En direct de chez soi
Dans la vie, je suis de ceux qui créent. Comme métier. J’écris des spectacles, j’en mets en scène, j’enseigne l’art. En ce moment, je suis donc aussi de ceux qui ont les fesses clouées à leurs appartements, leurs attentes revues à la baisse, leurs agendas rayés de grands traits noirs. Je ne suis pas des essentiels qui se mettent en danger chaque jour, je ne suis pas non plus des télétravailleurs qui s’appliquent à mimer le boulot comme s’ils y étaient.
Par conséquent, tu fais quoi ?
Depuis le début du confinement, les méthodes, les idées d’activités et les injonctions à ce qu’il est bon de faire ou de ne pas faire abondent. Certaines dégoulinent de bonne volonté et de développement personnel, d’autres au contraire sentent le bon jugement qui tache. Alors je fais quoi ? Est-ce que j’écris ? Des tonnes et des tonnes ? Est-ce que j’écris mon Germinal, mon Swann ? Est-ce que je fais mon pain, du yoga, une cure de sébum, un cours en ligne d’espagnol niveau « faux débutant », des bricolages à partir de rouleaux de PQ, une playlist que personne n’écoutera ? Est-ce que je ne fous rien ? Parce qu’il va bien falloir en faire quelque chose, de tout ce temps.
Le besoin d’être créatif parce qu’on peut
Mais est-ce qu’il faut vraiment en faire quelque chose, de tout ce temps ? Est-ce que c’est comme ça que ça marche ? Est-ce que ce n’est pas, même, l’inverse ? J’ai un jour entendu un auteur amateur demander à un auteur qui n’était pas amateur, comment faire. Comment faire pour écrire, pour trouver le temps, pour avancer, quand on est pris du matin au soir, quand on n’est jamais seul ? Eh bien, l’auteur a dit qu’il ne fallait pas avoir le temps. Qu’au contraire, il fallait écrire dans les interstices, dans les petites minutes de liberté. Que le vide du calendrier ne coïncidait pas forcément avec le plein du carnet. Alors est-ce que c’est vraiment la meilleure idée que de se visser à son bureau et de se dire « Allez, maintenant, Patrick, au boulot ! » ? J’ai dit Patrick, mais ça marche aussi si votre prénom n’est pas Patrick. Est-ce que faire ça, ce n’est pas plutôt le meilleur moyen de compter les rainures dans le mur en se disant que, décidément, nous ne sommes pas de vrais créatifs, puisque les vrais créatifs, eux, sont… créatifs.
On ne risque pas de leur faire bouffer leurs journaux de confinement ?
L’autre problème, c’est l’exposition de cette créativité. La crise sanitaire de type 2020, à la différence des précédentes, est sans cesse publique, sans arrêt relayée. Confinés mais pas seuls, nous buvons en visio, nous analysons au téléphone, nous chantons par webcams interposées. Et là commencent les jolies initiatives créatives. Les chanteurs de feu de camp de ton arrondissement postent une reprise par jour, les artistes mettent leurs œuvres à dispo… et les auteurs se mettent à écrire des journaux de confinement. Paf ! Pour « faire quelque chose de cette période », sûrement. Engagés, positifs, rêches, poétiques, ils ont tous une valeur certaine. Une valeur de journal. Est-ce que, pour autant, toute littérature de confinement est bonne à partager ? Spoiler alert : non. J’ai moi-même – il est grand temps qu’on parle de moi – griffonné quelques phrases sur ce mode, et ça n’avait pas franchement d’intérêt. En tout cas, ça ne disait rien de notre situation qui n’avait déjà été dit.
Non mais, madame, je n’ai rien contre les gens qui s’expriment !
Je ne cherche pas à dire qu’il ne faut pas écrire, pas créer, pas composer. Il y a des choses magnifiques qui sortiront de tout ça. Ce que je dis, c’est que nous vivons la même chose. Jean-Jacques du 16e, auteur expatrié dans la baie de Somme, et moi-même vivons la même chose. C’est peut-être la première fois que ça arrive, d’ailleurs. Avec une différence dans les circonstances, nous vivrons tous de la frustration, un retour à l’essentiel, et parfois de la joie. Comme s’en amuse l’auteur Sorj Chalandon dans cette vidéo, l’auteur qui, pénétré, va relire Proust pour raconter son confinement, franchement, non… Ce n’est pas obligé. Pour moi, le fait de dire qu’un artiste doit forcément créer quelque chose de son confinement, c’est une injonction aussi débile que les memes grossophobes et les tweets sur le manque de volonté de ceux qui ne feront rien de ce confinement. Si tu crées, tant mieux. Si tu es le nouveau spécialiste de la tarte au citron, si tu relis Harry Potter, si tu fais du coloriage, si tu regardes par ta fenêtre… tant mieux aussi.