Mardi soir, au théâtre de la Croix-Rousse, avait lieu la première représentation à Lyon d’Un instant, pièce dans laquelle Jean Bellorini transpose sur scène l’esprit d’À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, en y mêlant la biographie de ses acteurs Hélène Patarot et Camille de La Guillonnière.
À travers La Recherche de Proust, et majoritairement Cambray, Jean Bellorini questionne le souvenir et sa transformation en état d’œuvre et d’objet artistique. Tout tourne ainsi autour de cet aller-retour constant entre ce qui était, l’idée que l’on s’en est fait, et la restitution. C’est donc au moyen de ce procédé qu’il met en scène les souvenirs personnels de la comédienne Hélène Patarot ; par l’intermédiaire de Camille de La Guillonnière, celle-ci nous partage son histoire, le Viêtnam, le Berry, sa madeleine à elle, comme une mise en perspective de l’histoire du narrateur de La Recherche. On perçoit alors un Proust « visiteur » faisant naître ce nouveau Proust asiatique tout à fait singulier, en parallèle au Proust « narrateur » apparaissant tout au long de la pièce tel un fil suspendu brillamment éclairé. Entre ces deux personnages aux multiples facettes se dessine un dialogue attentif, tendre et délicat. On se balance ainsi entre un passé propre néanmoins universel, et un récit on ne peut plus vivant et actuel.
« C’est le principe même de la poésie ; quelque chose devient poétique quand elle fait puissamment écho à un jadis – un état ou un monde absents. » (Jean Bellorini)
Le propos prend forme au milieu d’une multitude de chaises comme s’il s’agissait d’un vieux grenier bien ordonné, parfaitement habitable, à l’instar des souvenirs dans lesquels on souhaiterait s’installer confortablement et durablement. Dans ce décor d’une simplicité troublante se cache quelques recoins lumineux, dont on reconnaît d’ailleurs le geste habile et subtil de Bellorini, et surtout un balancement presque enivrant de boucles musicales empruntant les saveurs, entre autres, du Filiae maestae Jerusalem de Vivaldi, de l’inévitable Avec le temps de Léo Ferré, ou encore du Spiegel im Spiegel d’Arvo Pärt, sensiblement interprétés et enrichis par le guitariste Jérémy Peret sur scène également ; balancement créé par ailleurs par la danse lente des chaises en arrière-plan en fin de pièce, et par la déambulation boitillante des deux personnages autour de la scène, comme si l’un ne pouvait exister sans l’autre, et comme si le récit ne pouvait aboutir sans l’oreille attentive de l’auditeur curieux.
Une pièce qui plonge le spectateur à la lisière entre plusieurs mondes : celui de l’enfance, du deuil et du surgissement de la mémoire ; celui de la lecture, des images, de l’écoute ; celui de l’autre et de soi… Une pièce qui invite définitivement à découvrir ou redécouvrir l’univers proustien, pour « ouvrir les tiroirs de la mémoire » et en dépeindre toutes ses beautés.
Une pièce à voir au théâtre de la Croix-Rousse chaque soir jusqu’au samedi 12 octobre. Toutes les infos par ici.