C’est une loge. Colorée, surannée, elle nous cueille dès notre entrée. Le plateau nu est visible tout autour du décor, et pourtant, on sait exactement ce qu’il y a juste derrière : la scène du cabaret où la vedette est sur le point d’arriver. C’est là qu’un agent d’entretien, un homme de ménage, un technicien de surface, à vous de voir, entre. Et l’on vous prévient, c’est lui qui va faire le show.
Théâtre d’objet, danse, cabaret : l’art de ne pas choisir
Aurélien Kairo, seul en scène, commence un numéro de danseur épatant. Chorégraphie ambiance hip-hop sur Mon truc en plumes, comique d’objet hyper quotidien, danses variées seul ou avec partenaire imaginaire. Le spectacle bouge, emprunte à tous les codes et à toutes les énergies. Et en profite pour faire hurler de rire les enfants avec des gags classiques, justes. Ce qui s’avère beau dans ce mélange des genres, c’est qu’il soit placé dans les loges d’un cabaret. Style emblématique et encore très à la mode, il se marie rarement avec les danses de rue, et va rarement à la rencontre du jeune public. Quand on aime la scène, on apprécie forcément cette union des genres.
Derrière le rideau
Faire le choix du muet, c’est faire le choix du corps. Et par la même occasion, le choix du premier langage. Tout doit être spontané. Ça, on l’entend dans les réactions du public, immédiates, premier degré. L’homme de ménage qui applaudit à tout rompre dans la loge, qui protège sa star en secret, spectateur de l’ombre. Tout ça se prête à un jeu de mime, à une connivence avec le spectateur. On le voit réparer une chaussure, passer la serpillère, bouger sur la musique, se rêver partenaire de la star et grand séducteur. On se sent dans l’intimité du personnage, et donc dans celle de la troupe, du spectacle.
Poétique concierge
Aurélien Kairo a fait de la poésie corporelle sa marque de fabrique. Il explore les signes que nous envoie le corps, le langage intime et le burlesque qu’il dissimule. C’est un portrait, un solo dansé, léger mais plein de sens. Pendant le spectacle, le public est tantôt complètement silencieux, tantôt écroulé de rire. Mais une troisième réaction se cache derrière : la vive émotion. Vive émotion parce que ce spectacle court, efficace renferme des tas de trouvailles, une ouverture sur les techniques de nombreuses danses, une envie de relier les époques et les styles. Les hommes de ménage et les vedettes de cabaret. C’est ce vers quoi tendent beaucoup de spectacles jeune public, et c’est ce qui touche aussi le public adulte.
Un œil sur la danse d’aujourd’hui
C’est un pari ambitieux que de rendre attirant pour les enfants le monde du cabaret à l’ancienne. Chaud et familier, c’est une usine à rêves, bien sûr, mais également un univers que les enfants ne connaissent pas bien. En faire un spectacle de danse, de mime, un seul en scène accessible aux plus jeunes constitue une idée lumineuse. Lumineuse parce que cela crée un pont entre passé et présent, entre la danse des cabarets et celle des parvis d’opéras. Parce que c’est, au fond, le but de nombreux interprètes, autant en danse qu’en théâtre d’objet ou classique : emmener le public dans un décor auquel il n’a pas accès d’habitude, lui montrer ce qui les émeut, ce qui les a nourri. Pour que cela le nourrisse aussi.