Sorti en salles le 31 août 2016, le premier long métrage d’Uda Benyamina a brillé au dernier festival de Cannes, jusqu’à ravir sa Caméra d’or. Divines retrace le parcours de Dounia, une adolescente qui concentre les stigmates qu’une société a produit et qui lutte sans cesse pour les retourner. Retour sur ce film taillé à l’image de son héroïne, véritable diamant brut.
Des abîmes aux cimes
Dounia, en arabe, signifie « la Terre ». Pourtant, cette jeune fille-là ne rêve que d’une chose : toucher les étoiles. Consciente que son « BEP accueil » ne la mènerait pas plus loin qu’à être un « larbin de la société », comme elle le dit elle-même, ce petit bout de femme rêve d’une richesse aussi grande que la pauvreté dans laquelle elle s’enlise. Fille d’une mère célibataire, alcoolique et démissionnaire, celle que le quartier appelle « la bâtarde » vit dans un bidonville sans eau courante. Son seul repère, c’est son amie Maimouna, la fille de l’imam avec qui elle partage ses folles aspirations et à qui elle confie son mauvais rêve récurrent, celui de tomber sans jamais toucher le sol.
Mais Dounia a soif de vivre et veut faire profiter Maimouna de son élan. Elle l’embarque dans ses petites combines, souvent en marge de la loi. C’est alors qu’elle fait la rencontre de Rebecca, une dealeuse respectée, qui se paie des vacances scabreuses en Thaïlande avec l’argent de sa drogue. Des cités mitées aux quartiers rouges, c’est une toute autre mondialisation qui se donne à voir pour Dounia, loin des programmes Erasmus et des stages à l’étranger. Elle aussi veut sa part du gâteau global et elle est prête à tout pour l’obtenir.
Une identité bancale
Des vols de babioles en supermarché, Dounia passe au crime organisé. Fini la vente illégale de bonbons et briquets dans la cour de récré : Rebecca devient celle qui reconnaît sa vivacité d’esprit jusque-là ignorée dans son BEP, et elle l’exploite désormais pour son propre compte. Mais ce changement d’échelle a un prix − le goût du sang. Devenue malgré elle le larbin de Rebecca, Dounia n’hésite pas à se faire défigurer par des clients tentés de voler la came de sa matrone. Le visage rouge mais le sourire aux lèvres, l’héroïne accumule les coups de poing et multiplie les gros coups, pour gagner toujours plus d’argent.
Face à ce personnage presque robotique que la jeune fille se construit, une autre facette d’elle-même ne cesse de se présenter. Si chaque droite enterre toujours plus ses émotions, elles renaissent en Djigui, le jeune agent de sécurité du supermarché et danseur autodidacte. D’abord moqueuse et distante, Dounia se laisse peu à peu approcher par ce garçon qui la trouve atypique, électrisante. C’est d’ailleurs par attraction-répulsion que le tandem évolue, comme pour rappeler l’état de tiraillement interne de l’héroïne.
Un triptyque infini
Cette schizophrénie latente poursuit la jeune fille, déchirée entre une ascension hors-la-loi, contraire à ses propres valeurs, et le parcours sinueux d’une adolescente qui se découvre aux yeux d’un autre. À chaque fois qu’elle voudra retrouver le chemin d’une existence plus douce, Dounia se retrouvera empêtrée dans le cercle vicieux de Rebecca, qui la dresse en alternant flatteries et menaces. Chaque porte qui se ferme lui donne envie d’en ouvrir une autre, en vain.
Face à l’inconfort amoureux et sans modèle familial, la jeune fille enfile son costume de dealeuse indestructible. Face à la violence inhumaine qu’elle n’arrive plus à encaisser, l’adolescente retourne à Dieu, dans une prière musulmane qu’elle entend dans un vertige ou à qui elle demande pardon dans une église. Dans ce triptyque sans fin, c’est le sacré qui change maintes fois d’objet : l’amour, l’ascension sociale, la vertu. Dans une société sans issue, Dounia ne sait plus comment s’y prendre pour sortir de ses impairs et de ses impasses.
Du commun à défaut de cohérence
Dans ce film, Uda Benyamina ne donne pas seulement à voir la contradiction. Elle a le mérite d’établir des passerelles, parfois même des zones grises. Il faut ici souligner le rôle incontournable de la bande originale, un personnage à elle toute seule. Divines commence par le chant d’une prière musulmane, pour être ensuite traversé par des chants chrétiens (Mozart, Haendel, Vivaldi), puis ponctué d’électro et de rap, le tout dans un jeu de miroirs et d’analogies brillant d’intelligence.
La zone grise, elle, se donne à lire tout au long du film et est consacrée comme un point d’orgue dans un dénouement que je vous laisse découvrir. Divines retrace le parcours d’une jeune fille dont la situation de départ semble condamner tout futur décent. N’ayant que sa rage de (sur)vivre qu’elle porte à bout de bras, Dounia fait des choix et des erreurs, fonce tête baissée aussi bien qu’elle tâtonne, s’engouffre dans l’argent facile pour ensuite chercher à le fuir dès que possible. Ici, rien n’est tout blanc ou tout noir : on ne voit plus que des nœuds, et choisir un camp devient de plus en plus insensé. Divines est la photographie d’une réalité qu’on ne peut pas voir tant elle est insupportable et paraît inextricable.
Ce long métrage dresse ainsi le portrait d’une jeune fille déchirée entre course au succès et urgence du bonheur. Uda Benyamina qualifie Dounia et ses consœurs de divines. Finalement, ne serait-elle pas aussi un peu comme tout le monde ?