Anathème : « c’est quoi l’amour, c’est quoi être vivant ? »
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Anathème
Anathème @ Julie Berlin-Sémon

Du 15 au 20 mai au théâtre Espace 44, Julie Berlin-Sémon présente Anathème. La pièce de théâtre brésilienne adaptée par l’actrice relate l’histoire d’une femme devenue serial killer par compassion et par amour. Seule en scène, Julie Berlin-Sémon incarne cette femme tueuse qui assassine des hommes pour les délivrer de leurs pauvres existences. Rencontre avec l’actrice qui nous promet un spectacle qui ne laissera pas indifférent. 

La comédienne nous attend dans un café du 6e . Pour l’instant elle passe inaperçue, plus tard elle nous révélera ce que cache vraiment son rôle. Car derrière la personne, il y a un personnage inquiétant qui tue des hommes. Méfions-nous tout de même.

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Anathème @Julie Berlin-Sémon

(Re) découvrir « un ovni textuel »

Nous commençons par interroger l’actrice sur l’origine de ses intentions. « C’est un projet qui date de longtemps, ça fait trois ans que je suis sur le projet. » déclare-t-elle. Ce « projet » c’est celui de l’adaptation d’une pièce brésilienne, d’un long monologue féminin écrit par le brésilien Roberto Alvim, reconnu en Amérique du sud mais encore peu connu en France. « J’ai découvert l’auteur à travers la seule pièce traduite en français : Il faut parfois se servir d’un poignard pour se frayer un chemin. » La comédienne qui est traductrice de métier, maîtrisant le portugais, s’est donc naturellement attelée à la traduction d’Anathème. Elle a tout de suite été séduite par le texte, « j’ai trouvé qu’il y avait un truc vraiment incroyable, la première fois que j’ai lu le texte (…) je me suis retrouvée en face d’un ovni textuel. C’est aussi un monologue donc c’est un super challenge. J’ai mis un an à traduire la pièce. »

L’actrice nous présente avec beaucoup de fierté le projet qu’elle a mené durant ces trois dernières années. « Même si ce n’est pas mon texte, j’ai beaucoup adapté. On s’est mis d’accord avec l’auteur, il m’a cédé les droits de la pièce. » Si traduire c’est trahir, l’actrice tente de respecter tout de même certains aspects du style de l’auteur. « J’ai essayé de respecter son ambiance et sa vision du texte. »

Derrière l’envie de jouer son propre texte et du challenge de jouer seule sur scène, Julie Berlin-Sémon revendique aussi l’idée de faire connaître cet auteur en France. « J’ai envie, à travers ce texte, de faire connaître l’auteur et éventuellement voir si je peux traduire d’autres textes. Il ne peut pas rester connu juste au Brésil, ce n’est pas possible. »

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Anathème @ Julie Berlin-Sémon

« La violence est plutôt dans les mots que dans les images »

La violence est le thème principal de la représentation. Écrite au Brésil, peut-on faire des liens avec notre actualité européenne ? Clamée par une femme seule sur la scène, doit-on faire des liens avec la condition de la femme en 2018 ? S’agit-il d’une pièce sur l’actualité ? Autant de questions que soulève notre époque, autant de réponses de l’artiste qu’il lui est permis de nous révéler, « Il n’y a pas de lien direct avec l’actualité. On a voulu que ce soit en transparence » nous explique la comédienne. « Il y a quelques références au Brésil car je voulais garder cet aspect. Mais on voulait quelque chose d’universel qui pourrait être n’importe où et n’importe quand. » Malgré tout, l’artiste n’est pas dupe. « On pense quand même fatalement aux attentats, mais ce n’est pas assumé. »

L’actrice nous explique qu’elle n’a pas voulu se confronter aux ouvrages de politique ou de sociologie sur les questions de la place de la femme pour créer une pièce vierge de connotation savante et militante. Néanmoins, la place de la femme reste un thème cher à la comédienne. « La pièce ne parle pas tant de la condition féminine. Je ne la vois pas comme une pièce féminine. La femme a un rapport différent à la violence c’est vrai, mais le personnage pourrait être n’importe qui. Ce n’est pas dans la volonté de l’auteur de faire une pièce féministe. » Si la pièce n’est pas féministe, votre interprétation l’est-elle ?  « Pour ma part, je n’ai pas envie que la pièce soit réduite à « c’est une femme qui tue des hommes », le coté féministe de la pièce c’est que la meurtrière pourrait être un homme, ce serait la même chose. Dans cette situation, les hommes et les femmes sont sur un total pied d’égalité. C’est dans ce sens que ça peut avoir un côté féministe. »

La pièce dénonce surtout la société de consommation mais c’est aussi une critique du monde artistique et de celui du spectacle. « Elle cible beaucoup les métiers qui sont dans la représentation. Il y a un vieil acteur, un DJ et surtout des gens qui ont des vies superficielles. »

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Anathème @ Julie-Berlin Sémon

« La mort est la preuve de l’existence de Dieu »

Anathème, le titre de la pièce, a une forte connotation religieuse et est porteur de nombreux sens. Dans l’antiquité, c’était une offrande faite à un dieu, souvent offerte en pénitence. Pour le christianisme, l’anathème est une sentence d’excommunication et de blâme. Cela peut aussi qualifier une personne en marge de la société. Pour l’actrice, c’est « à la fois l’anathème de cette femme contre la société d’une manière générale qui décide de bannir la médiocrité de l’existence, et à la fois l’anathème que l’on peut lancer contre cette femme par rapport à sa vision des choses. »

Si le titre nous renvoie à des références chrétiennes, le contexte d’écriture dans une Amérique latine de culture catholique y va également de ses références. « Dans le texte, l’héroïne nous dit que la mort est la preuve de l’existence de Dieu. Pour elle, c’est même un Dieu miséricordieux car être immortel serait une condamnation. »

Pour autant, ce n’est ni une pièce sur la religion ni une pièce catholique. « On a enlevé des passages qui parlaient trop de religion, on ne savait pas quoi en faire (rire), je pense que c’est plutôt à prendre dans un sens plus global, que juste religieux. »

« Le but de ce texte c’est de se mettre en danger ».

Monter une pièce comme celle-là, n’est pas de tout repos. Anathème aborde des idées fortes et complexes et la mise en scène exploite plusieurs champs disciplinaires comme la danse ou le cinéma. La comédienne nous explique comment elle se saisit de la violence dans la pièce. La violence est surtout dans les mots, car le personnage nous raconte ses meurtres durant les trois dernières années. La pièce se déroule le dernier jour, c’est donc beaucoup de narration. Même si on utilise beaucoup la projection vidéo et photo, on ne voit pas les meurtres. Il y a un peu de sang, c’est tout ce que je peux vous dire (rire).

À le vue des teasers et de l’affiche, on s’attend à voir une représentation très moderne qui dépasse parfois les frontières du théâtre. L’artiste se questionne elle-même sur la nature de la mise en scène. Je ne sais pas si on peut appeler ça performance car ça reste du jeu. Mais j’avais vraiment envie de créer quelque chose de complet qui corresponde au texte. Ce qui m’intéresse c’est comment retranscrire des mots à travers autre chose que des mots. Si elle semble rejeter la définition de performance, elle nous parle en revanche de son investissement physique. Je me suis blessée plusieurs fois, mais je n’ai rien refusé car j’ai décidé de faire entièrement confiance au metteur en scène. Je me suis dit : si je ne fais pas entièrement confiance j’y arriverai pas. Le but de ce texte c’est aussi de se mettre en danger ». 

Les codes de la mise en scène semblent tirés du monde du cinéma plus que du monde du théâtre. « Les films de David Lynch sont mes grandes références. Il y a plus de références musicales et cinématographiques que théâtrales. »

Le drame qui se joue sur scène est donc porté sur une mise en scène moderne que l’on imagine immersive. Le public qui sera dans la salle de l’Espace 44 sera alors peut-être plongé au cœur des troubles de l’histoire. La comédienne nous le confirme sans vouloir trop en dire. « Le public est pris à partie plusieurs fois » après une courte pause, elle précise, « le public rentre dans la pièce d’une manière qui n’est pas classique » Elle sourit et on comprend qu’elle ne nous en dira pas plus. « J’aimerais à l’avenir aller vers quelque chose de plus immersif où vraiment, le public est à l’intérieur de la pièce. Mais pour l’instant, le public reste dans les gradins et moi, je reste sur scène. »

Une Salomé ou une Judith des temps modernes ? Qui est vraiment cette tueuse d’hommes ? Rendez-vous du 15 au 20 mai pour découvrir qui se cache derrière le masque du bourreau et pour savoir peut-être ce qu’est l’amour et ce qu’est l’être vivant.