Tu es chez toi. Depuis longtemps.
Tu réfléchis, tu t’occupes, tu travailles, peut-être. Mais en tout cas, tu te confines. Comme tous ceux qui le peuvent, tu te mets à l’abri. Les métiers de la culture sont touchés de plein fouet par la crise du Coronavirus, parce que non essentiels, parce que sources de rassemblement.
Et en même temps que les artistes et techniciens du spectacle se retrouvent cloîtrés chez eux, la culture n’a jamais été aussi essentielle pour tenir la barre, pour tenir bon, pour s’occuper, pour patienter, pour garder le moral. Artiste moi-même, je suis allée à la rencontre (virtuelle) d’autres créatifs pour savoir ce que cette situation leur fait, à eux et à leur carrière. Alors, impuissants ou inspirés ? Fatigués ou énergisés ? Créatifs ou passifs ? Dans la série « Artistes en confinement », nous poserons les mêmes questions à des artistes très différents pour prendre la température. 1er article, 2e semaine de confinement, c’est parti.
Antoine Soret, musicien
Peux-tu te présenter et présenter ton activité/ta pratique ?
Je suis batteur pour différents groupes, et compositeur/beatmaker dans le milieu « hip-hop ». Je suis professionnel depuis maintenant cinq ans.
Quel impact a eu le confinement sur ton travail sur le plan pratique ?
Le confinement a eu plusieurs impacts directs sur mon travail. Déjà, tous mes concerts en tant que batteur ont été annulés, jusqu’au mois de mai. Idem pour toutes les sessions studio, enregistrements. En revanche, je peux me focaliser sur mon travail de compositeur/beatmaker car j’ai un home studio chez moi. Je vais me concentrer sur ce travail de compo pour les prochaines semaines.
Du point de vue créatif, qu’est-ce que cette situation provoque chez toi ?
Je joue absolument tous les jours d’habitude, donc je suis forcément un peu frustré. De ne pas pouvoir jouer et surtout de ne plus faire de scène. J’avais de très beaux concerts à venir ces prochaines semaines… En revanche j’ai pu remarquer, dans mon entourage professionnel comme chez moi, une réelle concentration sur la composition. Je dirais même que le confinement nous donne du temps. La créativité est vraiment boostée. Je reçois des demandes de rappeurs pour faire des prods presque tous les jours, je compose des nouveaux sons à distance avec mes différents groupes, et je vois plein de videos maison de morceaux fleurir sur les réseaux de mes amis.
Et pour le collectif ? Quel peut être selon toi l’effet du confinement sur les notions de collectif et sur les métiers d’art en général ?
Je pense qu’avec les technologies actuelles il est très facile de bosser à distance, y compris dans le domaine musical. J’ai l’impression que l’un des rares aspects positifs du confinement pour les artistes est le fait de pouvoir, pour une fois, consacrer 100 % de notre temps à la notion purement artistique et créatrice de notre métier. Même si bien évidemment on va devoir se passer du partage humain et de la répétition live qui sont essentiels, j’ai la sensation que beaucoup de musiciens ont vite adopté la méthode de création à distance, et plein de belles choses naissent de ça.
Jordan Clermidi, régisseur son
Peux-tu te présenter et présenter ton activité/ta pratique ?
Hello, je m’appelle Jordan, je suis ce que l’on peut communément appeler « régisseur son ». Je travaille essentiellement en tournée avec différents artistes, que ce soit en face (le son pour le public) ou en retours ( le son pour les musiciens). Mais je fais également l’accueil technique dans différentes salles de concert. Un peu de studio, et parfois de la « presta », c’est-à-dire de l’événementiel, comme des conférences ou des rassemblements sportifs.
Quel impact a eu le confinement sur ton travail sur le plan pratique ?
Eh bien, l’annulation des tournées, concerts et rassemblements… donc l’annulation de tout le travail prévu sur les deux mois à venir, pour faire simple. Il faut ajouter à cela que le report des dates n’est pas toujours des plus heureux (quand report il y a), ce qui fait que deux tournées qui s’enchaînaient se retrouvent superposées. Ça veut dire que je ne pourrai pas faire les deux, donc à nouveau une perte d’activité. Que ce soit financièrement mais également humainement, je vais y perdre. Je dois dire que ça me rend triste de devoir choisir et donc d’arrêter de travailler avec tel ou tel artiste.
Du point de vue créatif, qu’est-ce que cette situation provoque chez toi ?
J’essaie de prendre ce temps pour avancer sur des projets perso et, dans la limite du possible, essayer de nouvelles choses, de nouvelles techniques.
Et pour le collectif ? Quel peut être selon toi l’effet du confinement sur les notions de collectif et sur les métiers d’art en général ?
Je pense, ou plutôt j’espère, qu’il sera utilisé à bon escient pour créer. Tirer le maximum de cette période d’isolement et de doutes. J’espère aussi qu’il permettra à tout un chacun de réaliser à quel point l’art est important. À quoi ressemblerait ce confinement sans musique, sans cinéma, sans lecture, sans peinture ? Peut-être que cela permettra au « grand public » de se rendre compte de l’impact que nos métiers ont sur leurs vies. Et, utopiquement, peut-être qu’ainsi ils arrêteront de nous « taper dessus » pour un rien. Mais là, c’est un tout autre débat !
Mathilde Mottier, productrice et diffuseuse de théâtre
Peux-tu te présenter et présenter ton activité/ta pratique ?
Je suis productrice et diffuseuse de théâtre. D’une part, je produis ou coproduis des pièces avec la structure Mise en lumière que j’ai créée avec François Vila. J’organise des tournées pour nos spectacles ou pour le compte d’autres compagnies. D’autre part, nous conseillons et accompagnons des équipes qui désirent mener à bien leurs projets. Nous les aidons à anticiper au maximum toutes les étapes de création et d’exploitation d’un spectacle. Je travaille essentiellement sur des spectacles qui se produisent à Avignon durant le festival Off. Cela nous permet de faire venir des professionnels, et ensuite de vendre les spectacles à des mairies, communautés de communes ou théâtres dans la France entière et à l’étranger la saison suivante. Je codirige aussi le festival Oui! festival de théâtre en français à Barcelone, dont la 4e édition s’est déroulée en février dernier.
Quel impact a eu le confinement sur ton travail sur le plan pratique (maintenant et dans les prochains mois) ?
L’annulation ou le report de dates de spectacles vendues depuis plusieurs mois remet en cause un équilibre financier très fragile. Non seulement nous n’avons aucune rentrée d’argent, mais nous n’avons aucune visibilité sur les mois à venir. Si le Festival d’Avignon est annulé, nous ne sommes pas en mesure d’imaginer les différents scénarios de continuité de notre activité.
Du point de vue créatif, qu’est-ce que cette situation provoque chez toi ?
J’ai l’impression de me sentir en suspens. Je suis beaucoup dans l’observation et la réflexion. Je travaille administrativement, mais depuis quelques jours j’essaie d’imaginer quelle activité je pourrais exercer si cette crise m’obligeait à changer complètement mon fusil d’épaule. Je le savais déjà, mais je prends conscience encore plus précisément de la chaîne dont je fais partie et du plaisir aussi que j’ai à en faire partie. Si celle-ci est rompue, je vais devoir en réinventer une nouvelle. C’est vertigineux et je pense que nous allons être confrontés à beaucoup de difficultés, mais je fais confiance à notre sens de l’adaptation.
Et pour le collectif ? Quel peut être selon toi l’effet du confinement sur les notions de collectif et sur les métiers d’art en général ?
J’espère que l’esprit collectif sera grandi et mieux considéré par un plus grand nombre de personnes. En ces temps de confinement, les artistes accompagnent les jeunes et les moins jeunes dans leur quotidien, et permettent d’entretenir le lien social si nécessaire à notre société. Ils permettent aussi, comme cela a toujours été le cas dans notre histoire, de garder des traces de ce que nous traversons. Un grand bouleversement est à venir. Peut-être que des vocations ou reconversions vont naître de ces découvertes et ces partages.