Nuits de Fourvière 2018 : Le chant d’amour de Fatoumata Diawara

C’est sous un ciel nuageux que Fatoumata Diawara a ouvert lundi le bal des concerts de cette nouvelle saison des Nuits de Fourvière. Mais c’est d’abord avec la formation kinshasienne, Jupiter et Okwess, que l’armée de k-way qui peuplait l’Odéon a bravé les nuages, avant d’accueillir celle qui dit porter la voix des « sans voix » du Mali.

Et lorsqu’elle évoque ces voix rendues muettes par les traditions ou les politiques de son pays, la chanteuse fait écho au sort qui aurait pu être le sien. Fuyant le Mali et un mariage forcé (en amont de la chanson Kokoro elle évoquera les traditions maliennes, aujourd’hui toujours en vigueur, qui empêchent les mariages d’amour hors du cercle familiale) elle aura été actrice de cinéma (pour Cheick Oumar Sissoko dans La Génèse et plus récemment dans le très primé Timbuktu d’Abderrahmane Sissako), de théâtre (notamment avec Jean-Louis Sagot-Duvauroux pour sa mise en scène d’Antigone), construisant en parallèle sa carrière musicale, qui commence en 2011 avec l’EP Kanou suivi la même année de son premier album Fatou.

Il y a quelques semaines sortait son second album solo Fenfo, co-produit par Matthieu Chedid avec qui elle partageait l’an dernier la scène du grand théâtre de Fourvière pour Lamomali. Et Fenfo s’inscrit pleinement dans la lignée de ce projet et des collaborations précédentes de l’artiste, qui entend raconter la jeunesse malienne autrement. Contre les images univoques des embarcations de migrants diffusées par les journaux télévisés, Fatoumata Diawara appose sa voix et son blues comme créateur d’un espace de partage universel.

Kokoro

Cet espace de partage que la barrière de la langue pourrait empêcher, Fatoumata Diawara prend le temps de l’instituer avec son public en amorçant chaque chanson par quelques mots de traduction, vite transformés en message. Car le chant et la danse sont pour elle l’occasion de dénoncer certaines images préconçues du Mali et d’affirmer la force d’une nouvelle génération qui tente de trouver sa place, à la fois en se nourrissant des traditions maliennes ancestrales mais aussi en les remettant en question. Kokoro dit la souffrance du mariage forcé qui empêche encore aujourd’hui les jeunes malien.ennes de choisir la personne avec laquelle partager leur vie.

Le clip d’Nterini qui teasait la sortie de l’album il y a deux mois s’attaque quant à lui à la représentation des migrants, donnant à la chanteuse l’occasion de réaffirmer un message fort au public de Fourvière. Celui d’une jeunesse africaine optimiste, nourrie par une éducation et des traditions qui ne devraient pas sanctifier une différence mais bien la possibilité d’un partage. « Ils prennent le café le matin, ils ont le sang rouge comme nous » c’est avec ces évidences poétiques, désarmantes, que Fatoumata Diawara n’a cessé de questionner son public, entre deux riffs de blues fiévreux. Le chant et le dialogue étant placés sur le même pied d’égalité, celui d’une émotion commune qui dépasse les particularismes.

Takamba : Le rythme du Mali

Réaffirmer dans ses chansons la force communicative du blues ancestral malien pour mieux dénoncer ce qui entache l’image du Mali et de l’Afrique, voilà le pari de Fatoumata Diawara. Le blues est un rythme universel qui a traversé l’histoire de la musique, et le blues malien est tout aussi rassembleur que son homologue américain, comme le prouvera Fatoumata Diawara en reprenant en bambara (la langue de son chat, qui est aussi l’un des dialectes les plus parlés au Mali) un air de Stevie Wonder, aussitôt accompagnée des chœurs du public ; ou en rendant hommage au Sinnerman de Nina Simone, qui lui donne l’occasion de poser cette question qui nous démange, à chaque Festival, pourquoi le monde de la musique donne-t-il l’image de n’être pas fait pour les femmes alors qu’elles sont à ses yeux« complémentaires » ?

La complémentarité, l’échange, la libération de la parole, c’est tout ce que Fatoumata Diawara aura offert au public de Fourvière ce soir là ; l’invitant dans un dernier tourbillon de blues malien, à franchir le simple trait blanc tracé sur le sol de l’Odéon, qui délimite symboliquement la séparation entre scène et salle. L’occasion de transmettre à ceux qui l’ont accompagnée le temps d’une soirée, quelques pas de danse malienne, dont l’énergie se communiquera jusqu’aux gradins

Une dernière danse, qu’elle dédie, avec toute la franchise de sa poésie, « À tous les enfants pour qui le dîner c’est le bruit des bombes ».

Laurine Labourier