C’est à l’occasion de sa venue à Lyon à l’institut lumière à l’occasion de la rétrospective consacrée à Federico Fellini, que l’équipe d’Arlyomag a pu s’entretenir avec Steven Spielberg. Fidèle à sa réputation, le réalisateur d’E.T a accepté de nous accorder une trentaine de minutes pour répondre à nos questions. Attention, révélations à la clé !
Monsieur Spielberg, bonjour.
Bonjour, je suis ravi d’être ici. Je ne connais pas Arlyo, mais ça m’a l’air très sympathique.
Merci beaucoup, est-ce la première fois que vous venez sur Lyon ?
Alors, oui, tout à fait, il s’agit de mon premier séjour dans cette ville, et j’avoue que j’apprécie beaucoup. Je compte d’ailleurs y tourner un film prochainement.
Vraiment ? Quel en est le sujet ?
Le sujet en sera Jésus.
Je ne comprends pas tout à fait, un sujet sur le christ, Jésus de Nazareth ? Quel est le rapport avec la ville de Lyon ?
Non, il s’agit d’un film qui va traiter du saucisson lyonnais que l’on appelle le Jésus. Mais effectivement, nous allons nous servir de celui-ci pour créer une analogie religieuse.
Vous avez effectivement avoué ces dernières années que réaliser du cinéma d' »entertainment » ne vous intéressais plus, mais là, si je puis me permettre, le sujet semble assez étonnant si l’on s’en tient à votre parcours cinématographique…
Vous avez tout à fait raison. En fait, c’est dû à ma venue ici pour l’Institut Lumière. J’ai été voir mon ami Bertrand Tavernier, président de l’institut, et je lui ai demandé quels étaient les films qui avaient été appréciés de la critique française ces dernières années. Et là, il m’a montré des exemplaires des Cahiers Du Cinéma, des Inrockuptibles et de Télérama. Et tous étaient d’accord sur une chose, à savoir que le meilleur cinéaste actuel serait un certain Xavier Nolan…pardon, je voulais dire Dolan, j’ai confondu, avec le nom de famille de Christopher.
En tous cas, une chose est sûre, je ne connaissais pas ce cinéaste. Et Bertrand m’a montré son dernier film, Mommy…Et là, j’ai été subjugué. Car je n’ai tout simplement rien compris. Ce film est filmé dans un format proche du format vertical pour ressembler au format de nos téléphones portables ! Quel pouvait être l’intérêt de cela ? Je me lance donc dans la lecture des Cahiers Du Cinéma, revue que j’apprécie au plus haut point mais que je n’avais pas lu depuis au moins plusieurs décennies, soit depuis le départ de ses fondateurs, Godard, Truffaut et cie…Et c’est là que je comprends le génie de ce monsieur Dolan. Ce qu’il cherche, c’est être proche du peuple ! Le choix de filmer à la manière d’un smartphone, c’est une façon d’être plus proche de nous. Et là, j’ai pris une décision très importante : mon prochain film ne sera pas filmé à la manière d’un smartphone, mais directement avec un téléphone. Et comme je ne veux pas que l’on m’accuse de ne pas être proche du peuple, j’ai décidé de le filmer avec un iPhone première génération, pas avec un iPhone 6 ou un Galaxy S5, trop chers pour la majorité des gens.
Mais cela va à l’encontre même de votre cinéma habituel, vous avez été le premier à l’époque à utiliser la Louma, avec le film 1941, vous avez fait parti des précurseurs des effets spéciaux numériques avec Jurassic Park, vous avez même réalisé un film en Performance Capture avec Tintin et le Secret de la Licorne, ne voyez-vous pas cela comme une régression ?
Pas du tout, c’est l’évolution logique de mon cinéma. Je croyais utiliser la technique pour améliorer le médium et rendre mes films plus réalistes, mais ce que m’a montré Dolan, c’est que c’est en utilisant les mêmes outils qu’eux que l’on se rapproche du peuple. Mais pas seulement…Il me faut changer ma méthode d’écriture également. Et là, le fait d’être dans votre pays depuis quelques jours m’a beaucoup aidé.
Que voulez-vous dire ?
Et bien, Dolan, c’est bien, mais c’est québecois. Or, je ne vais pas en France pour découvrir un cinéma fait à côté des Etats-Unis. Je me renseigne et c’est là que je tombe sur le plus gros succès du cinéma français de l’an dernier, à savoir Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? Et là, encore un choc ! J’ai pris la leçon de cinéma de ma vie, d’un point de vue scénaristique, du moins. Vous comprenez ? J’ai passé ma vie à vouloir réparer des injustices, à lutter contre l’intolérance. Lorsque j’ai fait La Couleur Pourpre, Amistad, La Liste de Schindler ou encore Munich. Mais ce que m’a fait comprendre la vision de Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?, c’est que pour dénoncer le racisme, il faut écrire des personnages étant eux-mêmes des stéréotypes racistes. Et ça, je ne l’avais jamais fait, je passais des années, au contraire, à chercher à éviter les stéréotypes et les amalgames. J’ai donc passé tous ces derniers jours à regarder du cinéma français. Et prenez l’exemple d’Intouchables, ce qu’on y voit est exceptionnel, on y trouve un personnage d’homme noir qui correspond à tous les stéréotypes racistes que les gens se font. C’est exceptionnel, le personnage d’Omar Sy vient d’une banlieue, il est définit comme quelqu’un d’inculte, voleur, ayant fait de la prison, et surtout dont le seul but dans la vie est de satisfaire l’homme blanc. Le film se termine d’ailleurs avec le personnage d’Omar Sy qui n’a strictement rien accompli, il a juste satisfait son maître, l’homme blanc joué par François Cluzet. Et pour justifier le racisme dont le film pourrait être accusé, les scénaristes disent qu’il s’agit d’une histoire vraie, ce qui est, tout de même assez loin de la vérité. Aux Etats-Unis, on ne pourrait pas faire un film comme ça. Aucun acteur n’accepterait de jouer un rôle comme celui d’Omar Sy, tous prétexteraient que c’est trop mal écrit, ça ne passerait même pas le comité de lecture, si vous voulez mon avis.
Mais vous, vous y voyez un intérêt ?
Bien sûr, si ce film a eu tant de succès en France, il y a une raison, et Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? aussi ! Les français ne sont tout de même pas tous racisstes !
Et bien…
Non, ils ne le sont pas. Et il semble improbable de se dire que le public n’ait pas compris ces films de la sorte. Vous savez, c’est votre manière d’écrire, je suis tombé sur une annonce de casting, en lisant les Inrockuptibles, et je dois avouer que tout votre cinéma est fait comme ça. Et moi, je pense donc que je dois faire un film français ! Surtout que j’ai déjà fait mon casting.
Et qui sont les heureux élus ?
Omar Sy, forcément, Christian Clavier pour sa prestation exceptionnelle dans Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? et Franck Dubosc.
Franck Dubosc ?
Oui, je l’ai découvert dans Barbecue, un autre chef d’oeuvre de votre cinéma d’ailleurs. C’est un acteur fabuleux, il me fait penser à Paul Newman quand il était jeune.
Et donc, votre film, de quoi parlera-t-il ?
Alors, je ne sais pas si je peux le dire, mais après tout, vous savez, j’apprécie que des jeunes comme vous, se lancent dans le dur métier de journaliste, et je vais donc vous livrer cette exclusivité, pour ArlyoMag, avant de partir car on m’attend pour l’ouverture du festival.
Donc, le film, s’appellera Moi, Le Saucisson Lyonnais et Moi. Il racontera l’histoire de trois amis d’enfance qui se retrouvent par hasard, un jour de pluie, à se réfugier dans un restaurant lyonnais, un…bouchon, c’est comme ça que vous l’appelez. Ces trois amis se retrouvent dans le hall d’accueil car le restaurant est rempli de monde, et là, ils discutent, de tout et de rien. Mais c’est lorsqu’ils vont manger le plat principal, le fameux saucisson dit « Le Jésus », qu’ils vont se rendre compte qu’en fait, ils ont tous toujours été amoureux l’un de l’autre. Mais malheureusement, le personnage d’Omar est musulman, celui de Christian est juif, et celui de Franck est catholique, et leurs trois religions condamnent l’homosexualité, de plus, deux d’entre eux ont l’interdiction religieuse de manger le saucisson qui leur est présenté, alors qu’ils ont faim…
Voilà le pitch de l’histoire, on va tourner ça au smartphone, comme je vous l’ai dit, en lumière naturelle, et dans un style très proche de celui des frères Dardenne, car lorsque j’ai vu Rosetta, Palme d’Or à Cannes en 1999 mais que je n’ai découvert que la semaine dernière, j’ai compris l’inutilité de toute ma technique cinématographique. Il n’y aura donc pas de trépied sur ce film, pas de travelling, pas de grue, pas de steadycam, pas d’effets spéciaux, et peut-être même pas de musique. Je veux vraiment réaliser un film naturaliste. Un film à la française. Et j’espère que mes amis me suivront dans cette voie.
Et bien, monsieur Spielberg, merci pour ces déclarations étonnantes, et merci de nous avoir donné de votre temps.
Merci à vous, et longue vie à ArlyoMag, donc !
Propos recueillis et traduits par Simon Dunkle le 1er Mars 2015 à l’Institut Lumière de Lyon.