Semaine 4, épisode 2. Ne cherchez pas la logique, il n’y en a pas. Ces articles sont des témoignages du fur et de la mesure. Je pars à la pêche aux artistes, et je vous envoie un peu de leur pratique, de leur vie artistique confinée.
Faustine Suard, plasticienne
Peux-tu te présenter et présenter ton activité / ta pratique ?
Je suis Faustine, j’ai 29 ans, je vis à Lyon et je suis plasticienne. J’ai fait l’École Nationale de Dijon, et je suis revenue à Lyon après mon DNSEP pour investir un atelier avec 3 autres artistes pendant 2 ans. Une fois cette aventure terminée, j’ai créé des bouts d’ateliers, dans mon appartement et ailleurs.
Ma pratique artistique s’articule autour de plusieurs médiums : vidéo, son, installation principalement. Je travaille autour de la thématique de la maison en tant que symbole. La maison est pour moi un lieu intime, une mémoire, un vestige. C’est un lieu de projection mentale qui peut refléter notre inconscient. C’est assez difficile pour moi de synthétiser tout ça, les mots figent alors que le travail est en mouvement, alors j’aurais plutôt tendance à renvoyer vers mon site , et laisser chacun découvrir !
Parallèlement à ça, je crée régulièrement des visuels et vidéos pour d’autres artistes (art plastique, théâtre, musique).
Quel impact a eu le confinement sur ton travail sur le plan pratique (maintenant et dans les prochains mois) ?
Il a ajouté un peu plus de flou, car bien souvent j’ai besoin d’un cadre, un appel à projet auquel répondre, une exposition à préparer, une commande à faire. Là tout est en suspens, je prépare une exposition qui devait avoir lieu en avril et je ne sais pas encore ce qu’il va en être… Ça fragilise le cadre.
Paradoxalement, le confinement m’a aussi offert du temps. C’est souvent ça qui me manque. En plus de mon activité de plasticienne, je travaille dans une structure qui donne des cours d’arts, et ça me prend pas mal de temps, physiquement et psychologiquement. Parfois, c’est difficile d’arriver à composer entre ce travail et ma pratique. J’ai tendance à me consacrer énormément à ce que je fais quand je travaille. Autant quand c’est pour quelqu’un d’autre que quand c’est pour moi. C’est difficile de trouver un équilibre, et mon implication dans ma pratique n’est pas linéaire. Et là, la structure étant fermée, je récupère vraiment tout mon temps, je me reconnecte à ma pratique et à moi. De fait, c’est positif.
Et sur un registre pratique, il y a la contrainte de devoir composer avec ce que j’ai chez moi. Des choses me manquent, alors j’essaie de faire avec ce que j’ai. Ça repousse des projets que j’avais envie de faire. Soit je n’ai pas le matériel, soit les entreprises auxquelles j’aurais fait appel sont fermées… Je pourrais tout préparer sur papier, en amont, mais j’ai besoin d’avancer petit à petit, de voir les résultats matériels, de sentir le rapport à l’objet quand je crée, donc ça avance mais jusqu’à un certain point.
Du point de vue créatif, qu’est-ce que cette situation provoque chez toi ?
Ça me pousse à réinventer d’autres choses, d’autres façons de travailler. Je fais habituellement très peu de dessin, et là, puisque c’est la chose la plus évidente que je peux faire chez moi, je dessine. C’est plutôt positif, mais là aussi il y a des limites, car j’ai besoin de faire des expériences sensibles pour nourrir mon travail, voir des choses en vrai.
Concernant le propos, je serais incapable de dire quelle évolution ce confinement provoquera sur ma recherche théorique. On est en plein dedans et j’ai besoin de vivre et de digérer les choses avant d’en faire quoi que ce soit. Pour ce qui est du travail en collectif, ce confinement offre le temps de se remettre en lien, d’élaborer des projets à plusieurs, c’est plus simple quand la temporalité redevient un peu la même pour tout le monde.
Et pour le collectif ? Quel peut être selon toi l’effet du confinement sur les notions de collectif et sur les métiers d’art en général ?
Je vois passer énormément de choses sur les réseaux sociaux, une effervescence de création. Je pense qu’elle est là aussi en temps normal, mais qu’habituellement, il y a peut-être moins de « partage » virtuel. Il y a peut être aussi l’idée d’une fédération autour de ce confinement. On éprouve tous un peu la même chose dans le fond, c’est la forme qui change.
Pour ce qui est des métiers d’art en général, j’ai pas vraiment de réponse. On peut tout imaginer. Ça sera sans doute positif car ça amène à réinventer les modes de création et de partage, à se réinventer aussi. Mais d’un point de vue économique, les petites structures vont être très fragilisées par ce confinement. Des festivals, des expositions seront annulés… Et puis, je pense que l’art est quelque chose qui se vit, s’expérimente, se partage en dehors d’un livre ou d’un écran. On ignore combien de temps tout ça va durer et quel sera le réel impact sur les métiers d’arts, mais il me semble évident que l’après va être compliqué.
Noémie Briand, comédienne, metteuse en scène, chargée de production / Diffusion
Peux-tu te présenter et présenter ton activité / ta pratique ?
Je m’appelle Noémie Briand, j’ai 27 ans, je vis en région Centre et je suis à la fois comédienne,
metteuse en scène et chargée de production et diffusion. Je gère notamment une compagnie qui
s’appelle Nomad’I Serane et qui travaille sur du théâtre de sensibilisation
Quel impact a eu le confinement sur ton travail sur le plan pratique (maintenant et dans les prochains mois) ?
Ça n’a pas totalement bouleversé ma façon de travailler. Je fais beaucoup de télétravail pour la partie diffusion habituellement. En revanche, on venait d’intégrer une plateforme de jeunes entrepreneurs et associations, et le confinement a pas mal bloqué le développement de réseau, qui commençait en région Centre.
Du côté artistique, je devais démarrer la création de deux spectacles en avril, et cela va être plus compliqué que prévu. La compagnie devait aussi faire venir des artistes béninois en France en fin d’année pour un projet autour du conte, et c’est aussi remis en question… C’est toute une gestion et une organisation à repenser. Beaucoup de choses sont repoussées, mais on trouve des solutions. On avance sur les parties moins créatives ou de manière différente. On a la chance de pouvoir quand même mettre en branle certaines choses de manière commune grâce aux moyens de communication dont on dispose. Sur l’un de mes projets, on a décidé de travailler en visio. On bosse bien, ça permet de lancer le premier jet. Quand on se verra, le travail sera d’autant plus complice !
Côté diffusion, c’est le calme plat. Je rattrape le retard administratif et je gère toutes les annulations et reports, mais on ne sait pas vraiment quand notre activité reprendra. Les programmateurs cherchent au maximum à reporter et ne veulent pas voir les spectacles disparaître, et ça, c’est très positif.
Du point de vue créatif, qu’est-ce que cette situation provoque chez toi ?
J’ai eu très peur le jour où on a su qu’on allait devoir être confiné, autant personnellement que professionnellement.
Mais finalement je prends simplement le temps différemment. Je m’instruis, je lis, je replonge dans des textes que j’aime et d’autres inconnus, j’écoute de la musique… Il y a des choses qui résonnent avec certains de mes projets. Je teste des choses parfois absurdes, je me fais rire… ça fait du bien ! J’ai la chance d’avoir un extérieur et de voir la nature reprendre ses droits, ça m’inspire beaucoup ! Toutes ces petites choses me projettent plein d’envies, que ce soit des idées de spectacles ou d’écriture…
Et pour le collectif ? Quel peut être selon toi l’effet du confinement sur les notions de collectif et sur les métiers d’art en général ?
Il y a bien sûr de la frustration. On a été coupés de ce qu’on devait faire, ce vers quoi on devait aller. On a des idées mais on ne peut pas les explorer ensemble. On est chacun dans nos bulles alors qu’on avait des salles pour répéter… D’un autre côté, chacun peut mûrir son travail et quand on va se retrouver, il va y avoir une énergie très solaire et très puissante, une envie profonde d’aller au plateau. On va avoir la patate pour créer et rien que d’y penser, personnellement ça me met en joie !
Au théâtre on aime bien créer la frustration chez le public. J’avoue que tout ça prend encore plus de sens en ce moment. On comprend toute la nécessité de travailler avec les autres et à quel point chaque personnalité, chaque qualité, apporte un élément au projet. Je pense que le confinement va faire émerger des idées et des créations très intenses, et aussi de nouvelles façons de concevoir et de créer.