Un vent de panique souffle depuis la semaine passée sur les plus grands théâtres lyonnais. Ces derniers sont pourtant habitués aux Premières, mais gageons qu’ils se seraient volontiers passés de celle-ci. En effet, mardi, le C.L.S.T.T., le Comité Lyonnais des Souffleurs de Texte de Théâtre, a déposé un préavis de grève qui a fait l’effet d’une bombe.
Souffleurs… un métier incompris
Ce comité, le plus important du genre avec le Syndicat des Souffleurs Français (destiné aux professionnels de la capitale) a été créé en 1969, à l’initiative de Monsieur H. Aleine-Sembon, célèbre souffleur de verre bien connu des collectionneurs lyonnais, reconverti en souffleur de texte suite à une rencontre avec le directeur du théâtre des Célestins de l’époque, Albert Husson. Depuis sa fondation, le comité défend l’intérêt de ces hommes et de ces femmes de l’ombre, essentiels à la bonne tenue d’une représentation, et qui sont pourtant, encore aujourd’hui, bien méconnus du public.
Dans les faits, les souffleurs de texte sont présents au cas où. Au cas où la mémoire de l’acteur flanche. Pour un mot, ou une réplique, le binôme (un coté cour, l’autre coté jardin) intervient alors prestement pour palier l’oubli, et maintenir l’illusion d’une continuité pour le public.
« Ils mettent en péril toute la saison culturelle »
Les revendications du C.L.S.T.T., (consultables en ligne sur le blog souffleursencolère.org) sont très claires. Le comité réclame en priorité :
- Une meilleure exposition des souffleurs, notamment en demandant que leurs noms soient cités, au même titre que ceux des acteurs, en tête d’affiche.
- Une hausse de leur rétribution bénévole.
- L’inscription dans la convention collective d’un droit au tabouret, qui serait dorénavant fourni par le théâtre receveur.
Mathieu, que nous avons rencontré, nous explique pourquoi il a rejoint le mouvement sans hésiter :
Nous exerçons une profession sans cesse mise à mal, parce que tout le monde préférerait conserver la magie, oublier que nous existons, et croire que les acteurs sont parfaits. Nous nous fichons presque d’être sous le feu des projecteurs, mais le public doit comprendre qu’un acteur sans souffleur c’est comme un sandwich sans beurre, ça perd de sa saveur !
Même son de cloche pour Jocelyne, plus exaspérée encore que son collègue :
Les souffleurs possèdent une vraie technique ! Ce n’est pas suffisant de connaître le texte, il faut savoir pressentir la panne, agir aussitôt, et souffler, pendant un silence, suffisamment fort pour que l’acteur nous entende, mais pas le public ! C’est un peu le 9ème art en fin de compte. Quand je pense à certains acteurs adulés par le public… vous seriez surpris. Je comprends qu’on veuille nous faire taire !
Au-delà d’une revendication syndicale, c’est le monde du théâtre, dans toute son ambivalence au public et à ses petites mains, qui est remis en question. Quelle place est accordée aux nombreuses personnes qui œuvrent chaque soir en coulisses ? Qu’est-ce que l’on cache au public, et dans quels buts ? Souvent décrit comme un milieu fermé, cette mauvaise publicité, ou bad buzz, en termes modernes, n’est évidemment pas du goût de certains.
Pierre, un acteur lyonnais, est très remonté contre ce mouvement :
C’est une grève égoïste. Le théâtre c’est un groupe, une équipe. Et eux, pardon hein, mais pour obtenir une chaise et de quoi se payer un kébab à la fin du mois, ils mettent en péril toute la saison culturelle. Ils ne comprennent pas que le public ne veut pas les entendre. Tout le monde se fout de savoir comment les costumes ont été repassés ou les planches clouées ! Les gens viennent pour un spectacle, pour sortir de leur galère quotidienne, ils veulent s’évader. Leur démarche vient casser tout ça. Si un magicien révélait ses tours, il n’y aurait aucun intérêt à aller le voir ! C’est irrespectueux pour les personnes qui viennent tous les soirs nous soutenir et qui me font vivre.
Foresti et Astier montent au créneau
Le débat a pris une nouvelle tournure, médiatique cette fois, quand Florence Foresti s’en est emparée. Rappelons que l’humoriste, née à Vénissieux, a débuté sa carrière sur les planches lyonnaises du Nombril du Monde. Au sujet de cette grève, elle aurait déclaré, avec sa verve habituelle :
Je pense que les souffleurs n’ont peut-être pas tort.
Un autre très grand acteur lyonnais, Alexandre Astier, interrogé à ce sujet par nos confrères anglophones de « On an Agro », a partagé son point de vue et sa finesse d’analyse :
Non mais ça va, maintenant, arrêtez le cirque, on va pas y passer la journée ! Vous vous rendez compte qu’on parle de « professionnels » qui n’existent que parce que d’autres, les acteurs en l’occurrence, sont trop médiocres pour retenir correctement un texte ? Je vous les ferais tous décarrer autant qu’ils sont moi…
Notons que l’interlocuteur a peut-être été mal choisi, puisqu’il est de notoriété publique qu’Alexandre Astier est un artiste complet : en plus de tenir les rôles principaux de ses créations, d’en écrire les dialogues et les scénarios, de composer leur bande son, de les produire (en partie) et de les réaliser, il se soufflerait également lui-même.
Malgré cette couverture médiatique inespérée, et de peur que le mouvement s’essouffle, une performance publique a été organisée samedi sur la place Bellecour par le C.L.S.T.T., dans le but de sensibiliser les riverains. Au programme, battle d’improvisation de chuchotements, et récitation de vers de tragédies célèbres, soufflés de façon impromptue dans les oreilles de passants choisis au hasard.
Quel que soit le camp que l’on défende, cette grève, à la manière d’un coup de pied dans la fourmilière, a le mérite de questionner. Mais en attendant que la situation évolue, la plupart des représentations sont effectivement annulées. Les services de communication des théâtres invitent d’ailleurs tous ceux qui ont effectués des réservations à se renseigner sur la bonne tenue des spectacles.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Prise d’otage symbolique, ou débat légitime ?
Certains prénoms ont été changés
* Renseignements pris, il n’y aurait, dans cette phrase, aucun message caché démontrant de façon certaine la mise en chantier des films Kaamelott.