Début octobre débarquait sur nos écrans le premier film de Bradley Cooper : A Star Is Born. Plongée dans l’univers musical avec un célèbre chanteur de country recueillant une jeune artiste prometteuse. S’ensuit une histoire d’amour, bercée par la musique et les déboires de la profession. Casting (presque) évident : l’égérie Bradley Cooper, accompagné de la pop star mondialement reconnue, Lady Gaga. Alors, que peut-on trouver derrière ce vernis hollywoodien ultra-marketing ?
Troisième réécriture d’Une étoile est née (1937), le projet A Star Is Born est passé de main en main dès 2011. Clint Eastwood était d’abord aux commandes du film, avec Beyoncé Knowles comme rôle principal. Finalement, les emplois du temps de chacun et les contraintes des studios engagent Bradley Cooper devant et derrière la caméra, aux côtés de Lady Gaga. Les ballottements du projet auraient pu plomber le scénario avant qu’il ne sorte sur nos écrans. Dans les faits, qu’en est-il ? ArlyoMag a plongé dans les ténèbres des salles de cinéma pour vous répondre…
Une partition à huit mains
L’affiche vend le rêve américain dans ce qu’il a de plus efficace : Bradley Cooper, le beau gosse de la trilogie Very Bad Trip en chanteur de rock internationalement adulé ; Lady Gaga, pop star planétaire, plus (re)connue pour ses choix vestimentaires hors normes que pour son parcours musical. A priori sur le papier, on retrouve les codes hollywoodiens dans leur essence : de belles gueules, des corps de rêve et des paillettes.
Alors en voyant leurs bouilles sur l’affiche, on est en droit de se demander : « Mais qu’est-ce qu’ils peuvent bien avoir à nous raconter ces deux-là ? Hormis la difficulté d’être l’égérie des plus grandes marques de parfums, glaces, sacs et tout autre objet publicitaire… »
Jackson Maine est un célèbre chanteur de country, avec ses hauts et ses déboires. Un jour, il rencontre une jeune chanteuse très prometteuse, Ally. Il décide alors de lancer sa carrière et de la propulser sur le devant de la scène. De là, s’opère le coup de foudre entre les personnages. Ally devient très vite une pop star universellement reconnue tandis que Jackson peine à rester dans le jeu. S’ajoute à cela le retour de ses vieux démons qui vont semer le doute au sein de la relation…
« Douze notes communes »
Le scénario évoque les thèmes inhérents de l’industrie musicale :
- La célébrité : entre paradis et descente aux enfers ;
- L’image publique : ce qu’elle magnifie dans un temps et déforme dans un autre ;
- L’industrie musicale : l’engagement idéologique ou la pure opportunité crasse.
L’une des autres thématiques très présentes au sein du film est la transmission. Jackson est d’abord le maître qui va sortir Ally de son anonymat. Il la prend sous son aile, lui apprend tout ce qu’il y a à savoir sur le métier et lui offre des opportunités. Le film amorce alors le parcours initiatique de cette jeune inconnue qui tente de s’échapper du quotidien morose de son existence pour toucher les étoiles.
En tant que spectateur, le parcours d’Ally nous implique forcément. Cette inconnue perdue dans la masse, c’est un peu de nous. C’est cette lueur d’espoir que nous cultivons tous intérieurement, cette volonté de sortir du lot. Le film est bien conscient de jouer avec cette corde sensible ; il utilise à de nombreuses reprises des gros plans sur le regard, sur le faciès tour à tour émerveillé et terrifié de Lady Gaga.
Puis l’élève dépasse son maître, comme toujours. Ally s’émancipe de son mentor, en rompant avec ses attentes esthétiques et personnelles, pour s’incarner en héroïne pop star mondialement reconnue. On ne peut s’empêcher de trouver des échos avec la carrière de Lady Gaga. Et le rêve se transforme en cauchemar, comme souvent, lorsqu’elle découvre la face cachée du métier. Tout s’enchaîne et Ally perd peu à peu le contrôle. Le film tire ces grosses ficelles scénaristiques en nous présentant son évolution musicale virant aux soupes insipides, ainsi qu’un changement de look virant au tapageur grossier (impossible de ne pas se brûler les rétines devant cette affreuse coloration capillaire !).
L’élève échappe au maître, l’équilibre est renversé et tout va de travers à mesure que les succès médiatiques s’enchaînent. Parce que c’est aussi la force du cinéma hollywoodien : se servir des codes qu’il a mis en place de lui-même (star-system, montage tronqué par les studios, mainmise de la création par les productions, et j’en passe) pour les dénoncer dans un second temps. Si ce n’est pas magique ça…
Vous l’aurez compris, le scénario surfe sur les codes du genre et suit à la ligne près les attentes inhérentes à ce type d’histoire. Rien de neuf là-dessus.
« La façon d’interpréter ces douze notes »
Et pourtant, le film marche. À n’en pas douter, on ressort ému aux larmes et bouleversé par la trajectoire de ses personnages. Alors pourquoi la formule continue-t-elle d’agir quand l’histoire n’est pas nouvelle ?
Parce que comme le dit Jackson : « La musique, c’est douze notes sur une octave. Tout a déjà été créé. Ce qui en fait de la musique, c’est la façon dont on utilise ces douze notes. » Et Bradley Cooper compose une mélodie plus que touchante avec ce film. L’histoire est surannée, mais la façon de la raconter, non.
Le premier atout du film est la sincérité avec laquelle il développe ses personnages. C’est toujours caricatural de parler de sincérité pour un projet filmique ayant réuni des milliers de personnes et des millions de dollars. Mais Cooper en tant que réalisateur a des choses à dire. Ça passe par de nombreux plans sur les regards, par des silences aussi et, à l’inverse, par des chansons tonitruantes. Cooper comme Gaga laissent exploser leur colère, enthousiasme, rancœur, abandon sur scène. Les scènes de concert sont hallucinantes, tant au niveau sonore que visuel. Ça explose dans tous les sens et on est embarqué par cette vague déferlante.
Le deuxième avantage non négligeable, c’est le casting. Gaga est éblouissante dans son rôle d’Ally. Ce sentiment est renforcé par l’ambivalence entre sa personne publique et le personnage qu’elle incarne. On peut trouver de nombreuses similitudes dans leurs situations et certaines répliques semblent venir directement de sa propre expérience de chanteuse. Cooper se montre tour à tour charmant, touchant, grandiloquent puis misérable. Et gros point positif selon moi, le choix de Sam Elliott pour interpréter Bobby, le frère aîné de Jackson. D’une part, cet acteur entraîne ses partenaires de jeu vers le haut, et de l’autre, il est un atout inestimable en matière d’émotions. Chaque scène où il est présent donne lieu à des moments bouleversants, notamment dans la relation de rivalité fraternelle entretenue avec Jackson. Il est impeccable d’un bout à l’autre de son parcours, donnant un véritable cachet au film.
Le dernier point sur lequel je reviens est la façon d’aborder ces thèmes ultracommuns. Jackson répète souvent une phrase à Ally : « Il faut que les gens sentent que tu aies des choses à dire. »
Et le film en dit, des choses. Sur la transmission donc, mais sur ce qui fait nos forces et nos faiblesses. Il évoque notre besoin presque irrépressible de s’élever socialement, de donner le maximum pour satisfaire notre ambition. Mais également sur notre faculté d’échouer et de ne plus pouvoir sortir la tête de l’eau. En cela, le personnage de Jackson est tout aussi intéressant que celui d’Ally. Il n’est pas seulement question d’une descente aux enfers pour lui ; il s’agit surtout de cette capacité à se relever ou non lorsque tout s’effondre autour de nous, et de mettre en œuvre les moyens pour se sortir d’un cercle vicieux. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le personnage essaye, à de nombreuses reprises.
Et c’est selon moi la force du film : il nous montre des personnages embarqués dans des spirales d’autodestruction, qui parviennent tout de même à faire éclater leurs voix. Et au vu des mélodies qu’ils interprètent, on vous conseille vivement d’embarquer vos tympans pour cette aventure musicale des plus touchantes.