flotte japonaise.
La flotte japonaise, sûre de sa victoire et de sa supériorité numérique, malgré la réputation de l’amiral, engagera alors le combat sans se douter du piège que le détroit va lui poser.
En effet, l’atout qui a permis à l’amiral Yi de gagner se situe dans les courants ascendants du détroit, qui peuvent changer de sens au gré des marées, lieu clé de la bataille, complètement iconisé d’une dimension fantastique dans le film.
Comme nombre de films de batailles avant lui, Roaring Currents laisse une longue mise en place présenter à la fois les personnages présents dans les deux camps, le contexte historique et politique mais surtout stratégique (l’incendie du navire Tortue ou la tentative d’assassinat de Sun Shin), montrant ainsi comment les Japonais malgré leur arrogance craignent la confrontation.
Et passées 45 minutes de film, la bataille du détroit — qui dure plus d’une heure — est mise en scène, d’une manière épique, rivalisant d’inventivité et de générosité à chaque étape clé, bien que parfois elle soit desservie par des effets visuels mal finalisés (dont principalement celui de la fin, digne d’une cinématique).
Sans rivaliser avec le génie du découpage d’un John Woo sur Les Trois Royaumes, cette seule séquence, servie par un score absolument magnifique, arrive à égaler sans aucune difficulté les batailles des récents péplums (dont celle de Baahubali).
Comme je le disais plus haut, la star du film est Choi Min Sik, livrant une prestation hallucinée sous le maquillage ; il suffit de voir la séquence (légers spoilers) des fantômes précédant sa tentative d’assassinat, ou bien lorsqu’il découvre les courants ascendants du détroit dont le son évoque les appels d’âmes en peine — sans qu’il y ait de dialogues, avec un simple contrechamp sur lui —, ou bien encore le matin avant la bataille cette lueur dans ses yeux montrant clairement qu’il est prêt à aller jusqu’au bout, sans se soucier de la mort.
Mention également aux acteurs japonais dont Seung Ryong Ryu, acteur habitué du réalisateur, livrant la prestation impeccable du général Kurushima, armure de samouraï et charisme rivalisant avec Min Sik.
Je vous invite donc à découvrir cette page d’Histoire et ce film sans perdre un instant, si possible en privilégiant la version coréenne du film.
Sea og (Haemoo) : jusqu’au point de non-retour
Première réalisation de Shim Sung Bo, qui avait signé le scénario de l’excellent Memories of Murder de Boong Jun Ho. Sea Fog, ou Haemoo en version coréenne, raconte lui aussi une page assez récente de l’histoire coréenne à travers un fait divers estomaquant.
Sur contexte de la crise financière en 1998, un capitaine de navire est prêt à tout pour sauver son bateau ; il accepte alors le transport d’immigrés clandestins à son bord, sans se douter que plus que le jeu du chat et de la souris que représente cette transaction, c’est surtout la manière dont l’équipage et les clandestins vont devoir cohabiter durant la traversée qui peut dégénérer à tout moment…
Au-delà de son aspect thriller sur lequel beaucoup de journalistes ont vendu le film afin de le classer dans la même catégorie que les films de Na Hong Jin, Park Chan Wook ou Bong Joon Ho (qui est justement producteur), Sea Fog est un film multi-genres qui évolue tout en faisant progresser son récit et monter la tension entre les différents protagonistes.
Autre que le capitaine, on suit surtout l’histoire du jeune Dong Kim, qui va se lier avec une des clandestines et en tomber amoureux ; jusqu’à vouloir la protéger lorsque la situation dégénérera.
La peinture des différents personnages est brillamment exposée dans la première partie, soulignant l’aspect urbain de ces pêcheurs qui dépendent entièrement de leur travail et de leur capitaine pour vivre.
Comme d’habitude avec les Coréens, on évite les stéréotypes pour toujours garder les personnalités de chaque personnage opaques, celles-ci changeant progressivement en même temps que le genre du film ; du drame social de départ teinté d’humour, le film va se transformer progressivement en un thriller paranoïaque teinté de romance ou de survival dans son dernier acte.
Plus que les précédents films de ce dossier, Sea Fog joue avec le navire pour en faire un huis-clos étouffant — et rendant claustrophobe parfois —, à la façon d’un Shining où l’environnement influence l’état psychologique des personnages.
Niveau mise en scène, Sung Bo navigue sous l’influence de celle de Bong Joon Ho, créant une atmosphère changeante, teintée à la fois de lyrisme (le plan sous marin de Hong Mae en train de se noyer) mais surtout n’oubliant jamais sa charge sociale et politique en sous-texte, comme Joon Ho l’avait fait sur ses précédents films (dont Memories of Murder ou The Host).
Il privilégie une mise en scène assez resserrée et collant au plus près des personnages pour mieux les adapter au lieu, à travers des plans leur permettant de respirer (la romance entre Dong Sik et Hong Mae), ou carrément nous étouffer (la séquence du charnier dans la cale ou le 3e acte dans la salle des machines). Il est à noter d’ailleurs que le réalisateur joue avec le personnage de Hong Mae pour la situer toujours séparément des autres clandestins ou des membres d’équipage.
Mais l’autre particularité du film est l’identification via le jeu des acteurs. Leur ambiguïté permanente et certaines de leurs actions (sexe ou violence) font qu’ils sont filmés de façon à ce qu’on garde un regard neutre sur eux, sans le point de vue moral, et il suffit de voir les 5 dernières minutes du film pour que le réalisateur nous fasse comprendre qu’il ne fallait faire confiance à aucun des personnages car tous leurs actes ont été commis sans autre choix ; et forcément avec le discours du cinéma coréen, de la façon la plus nihiliste possible.