Nicolas Cartelet signe Petit Blanc, aux éditions Le Peuple de Mü. Un titre présenté dans l’été au jury du prix Goncourt. Le roman sort en librairie le 4 septembre, et ArlyoMag a eu la chance de le découvrir en avant-première.
La servitude polyforme
« Dans l’espoir d’y trouver meilleure fortune qu’en France, Albert Villeneuve s’embarque pour un long voyage vers les colonies avec sa femme et sa fille. Il accoste seul à Sainte-Madeleine, son moral et ses espoirs noyés loin derrière lui.
Commence alors une nouvelle vie, faite d’alcool, de mensonges et de frustrations. Piégé sur cette île devenue prison, Albert fuit la folie vengeresse du sergent Arpagon. Sur la route du café, il cherchera la paix intérieure.
Petit Blanc est un conte cruel et onirique sur l’absence et les espoirs perdus. Nicolas Cartelet nous entraîne dans un monde où immigrés pauvres et peuples colonisés partagent les mêmes chaînes. »
Le livre aurait pu s’appeler : Il ne suffit pas d’être blanc pour être libre. L’œuvre de Nicolas Cartelet – sans jamais réduire l’impact du crime colonisateur, cela va de soi – propose comme une mise en abyme de la servitude. De la manière dont la vie créé parfois des chaînes, et comment l’individu devient esclave de sa propre existence. Le roman traite de cette aliénation psychologique. Villeneuve – patronyme un rien caustique – est libre d’après la loi, vis-à-vis d’une population esclave, et pourtant, l’île devient une geôle dont les murs se rapprochent dangereusement au fil des pages que le lecteur dévore.
Laissez toute espérance, vous qui entrez
« Cruel », le roman l’est sans aucun doute. Pas tragique ; ou alors, dans sa définition la plus existentielle. De bout en bout, Albert Villeneuve cherche à s’échapper, animé de la pulsion de vie la plus élémentaire : l’espoir. Acculé, il court, encore et toujours. En vain ? Peut-être. Mais ça n’a jamais empêché personne de courir quand même, et c’est la grande force de ce roman que d’illustrer cette course sans fin vers un ailleurs, vers un mieux, un moins pire.
Contrairement à Villeneuve, le roman, lui, déborde des cases dans lesquelles on souhaiterait l’enfermer. Les étiquettes ne feraient qu’amputer l’œuvre. Onirique à la manière d’un Petit Prince, fantastique comme un Murakami… les touches de merveilleux – présentes mais délicates – servent avec justesse un reflet de vie. Car comme dans la vie, le plus absurde n’est pas toujours le moins vraisemblable. L’identification fonctionne sans accroc avec le protagoniste, ce héros pitoyable par bien des aspects, chahuté par la vie et naufragé de l’existence, mais aux fêlures attachantes. Son humour grinçant n’y est pas non plus étranger.
« Il y avait un médecin à bord, un brave type qui partait pour les colonies dans l’idée d’y étudier les indigènes. André, qu’on l’appelait. Il était toujours accompagné d’un aumônier. En fait, tout brave qu’il était, André n’était d’aucun secours pour les malades. Il venait, il les examinait, il fronçait les sourcils, et puis il prenait la famille à part. « C’en est fini », regrettait-il en nettoyant ses petites lunettes de docteur. « Il vaudrait mieux faire intervenir l’aumônier au plus vite.
De fait, l’aumônier, lui, était utile. Il avait du travail tous les jours. »
Petit Blanc deviendra grand
Le lecteur reste scotché de bout en bout, avec le phrasé de l’auteur comme lanterne et guide. Nicolas Cartelet prend des risques : l’histoire subit des évolutions narratives qui pourrait perdre ses lecteurs, si elles n’étaient pas maîtrisées. La réussite tient à son style qui colle à la narration, ou qui décolle, plutôt. La plume de Nicolas Cartelet s’adapte aux différentes phases du récit pour mieux lui faire prendre son envol. Il faut être un bon technicien pour maîtriser les mots, mais un tel apprivoisement suggère l’artisan, ou l’artiste. Au final, Petit Blanc n’en fait jamais trop – à la rigueur, l’usage de l’italique ferait office de péché mignon -, une efficacité qui transparaît du catalogue du Peuple de Mü, dont on avait déjà beaucoup apprécié Moi, Peter Pan. Ceci dit, en littérature comme partout, c’est un peu l’histoire du beurre et de la tartine : pas besoin de faire long, pour faire grand.