Le Musée de L’imprimerie a tenté une exposition audacieuse : une rétrospective du travail de l’ANRT, l’Atelier National de Recherche Typographique. On découvre cette discipline méconnue ou plutôt ignorée qu’est la typographie. On redécouvre ce que c’est qu’éditer un texte en vue d’une impression : quelle écriture pour un dictionnaire ? Pour un roman ? Les étudiants-chercheurs ont largement outrepassé cet aspect usuel pour faire de la typographie un Art.
L’exposition ne propose pas de véritable parcours du spectateur mais plutôt un assemblage de pôles thématiques retraçant les diverses fonctions de la typographie et des travaux de l’école. Donc je vous propose mon propre parcours dans ce monde des lettres, exceptionnellement, avec une minuscule.
La typographie : l’art de savoir imprimer
Ce sont les affiches d’appel à candidatures de l’école qui accueillent le visiteur et donnent un panorama des travaux de l’école depuis sa création. En effet, l’affiche est la récompense d’un concours interne prestigieux. Ces affiches désarçonnent et perturbent à la fois. Leur lecture n’est pas aisée, les typographies sont petites, leur organisation plus proche du design que du marketing. Mais justement, c’est une lecture difficile qui plonge le lecteur dans la question qui guide l’exposition : comment imprimer ?
[su_quote cite= »Dictionnaire Larousse »]Quel que soit le procédé d’impression, conception graphique d’un ouvrage en choisissant les caractères, les corps, la présentation, en déterminant la dimension du texte, des illustrations (et leur situation dans le texte).[/su_quote]
Cette définition du dictionnaire est bien restreinte et ne rend pas compte du travail de recherche que comprend la typographie. Il faut pour répondre à la question « comment imprimer ? » envisager tous les domaines dans lesquels la typographie a un rôle. Et c’est ce que réussit très bien l’exposition.
« Le contenu détermine la forme » : le postulat originel
L’exposition part de ce postulat essentiel. L’invention d’une typographie ne se fait qu’en fonction de l’usage qui va en être fait. Et c’est donc dans un premier temps un aspect très pratique et usuel qui est abordé. La typographie est un support ignoré des lecteurs, ou du moins uniquement pensé dans une logique de marketing. Or les problématiques entourant le choix d’une typographie sont bien plus complexes. Les exemples « usuels » de la création typographique sont ceux des quotidiens, notamment avec la création de la typographie de la nouvelle formule du journal italien La Reppublica, ou encore la création de manuels de latin ou de dictionnaires.
L’exemple du dictionnaire, développé dans une vidéo à la fin de l’exposition est le plus parlant avec le FEV, dictionnaire d’ancien français en allemand. Car la question est de savoir quelle typographie créer non seulement pour des lettres latines mais aussi des signes diacritiques supplémentaires nécessaires à l’écriture phonétique. De plus, dans un dictionnaire, il faut pouvoir différencier par la typographie ce qui relève de l’étymon latin, de la définition, de la phonétique, etc. C’est donc un vrai travail de recherche qui s’effectue dans un objectif de lisibilité.
La Lisibilité, une recherche essentielle
Sur ce point, les travaux de Thomas Huot, actuel directeur de l’école, sont un exemple de réflexion sur ce qu’est une lettre et sur la façon dont elle est lue. Un double travail est effectué : dans un premier temps celui sur les lettres traitées une par une. Pour cela, l’artiste chercheur tente de montrer ce qu’est une lettre en enlevant le superflu. Ne reste de la lettre que ce qui permet de la reconnaître. Les empâtements, boucles et retours inutiles sont effacés pour ne laisser que ce qui est lisible, dans le sens d’identifiable, comme lettre.
Puis, dans un second temps, le travail sur la lisibilité se fait sur la taille, avec une police de plus en plus petite. Et même, elle devient, pour certains, illisible. Ironiquement, le texte choisi est Les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift. Car ce texte est peuplé de Lilliputiens, personnages minuscules. Mais il est aussi devenu illisible dans le sens où il n’est que très peu lu, oublié par la doxa scolaire.
Le Blanc : de la réflexion à la création d’un art
L’aspect artistique de la création d’une typographie en soi est indéniable. Mais la littérature prend aussi un sens qui fait de cette discipline un art dans son rapport aux œuvres littéraires. Comment réimprimer des classiques avec une typographie qui porte en soi un intérêt ? Ou plutôt comment la typographie peut-elle se mettre au service de la littérature ?
Dr Jekyll et Mr Hyde de Stevenson
Le travail sur le blanc qui est au centre de cette réflexion place la typographie comme art. Car si la typographie est ce qui, de façon inconsciente, porte la littérature, le blanc est ce qui fait exister la typographie. Le blanc n’est pas « espace vide » mais « surface active ». Et la typographie peut dépasser ce blanc et le cadre de la page. Il peut déborder des lignes traditionnelles et prendre alors des symboliques extraordinaires. Par exemple, dans un manuscrit du Dr Jeckyll et Mr Hyde, les mots concernant Mr Hyde sont écrits en plus gros, débordent sur la page et les autres mots grâce à la technique de l’eau forte, qui « grave » le papier. Mr Hyde envahit alors le texte jusqu’à poser des problèmes de lisibilité dans la cacophonie de sa victoire.
La Métamorphose de Kafka
Autre travail sur le blanc, celui des trois volumes de Kafka. Les deux premiers n’ont que des lettres tronquées, auxquelles on a enlevé des traits, ce qui les rend illisibles. Face aux pages de texte, des images quasiment macabres de métamorphoses de Gregor Samsa. Mais le troisième volume superpose les lignes de texte, mais fait disparaître les images. Une réflexion du texte à l’image se crée : quand le texte est lisible, les images deviennent dispensables. Tandis que devant un texte illisible, rappelant les alphabets primitifs cunéiformes, il faut une image pour lire. De plus, le terme « symbole » reprend ici son sens étymologique de « rassembler deux parties séparées d’un même objet ».
La typographie : une nouvelle passerelle entre texte et image
« Une plasticité nouvelle entre texte et image ». Voilà comment est défini le rôle de la typographie dans son rapport entre littérature et image. En cela, on peut comprendre la définition de la typographie comme celle d’un art. Le travail de la typographie est d’ailleurs rapproché dans l’exposition du « poème typographique » de Mallarmé, Un coup de dés jamais n’abolira le hasard que vous pouvez retrouver [su_permalink id= »http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k71351c/f1.image.r=mallarm%C3%A9.langFR »]ici[/su_permalink]. En plus de ce poème on peut aussi penser aux poèmes les plus modernes de Rimbaud, qui jouent eux aussi sur la typographie et le blanc. Mais plus encore c’est le jeu sur le blanc d’Apollinaire qu’il faut retrouver avec ses Calligrammes.
Ainsi les travaux typographiques ne seraient « que » l’aboutissement des recherches sur le rapport entre texte et image. On peut remonter, avec un certain chauvinisme lyonnais, aux travaux de Pierre Sala aux XVème et XVIème siècles. L’artiste lyonnais cherchait dans ses manuscrits à établir un lien entre les images et le texte, dans un mouvement qu’on pourrait presque apparenter à la Bande-Dessinée. On a pu découvrir ses manuscrits dans l’exposition sur Lyon à la Renaissance au musée des Beaux-Arts : vous trouverez une enluminure de Sala juste [su_permalink id= »http://www.mba-lyon.fr/mba/sections/fr/mobile/expositions/expo-lyon-renaissanc/FR »]ici[/su_permalink]. Les travaux tels que ceux sur l’œuvre de Stevenson et de Kafka sont de lointains héritiers de ceux de Sala, dont l’arbre généalogique passe par Mallarmé, Rimbaud et Apollinaire.
Un art essentiel
L’exposition et l’histoire de l’institution rappelle la place centrale de cette discipline. On peut reconnaître à Jack Lang le fait d’avoir mené une vraie politique culturelle pour répondre à la crise d’un secteur, favorisant l’expansion économique de l’imprimerie, avec la création de l’école en 1985. La comparaison avec la situation actuelle est significative : il faut poser la question du lien entre le monde économique et le monde culturel. Ainsi on oublie trop que le culturel participe avec succès à l’économie. Les politiques économiques et culturelles de l’état sont trop souvent comprises comme deux mondes non miscibles, ce que l’exposition réfute en partie par l’histoire de l’institution.
Car de sa fonction la plus pratique à sa fonction la plus artistique, la typographie est un art qui se révèle dans l’exposition Typo &!.,- :;?». Un art essentiel bien qu’ignoré, qui prend son importance partout, du dictionnaire à la littérature, en passant par la presse. Mais la typographie concerne des domaines aussi variés que la création des symboles de monnaies, la didactique de l’écriture ou encore la recherche archéologique. Profitez-en, l’exposition se visite jusqu’au 12 février !
Pour conclure, saurez vous trouver pourquoi cette phrase revient tout le long de l’exposition ?
« Portez ce vieux whisky au juge blond qui fume. »