En marge de la Biennale Musique en scène, se tient l’exposition éphémère NET SOUNDS du jeudi 1er mars au dimanche 8 avril, au Réfectoire des nonnes. L’occasion pour les chercheurs, les artistes et les compositeurs de se confronter à un sujet éminemment moderne mais non moins périlleux, celui de la sonorité du net.
NET SOUNDS, est une exposition hybride présentant des objets entre recherche de pointe, composition musicale, projection artistique et mise en scène cinématographique. Plongées entre sons et images, les six propositions artistiques sont de natures diverses mais toutes exploitent les possibilités sonores du web. La déambulation se vit comme une expérience, imprégnée de bruits, de sons, de crissements, d’aigus et de bruits de machines.
Kévin Ardito, lauréat de l’exposition et étudiant à l’école des beaux-arts de Lyon nous accueille au 8 Quai Saint Vincent, dans le premier arrondissement de Lyon. Il nous livre quelques clés de lecture :
« Les environnements qui nous entourent, se rattachent toujours au net mais sont de natures différentes. Certains, comme turbulence in the chamber, sont liés au son que produit les data center. D’autres, comme The Garden Review, sont liés à ce que l’on peut télécharger sur internet. Internet topography envoie des sons sur le net et récupère la déformation du son comme un radar. Virtual sound Gallery illustre des sons produits grâce à internet qui deviennent alors visibles en réalité virtuelle. Pour Microcosme, des sons sont générés par internet et le web. Cela donne des données qui sont alors numérisées. On voit bien qu’il existe dans l’exposition, diverses typologies liées au son et à l’image par rapport au web. »
Dans toutes les œuvres que vous avez citées, il n’y a pas que des artistes qui interviennent. Qui sont les acteurs de cette exposition ?
En ce qui me concerne, j’ai travaillé avec un compositeur. Le son que l’on entend est réalisé par Vincent Raphael Carinola qui est réalisateur d’électro acoustique. La pièce est d’ailleurs disponible en ligne, elle s’appelle Flux Aeterna. En fait, tout le monde peut aller mettre des morceaux de musique dans un logiciel et ensuite entendre le résultat en streaming. Audrey Bundin, qui utilise la réalité virtuelle, est aussi compositrice. Mais il y a également au sein de l’exposition un vidéaste, une chercheuse en numérique et un programmeur.
À travers cette multidisciplinarité, avez-vous eu des contacts avec les autres créateurs, notamment pour organiser l’espace et faire cohabiter les environnements sonores entre eux ?
J’ai surtout été en contact avec James Giroudon et David-Olivier Lartigaud, les commissaires de l’exposition. Mais c’était plus en rapport au sens de l’exposition que sur la gestion de l’espace ou la scénographie. Pour les autres intervenants, je ne les ai pas ou peu rencontrés. Internet Topography, par exemple est une œuvre plus ancienne et est moins dépendante de l’artiste.
Comment avez-vous appréhendé ce projet Net Sounds et cette problématique autour du web ? Était-ce une contrainte ou une continuité de votre travail ?
Pour moi, c’était un peu compliqué car je n’avais jamais dû gérer une installation sonore, du coup c’était l’occasion de m’occuper du son. C’était plutôt agréable de découvrir une nouvelle approche technique, de voir comment on monte une enceinte et comment on la place. Par exemple, le son se dirige en ligne droite pour les aigus, donc il faut savoir comment organiser ça par rapport au public. Ensuite, c’était aussi une continuité car j’avais fait des recherches sur l’imitation et la simulation de l’informatique. Sur les sentiments humains et sur des événements naturels. J’avais d’ailleurs fait une installation avec un mur et de la pluie qui était projetée et générée de la même manière que dans Microcosme. A côté de l’installation, il y avait un robot compositeur, qui composait de la musique triste, de manière aléatoire. L’idée, c’était de reprendre la façon qu’a un mauvais compositeur de composer de la musique triste très stéréotypée. Je voulais créer des émotions, et en même temps simuler avec la pluie, qui apportait du son artificiel. Pour revenir à Microcosme, ça m’a beaucoup intéressé de continuer ce projet à une plus grande échelle et de créer comme un éco-système, de devenir en quelque sorte démiurge, simuler un écosystème, simuler la vie.
Dans cet éco-système, quelle est la partie d’aléatoire, quelle est la partie que vous maîtrisez ?
Il y a beaucoup d’aléatoire, toute la météo, le cycle jour/nuit, la lumière, l’atmosphère, sont gérés par tweeter. Si les gens sont tristes, l’air va devenir plus humide. Si les gens passent une bonne ou une mauvaise journée, cela impacte sur la température. La colère, l’inquiétude, le calme, changeront d’autres choses comme la lumière par exemple. Ensuite, chaque créature, au lancement du logiciel, analyse les sons qui sont présents dans Flux Aeterna et en tire un ADN. C’est pour cela que les créatures sont toutes différentes. Les ADN définissent si elles aiment la pluie ou le soleil. En fonction de ces caractéristiques-là, elles meurent ou elles vivent. Pour résumer, Flux Aeterna génère les datas des créatures, et Twitter crée les datas qui gèrent tout le microcosme et provoquent du coup, la mort ou l’apparition de certaines créatures.
Concrètement, est-ce que vous avez pu voir le lien entre microcosme et l’humeur de Twitter ?
J’ai vu un jour qu’il y avait bizarrement beaucoup de pluie sur Microcosme. J’ai d’abord cru à un défaut du logiciel. Au bout de quinze minutes, j’ai réalisé que ce soir-là, l’olympique lyonnais avait perdu un match et en effet, on pouvait voir sur Twitter beaucoup de messages de tristesse.
Autour de Microcosme, gravitent d’autres espaces, différents parfois, étranges souvent, mais qui ne laissent jamais indifférent.
Face à l’installation de Kevin Ardito, turbulence in the chamber de Matt Parker (réalisateur et artiste), dialogue avec son vis-à-vis de manière étonnante et contrastée. L’image est toute différente, elle est un paysage réel, (le centre de données de Birmingham), mais son traitement reste déformé, brouillé. Le son est bien différent également, face à microcosme au son public et écrasant, il est ici privé, limité au privilège du spectateur muni du casque audio. Une œuvre intime d’un côté, publique de l’autre. Turbulence in the chamber nous enferme dans un espace claustrophobique, où les résonances nous parviennent dans un langage étrange et oppressant, que seuls les robots du data center comprennent.
Plus loin dans le noir, une nouvelle projection, au sol cette fois. Toujours avec un bruit curieux en fondu mais d’une autre nature, plus minimal, plus mathématique. Internet Topography, fruit de la collaboration entre Nicolas Maigret et Nicolas Montgermont nous montre l’invisible lien entre Tokyo et le Réfectoire des nonnes. Comme nous a prévenu Kévin Ardito, il matérialise le signal sonore émis d’un espace à un autre, visualisant au sol les erreurs, les disparités, les aléas de l’émission.
The Garden Review, de Gabriel Martin Urbide Bravo (deuxième lauréat de l’exposition) présente une histoire réalisée pour le web. L’artiste Mexicain crée une fiction qui mélange images, sons et textes dans de multiples langues. Avec ironie et autodérision, il cite la question des droits d’auteurs, à qui appartiennent les images du web ? le découpage est-il du vol ou un hommage ?
Le compositeur Audrey Bundin, avec Virtual Sound Gallery, ouvre quant à lui le champ de la réalité virtuelle. Comme un architecte du virtuel, il construit un espace sonore. L’œuvre invente un espace autonome dans l’espace d’exposition. Un espace d’isolement sans cloison ni frontière matérielle, un espace de recherches et de poésies qui diffère encore une fois avec les œuvres qui l’entourent.
Enfin, Loren Ceccon, nous montre une expérience étonnante. La chercheuse a visité en 2012 un centre de données lyonnais, mais il était impossible de réaliser des vidéos ou des photographies des lieux pour des raisons de sécurité. Seuls les sons ont pu être captés. Ils ont alors été plaqués sur les images publicitaires numériques donnant à l’image un effet étonnant, inquiétant et parasite. Des phrases inscrites sur une publication accompagnent l’installation numérique. Ces extraits de la visite soulignent l’omniprésence du bruit et la poésie étrange qui émane des installations électriques. L’exposition est conclue par ces formules. « Le bruit fort que vous entendez vient du système freecooling du refroidissement des serveurs ».