King Krule, c’est ce petit gars roux, tête de voyou pas méchant, à l’air perdu, qui vous regarde droit dans les yeux, dans la salle blanche et vide d’Out Getting Ribs. La guitare entame son riff accéléré entraînant un léger balancement de la tête. Les râles de l’homme se font entendre, et la voix chaude, rauque et raclante emplit l’espace musical . On le nomme King Krule, et il passe ce soir, à Lyon.
Kring Krule, que les premiers ont connu sous le nom de Zoo Kid, c’est la fragilité et la force d’un gamin qui fait ses débuts à l’âge de 15 ans.
Enfance perturbée du gamin nonchalant
Archie Ivan Marshall, plus connu sous le nom de King Krule, naît le le 24 août 1994 à East Dulwich, dans la banlieue du sud-est de Londres.
Il baigne dès son enfance dans une ambiance d’artistes. Grâce à sa mère, designer dans le textile, il devient témoin, dans les mêmes murs qu’il habite aujourd’hui, des soirées déchaînées où s’entremêlent musique Afro-Beat, Nirvana, cigarettes et toutes sortes de playlists tirées des années 80. Son oreille se sculpte, traîne sur ces sons emblématiques de son époque. « Résultat, écrit Green Room, avant même d’être entré au collège, le jeune homme possède une culture musicale assez stratosphérique. »
Avec une scolarité on ne peut plus chaotique (renvois à répétition), il est repêché par la BRIT School (une école pour enfant à haut potentiel créatif, où sont passés nombre de grands artistes aujourd’hui). Il acquière l’assurance pour faire son envol, bien loin du cursus scolaire.
Naissance de Zoo Kid
Avec Zoo Kid, il se crée une identité farouche et brute, qui a du coffre. Au commencement, il s’agit d’un gamin qui peine à contrôler sa force, son émotion et sa violence envers son public. « Au début, comme je jouais dans des bars presque vides, relate-t-il, je fixais les quelques personnes dans les yeux et je leur hurlais dessus, littéralement. »
Malgré sa tête blanche et rousse posée au sommet d’un corps chétif, on se rend vite compte qu’il ne s’agit pas d’un faiblard. Archie a de la poigne dans la voix, cette voix rauque, grave, sombre, et sûrement bien entretenue par les cigarettes, qu’il fume dès son collège à un rythme frénétique. La preuve qu’elles ne font pas que des morts.
Dès ses débuts, et tout au long de sa jeune carrière, Archie ne cherchera pas à se vendre. Il posera ses tripes sur le micro, tout en en gardant sous le pied.
U.F.O.W.A.V.E – Zoo Kid – 2010 – 16 ans
Il commence à l’âge de 16 ans, enregistre dans sa chambre l’album U.F.O.W.A.V.E. A l’aide de sa voix, de FL studio, et de sa guitare. Le résultat est déjà d’une maturité déstabilisante. Son manque de matériel se fait sentir pour ce premier album auto-produit. Mais ce qu’on sent surtout, c’est une graine de génie qui n’attend que de grandir.
On retrouve ici, et ça restera sa particularité, des sons planants et lourds à la fois, à l’esprit très inspiré du rock anglais. Emprunt de dark wave, de new wave, et de sursauts de dub, les influences disparates reçues de sa mère (Gene Vincent, Fela Kuti et The Penguin Cafe Orchestra, principalement) le mènent vers une identité musicale très particulière.
Il aime ici jouer avec les reverb de sa voix, couplés aux accords délayés de sa guitare, le doigt toujours sur la gachette du trémolo, faisant glisser ses accords à la limite du désaccord.
Des passages sont parfois confus pour les moins initiés, mais même dans les moments chaotiques, Zoo Kid arrive à nous raccrocher, par des mélodies sorties du bout de ses doigts, à l’atmosphère de son morceau. Sa voix nonchalante à l’accent marqué résonne au milieu de ses instrus, qu’il compose seul, la nuit, sur son logiciel.
Morceau phare de ce premier album, qu’il sortira en single : Out Getting Ribs. Malgré cette bouille de gamin gringalet caché sous des gros pulls, on ne peut imaginer, en l’écoutant, que le gosse n’a que 16 ans.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que le petit sait capter son public, mais aussi la presse qui s’empresse de plus en plus sur le phénomène, jusqu’à l’arrivée du producteur Dean Bein. Directeur de True Panther Sounds (qui produit aussi Tobias Jesso, un jeune chanteur anglais du même esprit, mais un tout autre style), il ne laisse pas filer la perle rare.
“I’m trying to create a collection of stories – the ‘U.F.O.W.A.V.E.’ songs are all stories. I haven’t really taken direct lyrical influence from other songwriters, but my dad bought me a book of W.H. Auden’s poems when I was younger, and the imagery really interested me.”
“J’essaye de créer une collection d’histoires – Les pistes de U.F.O.W.A.V.E sont toutes des histoires. Je n’ai pas vraiment pris l’influence directe d’autres auteurs, mais mon père m’a acheté un livre des poèmes de W.H Auden quand j’étais jeune, et les illustrations m’ont vraiment captivé. »
6 Feet Beneath The Moon – King Krule – 2013 – 19 ans
C’est donc Dean Bein qui lui permet d’enregistrer, au sein du label True Panther, et avec du vrai matériel cette fois, son album 6 feet beneath the Moon (6 pieds sous la lune), sorti donc en 2013.
Des sons nets, guitare cinglante et voix rauque, évoluent dans une ambiance jaune et bleue, couleurs qu’il appelle dans nombre de ses morceaux et albums. Beaucoup plus posé que le premier album home-made, on retrouve Zoo Kid, devenu King Krule depuis 2011, bien encadré cette fois.
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Extrait du clip de Out Getting Ribs
On retrouve dans cet album presque tous les morceaux de U.F.O.W.A.V.E. remis au propre, ainsi que quelques singles sortis durant les 3 dernières années. Ces enregistrements ne font que remettre en valeur son travail. De plus, l’album est clippé. Pour la première fois, le grand public découvre le visage de ce garçon, qui ne fait que renforcer les traits de son personnage de scène. La force tranquille d’Archie s’avance donc sur le devant des scènes de toute l’Europe pour sa première tournée.
Edgar The BeatMaker
Des années s’écoulent entre ce premier album, sa tournée, et la suite de sa discographie. Mais Archie Marshall ne s’arrête pas là. King Krule collectionne les masques et les pseudonymes dans la bibliothèque de ses productions.
Dans la même année que la sortie de son premier album, en 2013, il sort un album (Darkest Shades of Blue) et un EP (Baby London) sous le nom d’Edgar the Beat maker, où on rencontre son âme de rappeur. Sur des instrus boom bap très old school, on reconnaît son identité musicale dévoilée dans 6 FBTM, mais dans un tout autre style. Ici, on imagine Archie avec ses potes de lycée en train de se faire tourner le micro dans sa chambre d’adolescent. Toujours les mêmes questions sur la bouche de ces loubards de banlieues pas méchants : « qui sommes-nous, que faire ? »
On voit un côté plus jovial et trempé, mais avec autant de performance musicale et de questionnements, toujours imprégné de rock anglais et de guitares planantes. Sa voix au flow enfumé s’accorde tout à fait aux beats où il entretient un trip orageux.Il s’entoure de ses amis de banlieues, et se montre au grand jour plus accessible que jamais, dans des petites salles londoniennes comme la Boiler Room.
Les Inrocks en parlent : « Bien que collectifs, on retrouve donc sur ces morceaux ce qui a déjà fait l’identité de Zoo Kid ou de King Krule : des voix comme détachées d’elles-mêmes, une nervosité calmée par la nonchalance et la modernité d’une écriture flirtant pourtant avec jazz et blues. C’est sans doute un peu tout ça la « blue wave » de King Krule : comme la période bleue de Picasso, une idée qui englobe le processus de création dans ses différentes nuances, ses différentes directions. »
C’est une période où Archie Marshall ne cesse de changer de nom. Suivant ses projets, son esprit, ses envies, il revêt les uns après les autres les noms de Zoo Kid au début de sa carrière, qui se mutera en King Krule en 2011, d’Edgar The Beatmaker, Edgar The Breathtaker, DJJD Sports, The Return of Pimp Shrimp (le retour du petit gars) ou, tout simplement, ARCHIE MARSHALL, le dernier en date. Il accumule les projets, les feats et les collaborations au rythme effréné de ses nouvelles identités.
C’est une période où il se cherche. Cette période, de 4 ans, est une période où King Krule se tait.
Le retour de King Krule – The Ooz – 2017 – 23 ans
Mais ce dernier revient enfin, après 4 ans de silence. Le gamin a bien grandi, et on le voit. Sa tête d’enfant devenue plus carrée à présent, laisse voir un King Krule adulte, qui le fait sentir.
Ceux qui l’ont laissé en 2013 se prennent une claque sur le temps passé. Avec un retour foudroyant que nous offre son nouvel album, The Ooz (inverse de Zoo ?), on retrouve un tout autre King Krule. Beaucoup plus planant, presque perdant, beaucoup plus bleu. Bleu comme les derniers événements de sa vie, où il se sent, et on le sent, un peu plus perdu qu’à ses 16 ans. Comme un cri dans la nuit, on l’entend faire un appel à la lune, « I’m alone ».
On entend, parfois, par un saxophone pleurant, sa rencontre avec Ignacio Salvadores, un musicien de rue qu’il fait rentrer peu à peu dans son cercle intime, installe son talent sur le canapé de sa mère, et devient bientôt collaborateur de cet album. On devine aussi une autre ouverture au monde, avec l’emprunt de langage éloigné du sien, de l’espagnol et du dialecte Philippin. La recherche d’autres mondes ?
Mais attention, si cet album est plus bleu, il n’en reste pas moins acharné. Des sons parfois virulents, nous laissent entrevoir la chair chaude et rouge du garçon. Biographie sincère, album le plus audacieux en date, résultat d’une production musicale pharaonique (19 morceaux), ce nouveau chef d’œuvre nous livre les tripes de ce jeune chanteur à la voix basse raclée par la fumée. À vif, cette fois. Il lâche les fauves de ses nervosités, quitte à perdre son public dans les méandres de ses réflexions. Mais King Krule ne perd pas, car King Krule fascine.
On a l’impression de découvrir une nouvelle partie de sa musique, plus profonde, plus osseuse. On retrouve des rires sarcastiques, des cris dans le trouble de ses instrus, (avec notamment The Locomotive), pour, au creux de la vague se laisser planer sur des morceaux plus aériens comme Czech One (comme le sous-entend son clip par ailleurs).
Un récit honnête, cinglant, parfois glaçant, qui nous demande de s’asseoir avant de lancer l’album. Sound of Violence écrit : « En recréant avec tant de profondeur un monde aux sonorités cinglantes et à la froideur troublante, King Krule n’avait plus besoin de conter lui-même cette obscure histoire. Il n’y avait qu’à se laisser prendre par cette expérience immersive, qui plonge son auditeur dans des territoires infiniment personnels, marqués par l’absence et la perte de soi. «
Cet album bleu. Bleu ciel, bleu nuit, bleu cosmos, bleu abysses, tirant parfois vers le bleu criard.
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Parti pour une tournée Européenne, King Krule arrive ce soir, sur scène, à L’Épicerie Moderne.
http://kingkrule.co.uk/home/