Épisode 3 de notre exploration de la vie créative en confinement. Comment être un artiste en des temps pareils, troisième prise.
Teddy Elbaz, musicien et arrangeur
Peux-tu te présenter et présenter ton activité/ta pratique ?
Je suis musicien (claviers, machines) ; arrangeur/réalisateur ; technicien son en studio et en concert ; pédagogue en musiques électroniques, son et piano/claviers.
Quel impact a eu le confinement sur ton travail sur le plan pratique (maintenant et dans les prochains mois) ?
La première chose importante concerne les cours que je donne. L’école de musique dans laquelle je travaille (l’Atelier musical du Chapoly) avait pris les devants, et a fermé quelques jours avant la demande officielle de confinement. De la même façon, il est difficile de maintenir des ateliers de pratique de groupe, comme ceux que je donne à la Maison pour tous des Rancy. Et enfin, des ateliers de création électronique étaient prévus pendant les vacances scolaires avec des jeunes de 10 à 15 ans. Je devais les animer avec Leslie Morrier au Périscope, et ils seront a priori reportés à la saison prochaine. Rien n’est encore certain.
C’est difficile de trouver un vrai moyen de donner des cours à distance. Je ne pense pas que les « visio » soient une solution et YouTube regorge de ressources d’apprentissage très intéressantes. Pour le moment, j’appelle mes élèves et on échange au sujet de la musique. Certes, on s’envoie quelques enregistrements et partitions, mais à mon sens, nos discussions et l’intérêt que je leur porte est le premier moteur de leur envie de faire de la musique.
En ce qui concerne mon métier de musicien live, pas mal de concerts on été annulés ou reportés. Notamment un solo électro dans le cadre des Nuits sonores, un concert aux Chants de Mars avec Karine Daviet et une première date avec CRIME, un groupe que j’adore et avec qui je travaille déjà à distance depuis un moment. Concernant le studio, plusieurs collaborations et enregistrements sont reportés.
Plus globalement, j’étais en train de monter mon statut d’intermittent. Je pensais avoir mes 507 heures en juillet, mais étant donné qu’une dizaine de cachets me passent sous le nez , ce sera sûrement décalé de quelques mois.
J’ai pu prendre un peu de matériel pour travailler chez moi juste avant l’annonce du confinement. Mais pas mal de machines sont sagement restées aux studios Mikrokosm où je travaille habituellement.
Du point de vue créatif, qu’est-ce que cette situation provoque chez toi ?
Ayant eu la bonne idée de récupérer une partie de mes machines avant d’être confiné, j’ai pu commencer à créer une série de nouvelles compositions, pour le moment exclusivement électroniques. J’ai appelé cette série les Alternate Tales. Pour ceux qui ne le savent pas, une alternate take est une prise alternative à celle qui a été gardée pour la version finale d’un enregistrement. En enregistrant la première de cette série sur mon disque dur, j’ai fait une coquille et tapé taLe au lieu de taKe. J’ai trouvé cette association hasardeuse très judicieuse compte tenu de la situation, somme toute bien alternative et digne d’un conte assez terrifiant.
Pour expliquer plus précisément mon processus de création, il faut d’abord savoir que je n’ai pas d’objectif particulier quand je crée. Je compose le morceau directement sur mes machines en partant d’un geste (rythme, harmonie, ligne mélodique, hasard, thème…) puis je les joue, les enregistre, les mixe et les filme en même temps sans aucun montage sonore. Le mastering est aussi fait à la prise, et parfois, même la composition se fait en même temps.
Le fait de me retrouver confiné en famille avec ma compagne et mon fils me donne avant tout envie d’en profiter. Du coup, je crée de façon très fractionnée, sans pression. Je ne cherche ni à aider/soutenir une cause, ni à faire une performance, le résultat m’importe peu. Je fais les choses par plaisir et envie avant tout. C’était déjà le cas avant, mais cela prend d’autant plus de sens maintenant.
Et pour le collectif ? Quel peut être selon toi l’effet du confinement sur les notions de collectif et sur les métiers d’art en général ?
Je vais essayer de répondre en mon nom, car c’est difficile d’analyser l’effet du confinement de façon générale, sans recul ni communication avec d’autres artistes.
Pour le collectif, c’est vrai que c’est très compliqué, car je n’aime pas franchement les visioconférences ni même le téléphone. Du coup, en ce qui concerne mes groupes, j’ai plutôt tendance à mettre les choses de côté, éteindre mon téléphone et regarder mes mails très succinctement.
En groupe, je travaille surtout avec Zacharie et Karine Daviet mais aussi avec CRIME. Et pour le moment, j’ai plutôt mis les choses en pause que passer du temps à trouver des solutions pour produire à distance. Ce que j’aime dans le groupe, c’est vraiment le temps passé en compagnie des autres. Sans ça, je fais plutôt les choses qui sont proches de mon quotidien.
Ma vie de musicien s’est construite autour de l’accompagnement, que ce soit en studio ou en concert. J’ai toujours accompagné les gens d’une manière ou d’une autre. Depuis un an environ, je développe dans mon coin un solo que j’ai encore peu joué en concert. Ce moment de confinement tombe assez justement dans cette période de vie me permettant de me concentrer là-dessus. Artistiquement et personnellement c’est le point positif.
De façon plus générale, je suis très peu connecté (pas de smartphone ni de télévision, et des réseaux sociaux très restreints), il m’est donc assez difficile d’évaluer ce que les autres artistes font de ce moment de confinement. Je suppose que beaucoup d’initiatives en ligne sont lancées, ce qui est un chouette moyen de rester en lien (d’ailleurs cette interview est née d’un contact en ligne).
Alexandre Bussereau, comédien et metteur en scène
Peux-tu te présenter et présenter ton activité/ta pratique ?
Je suis comédien, chanteur dans différents projets (dans les spectacles de La Ruche gourmande ou dans Une vie parisienne par Opéra Montmartre, par exemple) et suis également professeur de théâtre au Cours Florent. Il y a six ans, j’ai créé ma compagnie, Les Chasseurs s’entêtent, dans le but de faire tourner deux opérettes que j’ai mises en scène, La Veuve Choufleuri et Une demoiselle en loterie. J’assiste également Alexis Meriaux sur les spectacles du Casino Barrière de Lille.
Quel impact a eu le confinement sur ton travail sur le plan pratique (maintenant et dans les prochains mois) ?
Objectivement, le confinement a réduit à néant toute activité ou tout espoir d’activité jusqu’en septembre minimum. Les dates de tournées, le Festival d’Avignon, les dates de cabaret, les cours de théâtre, tout est supprimé. Difficile de savoir si ces dates seront reportées ou tout simplement annulées.
Du point de vue créatif, qu’est-ce que cette situation provoque chez toi ?
Depuis le début du confinement, je n’ai pas vraiment le courage ni l’envie de créer, et les petites déceptions à chaque annonce d’annulations n’aident pas. Je prends tout de même le temps de faire des choses que je n’ai jamais le temps de faire, d’abord me reposer. J’ai tardivement commencé à me demander si je peux profiter de ce temps pour écrire, composer, dessiner, lire… Je vais avoir besoin d’un peu de temps pour me projeter plus loin que septembre. J’ai beaucoup d’idées et d’envies, mais je n’ai pas encore pris le temps de les poser sur papier. Ça ne saurait tarder…
Et pour le collectif ? Quel peut être selon toi l’effet du confinement sur les notions de collectif et sur les métiers d’art en général ?
J’ose espérer que ce confinement, cet arrêt de la vie « normale », nous fera prendre conscience des défauts de notre système, et que l’individu, le collectif et les gouvernements sauront tirer des leçons de ce que nous vivons… Beaucoup de questions et de réflexions naissent sur les réseaux, des observations écologiques, humaines et économiques sortent, et c’est peut-être pas plus mal. En ce qui concerne les métiers de l’art, je pense qu’une jolie vague de création se met en place pour chacun d’entre nous à la maison. Peut-être que de nouvelles idées, façons de voir, de gérer, de fonctionner vont naître. Sans parler d’un bouleversement global, j’imagine que beaucoup se demandent s’ils s’imaginent reprendre le rythme effréné d’avant confinement, moi le premier. Espérons que l’art ne paiera pas trop cher ces mois d’inactivité.
Franck Regnier, comédien et metteur en scène
Peux-tu te présenter et présenter ton activité/ta pratique ?
Bonjour Cléo ! Je m’appelle Franck Regnier. J’habite à Corbas à coté de Lyon. Je suis comédien, metteur en scène et directeur artistique de la Compagnie Nandi. J’ai aussi la chance de m’occuper de la programmation d’une « minisaison » culturelle (cinq spectacles par an) dans un lieu que j’affectionne tout particulièrement en Drôme provençale. Je suis dans le métier depuis maintenant plus de 10 ans.
Quel impact a eu le confinement sur ton travail sur le plan pratique ?
Je dirais que cela dépend de la « fonction ». En tant que comédien, tout est quasiment à l’arrêt. J’apprends quelques textes pour des spectacles dont les répétitions devaient débuter pendant le confinement. Je lis des futurs projets. Mais cela ne peut remplacer le travail au plateau et les représentations. En tant que metteur en scène, j’ai terminé le choix de ma future création. Je réfléchis donc à la scénographie, aux choix des comédiens, à la musique…
Finalement ce qui me prend le plus de « temps », c’est d’être à la direction d’une compagnie de théâtre. Une fois passés les différents aspects administratifs, qui sont très longs, il y toujours la partie diffusion qu’on tente de faire exister malgré tout. La chargée de diffusion étant en chômage partiel, je m’occupe donc de cette mission (que je n’affectionne guère, d’ailleurs !). J’ai la chance aussi de travailler avec une société de production et de diffusion qui m’épaule grandement pour cette tâche.
Nous devions faire le Festival d’Avignon cet été avec notre nouvelle création, Porc-Epic. Là aussi il y a eu quelques réajustements à faire suite à l’annulation. Enfin, je commence à peaufiner la programmation de la saison culturelle pour 2020-2021. En conclusion, je dirais que je suis à l’arrêt à 75 % tout en tentant de maintenir la structure et en anticipant sur la saison à venir…
Du point de vue créatif, qu’est-ce que cette situation provoque chez toi ?
J’ai beaucoup de mal à être dans une dynamique de création. J’ai la chance d’avoir un enfant d’un an et demi… et finalement, c’est ce qui prend le plus de temps ! Le coté artistique est passé après le coté familial… même si cela n’est pas toujours évident. Il y a un manque d’échanges, de créativité, et donc une vraie difficulté à se projeter concrètement sur des projets.
Et pour le collectif ? Quel peut être selon toi l’effet du confinement sur les notions de collectif et sur les métiers d’art en général ?
Se poser des questions sur l’intérêt de ce que nous créons. Quel impact notre création aura-t-elle ? Divertir ? Instruire ? La culture est évidemment un vecteur d’épanouissement, d’échanges, de questionnements… Mais en cette période, je me pose aussi la question de ce que nous devons apporter. Pour le collectif, j’espère que la notion de solidarité en sortira vainqueur. Et plus largement, il y aura la question de ce que tout cela modifiera dans notre mode de pensée, de consommation, de production… mais c’est là un tout autre débat, long et passionnant !