En France, il est de commune mesure de dénigrer tout ce qui semble gagner de l’argent. Ainsi, un employé qui gagne le Smic sera considéré comme quelqu’un de meilleur que son supérieur hiérarchique, lui-même considéré comme un ange par rapport au PDG de la société qui sera plus ou moins considérée comme le mal à l’état pur, surtout si son nombre d’employés est grand et surtout si c’est une multinationale. Naturellement, cet état d’esprit s’applique au cinéma. Schématiquement, multiplexe = Evil, cinéma de quartier = Good. Et si c’était un peu plus complexe que cela ?
« Je suis le seul à faire de l’art, mais également le seul à essayer. »
Un cinéaste anonyme ayant obtenu le label « Art et Essai »
Le terme « Art et Essai », comme à peu près tout ce qui fait la déchéance de l’industrie cinématographique française, viendrait, d’après la légende de la bouche de Jean-Luc Godard. Et c’est en 1991 que le gouvernement français en a fait un label pour les salles de cinémas dont les programmes sont composées d’œuvres présentant au moins une des caractéristiques suivantes (source Wikipédia) :
« -œuvres cinématographiques ayant un caractère de recherche ou de nouveautés dans le domaine de la création cinématographique ;
-œuvres cinématographiques présentant d’incontestables qualités, mais n’ayant pas obtenu l’audience qu’elles méritaient ;
-œuvres cinématographiques reflétant la vie de pays dont la production cinématographique est assez peu diffusée en France ;
-œuvres cinématographiques de reprise présentant un intérêt artistique ou historique, et notamment œuvres cinématographiques considérées comme des « classiques de l’écran » ;
-œuvres cinématographiques de courte durée tendant à renouveler par leur qualité et leur choix le spectacle cinématographique.
Peuvent être exceptionnellement comprises dans les programmes cinématographiques d’Art et d’Essai :
-œuvres cinématographiques récentes ayant concilié les exigences de la critique et la faveur du public et pouvant être considérées comme apportant une contribution notable à l’art cinématographique ;
-œuvres cinématographiques d’amateur présentant un caractère exceptionnel. »
En d’autres termes, ce classement correspond à 100% de la production cinématographique et est donc attribué uniquement de façon totalement subjective par le CNC ! Si je vous affirmais que de toute l’histoire du cinéma un seul film a changé à lui tout seul toute l’industrie cinématographique, obligeant les cinémas à changer leur modes de projection ; mais également tous les studios américains à modifier leurs projets, et même en inventant tout simplement une nouvelle façon de faire les films en transformant la façon même dont un métrage est conçu ; et si je vous disais que, sans ce film sorti en 2010, même Jean-Luc Godard n’aurait pas pu réaliser son dernier film : vous me direz que, forcément, le film en question a obtenu un label « Art et Essai ». Et bien non. Pour quelle raison ? Il n’y en a pas, le label « Art et Essai » étant subjectif, il est attribué uniquement aux films que le CNC a choisi, et c’est tout. En revanche, n’importe quel film ukrainien, par exemple, qu’il invente quelque chose ou non, obtiendra le label d’office sous prétexte…bah qu’il est ukrainien. Et c’est tout. En d’autres termes, aller voir un film labellisé « Art et Essai », c’est aller voir un film choisi pour vous, par des gens que vous ne connaissez pas, et qui choisissent à votre place ce que vous devez voir. Amusant, non ?
Cela n’aurait rien de grave si tout une partie du public ne prenait pas pour acquis l’équation suivante :
Cinéma de quartier + label Art et Essai = Bon film
Voire même celle-ci :
Cinéma de quartier = Bon film.
En fait, les chances d’obtention du label Art et Essai sont, la plupart du temps, inversement proportionnelles au budget du film, ainsi qu’à son pays d’origine. Un film américain part donc avec un peu moins de 5% de chances d’obtenir ce label, alors qu’un film russe aura, lui, 95% de l’obtenir.
On se retrouve donc avec des aberrations du système comme le film Persepolis de Marjane Satrapi. Ce film fait partie de ceux ayant été les plus plébiscités ces dernières années sur le circuit « Art et Essai ». Pourtant, sa production a tout d’originale. En effet, alors que toute la promotion a été effectuée autour d’un film français quasi-indépendant se déroulant en Iran, il n’en est rien. Le film est une co-production franco-américaine. Et du côté des producteurs, nous ne trouvons ni plus, ni moins que Frank Marshall et Kathleen Kennedy, producteurs attitrés de Steven Spielberg (alias « le diable » en langage Jean-Luc Godard ou le « trou du cul* » en langage Jacques Rivette) qui ont retirés leurs noms de toutes les affiches et dossiers de presse français pour pouvoir obtenir le succès critique en France et être distribué dans les salles Art et Essai. Et c’est ainsi que le film a pu obtenir en France le succès public et critique qu’on lui connaît. Mais ce chauvinisme ne s’arrête pas là puisque même un film américain (et un peu français, ne soyons pas de mauvaise foi) comme The Artist a reçu des Césars (récompenses décernés aux films français) et a été encensé comme un grand film français. Pour rappel, la nationalité d’un film vient de sa production, et non de ses interprètes (John Goodman, James Cromwell, Penelope Ann Miller, mais aussi Jean Dujardin et Bérénice Bejo, paraît-il). Voici d’ailleurs les propos de Thomas Langmann, son producteur, alors qu’il cherchait, en vain de l’argent pour financer son film dans notre beau pays (source : Premiere) :
« The Artist n’est pas un film entièrement français. On n’a eu aucune aide de la France; même pas l’avance sur recettes. Ils nous ont dit qu’on ressemblait à un film « bling bling ». (…) C’est un comité de copinage qui pense devoir donner de l’argent à des films qui, sans eux, n’ont aucune chance de se faire. C’est triste car The Artist est la preuve que le cinéma d’auteur peut aussi être de qualité. »
Pour en savoir plus sur l’aberration du système de financement du cinéma français et d’Art et Essai, je ne peux que vous conseillez également ce fabuleux article du non moins exceptionnel Rafik Djoumi :
- http://rafik.blog.toutlecine.com/1165/Destins-animes-partouane/
- http://rafik.blog.toutlecine.com/1302/Destins-animes-partou/
Dans ce cas, oublions le label Art et Essai parlons de cinéma indépendant…
Oui, pourquoi pas, mais qu’est-ce que le cinéma indépendant ?
Prenons de nouveau, une définition de Wikipédia :
« Le cinéma indépendant définit l’ensemble du cinéma produit en dehors des conglomérats médiatiques et réclamant une certaine autonomie par rapport aux méthodes de production, conventions et politiques du cinéma populaire.
Par extension, cette catégorie peut inclure le cinéma amateur, les cinémas nationaux, le cinéma expérimental et dans une certaine mesure, le cinéma de genre. »
Donc, grosso modo, le cinéma indépendant serait le cinéma produit à l’extérieur des studios. Il y en a, effectivement, mais beaucoup moins qu’on le croit. Surtout depuis que les studios de cinéma se sont rendus compte qu’il pouvait y avoir du fric à faire avec le cinéma indépendant…euh…Wait…What ????
Les années 2000 ont effectivement vu les grands studios de cinéma se rendre compte que le cinéma indépendant pouvait rapporter de l’argent, et ont donc eu la brillante idée de créer des succursales de leurs compagnies leur permettant de produire des films pouvant se faire passer pour des films indépendants, et récoltant ainsi des billets verts pour le compte des studios. Ces studios s’appellent, entre autres Paramount Vantage, Fox Searchlight, Icon…Quant aux films qu’ils ont produit, vous les connaissez tous, il s’agit des Little Miss Sunshine, Into The Wild etc.
Bon bah…merde…on parle de cinéma d’auteur alors ?
Oui, puisque le cinéma d’auteur sert à désigner les films d’un réalisateur reflétant sa personnalité artistique. Par exemple, Michael Bay, le réalisateur de Transformers 1, 2, 3 et 4, Bad Boys 1 et 2, Rock, Armageddon et Pearl Harbor dont la personnalité artistique transpire à travers n’importe laquelle de ses réalisations. Osez me dire qu’on ne reconnait pas le cinéma de Michael Bay immédiatement ! Oui, Michael Bay est bien un auteur (ça ne veut pas dire que c’est un grand cinéaste. Le terme « auteur » n’est pas censé être forcément mélioratif). C’est pourquoi ces films sont diffusés dans tous les cinémas d’Art et Essai de France et de Navarre…euh…wait…what ????
Non, on me signale que l’on diffuse du Xavier Dolan à la place. Car on reconnaît un film de Xavier Dolan au fait que…son nom est écrit sur l’affiche**. Ah, d’accord, je comprends mieux. Mais alors, cela voudrait dire que tous ses termes sont purement subjectifs. On nous aurait menti ?
Et la critique cinématographique dans tout ça ?
La plupart de ceux que nous qualifierons d’élite intellectuelle auto-proclamée du pays vivent et écrivent leurs papier dans la ville de Paris. Or, contrairement aux Etats-Unis où les célébrités ne vivent pas au même endroit que les journalistes qui écrivent sur eux, les journalistes et les stars françaises vivent tous à Paris. Ils ont les mêmes amis, fréquentent les mêmes bars et les mêmes salles de cinéma. Lorsqu’un cinéaste étranger obtient le label « Art et Essai », il vient également à Paris où il croise les mêmes personnes. Car oui, la plupart des cinéastes étrangers reconnus comme des « auteurs » par Les Cahiers du Cinéma, Télérama, Les Inrocks et France Culture pour la radio, ne sont quasi-exclusivement reconnus que par eux, et ce dans le monde entier. Parfois même parmi les plus célèbres (les films de Woody Allen et de David Lynch doivent leurs succès quasi-exclusivement au territoire français). Aussi, si un journaliste X veut être invité à la dernière soirée beuverie du cinéaste Y, il a tout intérêt à ne pas en dire le moindre mal. Si vous vous demandiez pourquoi au mois d’Octobre 2014 (Google est votre ami pour la recherche), la quasi-totalité des journaux de cinéma ont affichés le même cinéaste en couverture, cinéaste qui fut invité sur tous les plateaux télés, y compris pour parler politique, et bien la réponse est là. Même réponse si vous vous demandiez comment ce cinéaste dont la majorité du monde n’a même pas vu un seul de ces films peut obtenir des critiques à faire passer Orson Welles et Stanley Kubrick pour des tâcherons.
L’effet ne se fait donc pas attendre et la partie du public français qui lit les magazines en question ne va pas tarder à encenser les mêmes films, quand bien même ils n’ont aucun argument pour les défendre (il faut dire que pour leur défense, ils n’ont pas été invités aux mêmes soirées).
Saviez-vous que de la fin des années 1990 à la première décennie des années 2000, il était considéré que le plus grand cinéaste vivant s’appelait Abbas Kiarostami ? Rien à voir avec le groupe de musique Abba. Vous n’avez jamais vu un seul de ses films ? Normal, à part dans les écoles de cinéma françaises (très important de surligner que cela n’a lieu qu’en France), et dans certaines sphères cinéphiliques bien spécifiques, personne n’a vu ses films, et tout le monde s’en contrefout. Pour comprendre pourquoi, il faut retourner à l’origine du cinéma et donc de la critique cinématographique. Chaque décennie a ainsi eu ses courants cinématographiques, avec ses films qui plaisaient aux spectateurs, ainsi que ses cinéastes. Des cinéastes comme John Ford, Howard Hawks, Charlie Chaplin ou encore Alfred Hitchcock***. Et bien évidemment, ces mêmes cinéastes étaient détestés de la critique auto-proclamée élite intellectuelle du pays. Chose amusante, aujourd’hui, ces mêmes journalistes (bon, d’accord, pas les mêmes, mais leurs descendants) considèrent ces films comme des classiques. Plus proche de nous, pour vous donner des exemples bien concrets. Vous vous souvenez avoir aimé des films comme Die Hard, Predator, Last Action Hero ou A la Poursuite d’Octobre Rouge ? Tous ces films ont un seul et même réalisateur nommé John McTiernan. Tous ces films ont reçus lors de leur sorties des critiques assassines dans Télérama et cie ***** et aujourd’hui, devinez qui retourne sa veste et fait une standing ovation aux films lorsque la Cinémathèque Française rend hommage à John McTiernan ? Les mêmes qui lui ont crachés dessus quelques années auparavant. Eastwood était traité de fasciste par la presse française depuis les années soixante jusqu’à la fin des années 80. En 1992, lorsqu’il sort Impitoyable, quelques vestes se retournent mais très peu. En 2003, à la sortie de Mystic River, ce sont toutes les vestes qui se sont retournées, car Eastwood est et a toujours été un grand cinéaste. Magnifique, notre élite intellectuelle. Allez, le meilleur pour la fin : Steven Spielberg. Insulté de tous les noms durant toute sa carrière par nos amis de la presse. On ira même jusqu’à dire qu’il aurait volé le film à un de ses meilleurs amis lorsqu’il réalise A.I. Taxé d’antisémite alors qu’il est juif lorsqu’il réalise La Liste De Schindler, il va perdre la quasi-totalité de ses détracteurs en 2005 lors de la sortie de Munich, puis il les perdra totalement en 2013 lorsqu’il sera président du festival de Cannes. Et oui, la presse a toujours aimé Spielberg, du moins, c’est ce qu’elle dira en 2013. Et c’est cette même critique cinématographique qui nous dicte aujourd’hui ce que le spectateur est censé aimer ou non.
Bon, c’est bien beau tout ça, mais on devait parler surtout des salles indépendantes face aux multiplexes, non ?
Si on met de suite de côté la théorie selon laquelle multiplexe = méchant, petite salle = gentil, on peut constater plusieurs choses. Tout d’abord, si l’on regarde la liste des établissements classés Art et Essai en 2014 téléchargeable à droite sur cette page (http://www.cnc.fr/web/fr/classement-art-et-essai), on remarque que la plupart des cinémas qui se revendiquent comme Art et Essai n’ont pas cette labélisation. Mais comme on l’a vu, ceci n’est pas un critère.
Si on omet le critère de la qualité des films diffusés, vu que le choix de ceux-ci est purement subjectif, tout comme celui des multiplexes, on ne peut donc pas en faire un critère pour comparer les deux entités, chacun allant dans la salle de cinéma où le film qu’il souhaite est diffusé.
Quels sont les avantages des cinémas indépendants ?
1-Rien que le fait d’y aller nous donne plus de personnalité, ça nous permet de draguer en soirée plus facilement (toi, tu vas dans un multiplexe ? Non, moi, je vais dans le cinéma indépendant Bidultruc, cela va avec ma personnalité hors norme).
2-Donner de l’argent au cinéma indépendant nous permet de nous sentir mieux dans notre peau (« j’ai fait une bonne action aujourd’hui : j’ai été dans un cinéma indépendant »)
3-On peut y voir des films différents.
4-Il n’y a pas de gens qui y mangent des trucs qui font du bruit (popcorn…)
5-C’est moins cher si on va voir moins de 20 films par an
6-Des événements y sont organisés de façon régulière
7-On y diffuse parfois des vieux films dans des copies restaurées
Quel sont les avantages d’aller dans des multiplexes ?
1-Il y a plus de choix dans la programmation, car plus de salles.
2-C’est moins cher grâce au système de la carte illimitée si on va voir plus de 20 films par an
3-C’est le seul endroit où les formats de diffusion des films peuvent être respectés (Imax, HFR, 3D)
4-C’est le seul endroit où les formats sonores des films peuvent être respectés (Dolby Atmos)
5-On est sûr que les employés qui y travaillent sont payés (et oui, car comme au temps de l’esclavage ou à Arlyo, il existe certains cinémas indépendants sur Lyon qui font travailler les gens bénévolement)
6-On y voit des films différents (bah oui, si c’est un argument pour l’un, c’est un argument pour l’autre).
7-Les amateurs d’opéra peuvent y voir des opéras en direct de Paris ou de Londres.
8-On y diffuse des vieux films dans des copies restaurées, à raison d’un par semaine et par cinéma.
Après, ces arguments sont généraux, et comme je n’ai pas envie de citer de noms de cinémas lyonnais, je dirais que je suis conscient que certains cinémas indépendants de la ville sortent du lot par leur qualité de contenu, leur respect du format des films et la qualité de leur diffusion et j’encourage vivement les gens à s’y rendre lorsqu’ils font un tour dans le 7ème et le 8ème arrondissement de la ville.
Quant aux cinémas indépendants non labellisés Art et Essai sur Lyon et qui s’en revendiquent pourtant, que je ne citerais pas mais dont le nom est un acronyme de trois lettres, dois-je rappeler qu’en 2010, ils appelaient à la protestation contre le passage au numérique ?
Ce qui est fort dommage néanmoins, c’est que contrairement à Paris, aucun cinéma de Lyon n’accepte les cartes illimitées des multiplexes. Ne peut-on pas rêver d’une ville lyonnaise où un spectateur paierait, comme à Paris, 20 euros par mois sa carte UGC Illimitée pour avoir accès non seulement aux salles UGC mais également à toutes les salles indépendantes de la région ? Le débat ayant lieu sur la région lyonnaise serait ainsi tout autre. Aujourd’hui, quelqu’un comme moi qui va au cinéma 2 à 3 fois par semaine a intérêt à avoir un sacré compte en banque s’il souhaite n’aller que dans des cinémas de quartier.
D’un autre côté, il est clair que du côté des deux grands groupes de multiplexes français présents sur la région lyonnaise, quand bien même les UGC sont mieux placés et proposent plus de choix, il faut avouer que seul le groupe Pathé cherche véritablement à innover. Ils sont les seuls à avoir de suite adopté la 3D dans leurs salles à la sortie d’Avatar. Puis, ils sont de nouveau les seuls à avoir diffusé les films Le Hobbit de Peter Jackson en HFR******, les seuls également à avoir des salles Imax. Et enfin, ils sont les seuls (cette fois, pas sur Lyon, mais sur Paris) à avoir des salles équipés en Dolby Atmos (pour résumer rapidement, le Dolby Atmos est au son, ce que la 3D est à l’image).
Revenons enfin sur les fameuses ventes de confiseries qui font tant grincer des dents. Il faut savoir que le cinéma, avant d’être considéré comme le 7ème art en 1911, et même plus tard d’ailleurs, était avant tout désigné comme une attraction populaire. Aussi, la confiserie et autre nourriture a toujours accompagné les films, que ce soit dans les cinémas de quartier ou les futurs multiplexes. Et si elle est désormais représentative des multiplexes, c’est donc bel et bien des cinémas de quartier qu’elle est issue. Il est donc étonnant que ceux-ci soient les premiers à s’en être débarrassés. Aujourd’hui, elle est pourtant la raison principale qui fait que le débat multiplexe /cinéma de quartier n’a pas lieu d’être. En effet, si les cinémas de quartier ont du mal à subsister par manque d’argent, ce n’est pas, contrairement à l’idée commune, dû au fait qu’ils n’ont pas assez de fréquentation, mais surtout dû au fait qu’ils ne vendent pas de confiseries. 60 à 70% des recettes des multiplexes sont en effet dues uniquement à la vente de confiserie, et non aux entrées en salles. Si les cinémas de quartier se remettaient à vendre des confiseries aujourd’hui, il va de soi que cela aurait tendance à faire hurler une majorité de leur public, mais admettons que ceux-ci proposent tout simplement de la nourriture qui ne fasse pas de bruit quand on la mange, comme par exemple des fruits secs, ou même des bonbons mous. Il n’y a pas de raison pour que les gens n’en achètent pas. Du moins, il me semble. Car ce qui gêne en soi dans une salle de cinéma n’est pas tant que le spectateur d’à côté mange, mais bel et bien le bruit qu’il fait en le faisant, non ?
Venons-en maintenant à un petit paradoxe, que l’on va appeler l’exception culturelle française (ou alors, ce terme n’est pas de moi). On sait qu’en 2013, 90% du cinéma français n’était pas rentable. En 2014, cela a diminué d’1% puisque le cinéma franaçs n’était pas rentable à 89% (il n’y a pas de quoi s’en féliciter). Comment ce cinéma, et le cinéma d’art et essai, peut-il donc subsister ? Tout simplement parce que le financement de tous ces cinémas diffère de celui des autres pays. En effet, la France est l’un des seuls (le seul ?) pays au monde où le cinéma est à la fois financé par nos impôts à travers le CNC (oui oui, la plupart d’entre nous finançons des films que nous n’allons pas voir au cinéma. Pire, l’autre partie d’entre nous paye pour voir quelque chose qu’elle a financée), et également par…les films américains. Concrètement, c’est parce que beaucoup de monde sont allés voir Spider-man que Non, ma fille, tu n’iras pas danser a pu être financé.
En d’autres termes, c’est parce que les mutiplexes existent que les salles de quartier subsistent.
Bien évidemment, tout ceci est résumé de façon schématique, mais les articles de Rafik Djoumi linkés un peu plus haut permettront déjà de se donner une meilleure vision du système.
En conclusion…
Vous l’avez compris, ce débat m’énerve. Il ne cessera bien évidemment jamais puisqu’il existe depuis la nuit des temps et à propos de tout. Véritablement tout. Mieux vaut aller dans les cinémas indépendants que dans les multiplexes, pour la même raison qu’il vaut mieux acheter ses fruits chez l’agriculteur que chez l’hypermarché ; pour la même raison qu’un chanteur dans sa cave est meilleur qu’un chanteur qui a vendu beaucoup de disque ; pour la même raison qu’il vaut mieux lire un livre russe sur les inégalités sociales entre les fourmis rouges d’Amazonie et les ourangs-outangs que de lire un best-seller ; pour la même raison que…
« Bref, si les gens aiment, je n’aime pas : ça me donne l’impression d’exister. A contre-courant, je suis un vrai rebelle. »
Etudiant anonyme en Arts du Spectacle à l’université de Lyon 2
« Et moi, je suis deux fois plus belle que toi, donc c’est moi, la re-belle »
Star anonyme de télé-réalité.
Ce n’est pas le critique qui fait le film, ni la salle où il est diffusé, ni même son moyen de diffusion. Ce qui compte, c’est ce que vous, en tant que spectateur avez ressenti devant, ou ce que ce film vous a apporté. Que ce soit un moment de détente, un moment de réflexion ou même un moment d’ennui, toute œuvre, bonne ou mauvaise, apporte quelque chose à son spectateur. Il n’y a aucune honte à avoir des goûts similaires ou opposés à ceux d’autrui. Mais on peut éprouver de la honte, en revanche, à ne pas savoir penser par soi-même.
Honte que j’éprouve moi-même puisque j’avoue avoir emprunté ici et là des idées et des arguments qui ne viennent pas de moi, et bien que ne pouvant pas les citer avec exactitude, je remercie toute l’équipe de Capture Mag (anciennement Mad Movies) pour leur inspiration, de leurs premiers textes à aujourd’hui.
Notes :
*«Cameron n’est pas méchant, il n’est pas un trou du cul comme Spielberg. Il veut être le nouveau Cecil B. DeMille. Malheureusement, il ne saurait mettre en scène même si sa vie en dépendait.» Jacques Rivette
**Il n’est pas question de qualité ou non des films cités dans cet article, seulement de style reconnaissable immédiatement, de patte d’auteur. Si Xavier Dolan a un style scénaristique qui peut être reconnaissable, il change en revanche de style de réalisation quasiment à chaque film. Or, on parle ici de style visuel, non ?
*** En 1959, par exemple, le journal Libération écrivait ceci, à la sortie de Vertigo d’Alfred Hitchcock : « Il serait peut-être temps que la critique quinquagénaire aille, elle aussi à son tour, un peu à contre-courant pour démystifier le « génie » prêté à ce bon gros bourgeois gentilhomme qui fait de la métaphysique sans le savoir, en faisant tout bonnement des films d’une honnête moyenne commerciale (…). Je crois utile, dans l’intérêt même du cinéma, de dénoncer le snobisme hitchcockien qui finirait, si l’on n’y prenait pas garde, par paralyser toute tentative des cinéastes français et étrangers vers le thriller, de peur de voir leurs films jugés par rapport à l’étalon Hitchcock (…). J’affirme que mon épiderme est demeuré déplorablement lisse et que mes pores sont restés intacts tout au long de ce film. Et c’est, très exactement, le reproche que je fais à ces Sueurs froides d’Hitchcock qui ne m’ont pas fait suer au sens propre. Mais qui m’ont considérablement fait suer au sens figuré »
**** Critiques de Predator dans Telerama en Août 1987 : « Amateur de belle barbaque, vous êtes servis. En tête du commando, Arnold Schwarzenegger et Carl Weathers. Chaque fois qu’ils se serrent la main, ces deux-là entament une partie de bras de fer.
Dans le commando, rien que du premier choix : un Indien à l’écoute de la nature (vous n’avez jamais vu des paupières aussi musclées) et un Noir très copain avec un Texan sudiste (la chaude camaraderie des vestiaires se rit du racisme quotidien). Le-dit Texan transporte, en plus de son paquetage, sa provision de tabac à chiquer et l’intellectuel du groupe n’a pas trop de tous ses muscles pour trimballer sa collection de bandes dessinées…
Tout ce beau monde est largué en pleine jungle afin de libérer deux otages prisonniers des guérilleros. Les otages sont exécutés, et le camp guérillero complètement détruit ! Alors commence la seconde partie du film : la belle barbaque devient alors bidoche sanglante. Dans sa retraite, le commando est traqué par une créature invisible et terrifiante, une sorte de Nemrod galactique grand amateur de trophées humains.
Les effets spéciaux sur la créature sont très réussis. Contrairement à Stallone, Schwarzenegger a déjà prouvé qu’il pouvait insuffler à ses personnages une bonne dose d’humour. Mais ici, les scénaristes ne lui en donnent guère l’occasion. Outre le fait qu’ils passent sans crier gare du film de guerre au film fantastique, ils accumulent les clichés d’une insondable naïveté.
La créature, par exemple, est douée de pouvoirs surnaturels, en particulier une vision genre scanner, infrarouge, ultraviolette, qui lui permet de repérer à distance le moindre organisme vivant dans la jungle la plus épaisse. Et savez-vous comment Schwarzenegger échappe à son regard ? En se barbouillant la figure de boue.
Pourtant, il y avait sur le plateau un scénariste, un vrai : Shane Black, l’auteur de L’Arme fatale. Manque de chance, il fait l’acteur. »
(Marion Vidal – 19 août 1987)
Pour les cahiers du Cinéma et Positif, le film n’existait simplement pas, ils n’en ont même pas parlé.. Donc, on retrouve une nouvelle critique de Télérama pour Die Hard en 1988:
« Vous croyez avoir tout vu comme film d’aventure ? Zéro ! Piège de Cristal, c’est La Tour infernale au carré, question « Hou, fais-moi peur ». Et Les Aventuriers de l’arche perdue, question bruit. On en sort laminé.
Ca fait « boum ». Ca ne fait même que ça d’ailleurs, durant deux heures. Comme John McTiernan (l’immortel réalisateur de Predator) n’est pas un imbécile, il tente de jouer sur l’humour. Vous savez, celui qui, au 2ème, 3ème, 54ème, 727ème degré, amuse les intellectuels fatigués. Donc c’est rythmé (très) mais c’est bête (vraiment). Les bandits, déguisés en terroristes, sont évidemment des Européens (des Allemands, en l’occurrence) et les autorités légales, des incapables. Seul, l’Homo americanus, solide et invincible, restaure l’ordre… pour mieux passer Noël en famille ! On en veut beaucoup à Bruce Willis. Des Schwarzenegger, Stallone, Norris et autres Steven Seagal, on en a à la pelle. Mais on n’a qu’un seul successeur possible à Cary Grant et c’est lui.
Par pitié, que Bruce Willis retrouve au plus vite Cybill Sheperd dans la seule série américaine valable (Eclair de lune), ou, mieux encore, Kim Basinger dans Boires et déboires de Blake Edwards. Please, Bruce, please. »
(Pierre Murat – Télérama)
Et enfin, Positif, pour Die Hard également :
Le seul intérêt de ce troisième long métrage de John McTiernan (…) réside dans l’interprétation de Bruce Willis (…)N°334, décembre 1988
*****Si le passage au numérique est si important dans la projection de films, c’est pour plusieurs raisons. Certains d’entre vous se souviendront peut-être qu’avant 2010, les films diffusés sur l’écran comportaient des rayures au sein de leur image, et que toutes les 30 minutes apparaissait une tache noire dû au changement de bobine sur l’écran ? La projection numérique a pu effacer cela. Tout en réglant le problème de stockage des bobines qui devenaient difficile à entreposer car devant être mises à l’abri de la lumière et de l’humidité. De plus, la majorité des films étant désormais tournés en numérique dans le monde entier, il est plus logique pour respecter l’œuvre de l’auteur de projeter les films ainsi. Le numérique permet également un relief de meilleur qualité et évite les défauts de pellicules, qui arrivaient parfois sur certaines bobines par le passé. Ecologiquement, il n’y a pas de problème de recyclage, puisque les films arrivent sur disque dur. Et si le passage au numérique a eu un coût évident, qui fut en partie pris en charge par l’Etat pour les cinémas indépendants, il est beaucoup plus rentable sur la durée.
******High Frame Rate : 48 images / secondes. Pour en savoir, lire l’article d’Arlyo paru à la sortie du premier volet de la trilogie du Hobbit sur Arlyo