White Night Rises

C’est l’histoire d’un projet à haute teneur artistique porté par trois indépendants. Domenico Albani (directeur technique), Mathieu Fremont (directeur de production) et Ronan Coiffec (directeur créatif) ont déjà roulé leur bosse au service de gros projets comme Alone in the Dark 5, Heavy Rain ou le plus récent Remember Me. Cette fois, la donne est différente : c’est un all-in. Les trois passionnés injectent leurs économies dans la fondation dOSome Studio à Lyon en 2013, et lancent le développement de White Night, jeu d’ambiance prenant place dans un manoir glaçant (inspiré d’une véritable « mansion » des environs de Boston). Rencontre avec des passionnés qui comptent bien poser une première pierre éclatante à leur édifice.

 Realpolitik

Lorsque Eden Games a fermé, les trois collègues ont décidé de se lancer, comme nous l’explique Domenico Albani, directeur technique d’OSome : « On avait une certaine lassitude des gros studios […] et surtout l’envie de créer notre propre jeu. Parfois, t’as vraiment l’impression d’être une toute petite goutte dans les grosses équipes. Dans une équipe de cent personnes, ton travail, c’est un centième de la production, et donc t’auras participé au résultat final à hauteur de 1 %. » Pas super gratifiant en effet. Ils décident alors de lâcher un certain confort de travail pour privilégier leurs propres idées, forts de leur moteur propriétaire, entièrement créé pour les besoins du jeu : l’OEngine.

Lorsqu’on développe un premier jeu, à fortiori quand on est indé avec peu de moyens marketing, c’est plutôt casse-gueule, il faut l’avouer. En ce qui concerne White Night, c’est assez différent : les trois hommes mènent leur barque avec intelligence et réalisme. D’abord par leur méthode de travail, adaptée à un petit budget, qui consiste à planifier chaque tâche en amont avant d’y agréger des collaborateurs en free-lance. Ronan Coiffec, directeur créatif du projet : « Nous avons recruté une équipe d’indépendants, tous rencontrés sur nos précédents projets et dans les milieux du théâtre et du cinéma. Nous avons commencé par des réunions pour chaque domaine, puis on fixait des périodes de production pour chacun. »

De leurs années au service de projets triple A, les trois hommes ont su tirer les bons enseignements : « Avoir un gros budget te pousse à être moins regardant sur les dépenses, et ça peut vite coûter très cher. Par exemple pour la motion capture : entre le studio d’enregistrement et les acteurs qu’il faut avoir sur place, c’est difficilement accessible aux indépendants. On a pu avoir une session, et c’est clair qu’il fallait ne pas la louper dans la mesure où on ne pourrait pas la refaire. »

Cette manière de travailler en one shot évite les dépenses faramineuses que peuvent atteindre les gros studios. Elle demande surtout un énorme travail de préparation en amont : décortiquer toute la séquence, les animations nécessaires, les actions de l’acteur ou encore le décor. Le processus est réglé tel du papier à musique avant même sa mise en œuvre. Appliquée à l’ensemble de la chaîne de développement, cette méthode permet une réelle maîtrise des coûts.

 Seul dans les ténèbres ?

White Night, c’est l’histoire d’un homme blessé, amené à entrer dans une vieille demeure familiale qui fait froid dans le dos.

La première chose qui frappe est cette identité visuelle à part. Selon Ronan Coiffec, ce choix est tout sauf anodin : « Quand nous avons créé le studio, nous avons dû choisir notre premier projet à développer parmi plusieurs prototypes que nous avions déjà faits. White Night avait plusieurs atouts, en noir et blanc, c’était d’un point de vue production moins cher, et d’un point de vue marketing, un concept fort et qui offre une identité marquée. Dans la “jungle” du jeu indé, il fallait un projet avec un certain charisme. » Alfred Hitchcock, Alone in the Dark, ou encore le cinéma expressionniste allemand, autant de sources d’inspiration artistique pour la création du jeu.

Le gameplay est dans la même lignée. Tout tourne autour des ombres et de la lumière, qui sera votre seule alliée pour avancer dans l’inquiétant manoir, avec pour arme de prédilection… des allumettes. L’aspect cinématographique du jeu, voire contemplatif, est primordial. Ainsi, on évolue lentement : « Le joueur a besoin de sources de lumière pour progresser. Il utilise une boite d’allumettes qu’il a sur lui. Il doit alors “éclairer” son chemin. Ainsi, il peut débloquer des éléments, découvrir de nouveaux lieux. Mais ces allumettes sont fragiles et en nombre limité, le joueur va donc devoir en récupérer, les économiser, ce qui le place constamment dans une situation angoissante. »

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« Si seulement j’avais un briquet »

Difficile d’en savoir plus sur les enjeux et les implications de l’histoire, les trois hommes tiennent à conserver le mystère intact, afin de laisser le plaisir de la découverte au joueur. Une chose est sûre, un soin méticuleux a été apporté à chaque détail, selon le credo d’OSome Studio qui consiste à viser le meilleur dans toutes les strates du jeu, en prenant garde d’éviter les écueils qui peuvent sérieusement décrédibiliser un jeu (les doublages tout pétés), indé ou pas. On peut en tout cas compter sur ce jeune studio plein d’ambition pour nous livrer une expérience inédite et originale. Déjà lauréat de trois prix décernés par le milieu professionnel, c’est peu dire que White Night est attendu au tournant. Mais au vu de l’approche aussi passionnée que minutieuse de ses créateurs, il n’y a pas lieu de s’inquiéter pour l’avenir du jeu comme du studio. Le voile sera levé en septembre.