Tu ne tueras point, le dernier chef-d’œuvre de Mad Mel

Tu ne Tueras Point de Mel Gibson était le film que j’attendais le plus cette année. Dès son annonce, je savais que j’allais en écrire la critique en ces lieux. Mais je ne pensais pas que cette critique serait également un petit coup de gueule. Et pourtant…

Pour ceux d’entre vous qui seraient trop jeunes pour l’avoir vécue ou tout simplement qui ne s’en souviendraient pas, la sortie en salle de Braveheart en 1995 avait fait l’effet d’une bombe auprès du public. Ce film, quasiment sorti de nulle part, était pour beaucoup la révélation d’un grand cinéaste. Ce sur quoi l’académie des Oscars ne s’est d’ailleurs pas trompée, récompensant le film ainsi que son réalisateur.

En France, comme à l’accoutumée pour les grands films, l’accueil critique est plutôt tiède. Heureusement, le temps, lui, ne se trompe jamais (et donne très souvent tort à Positif, Télérama, Les Inrocks et aux Cahiers Du Cinéma d’ailleurs, même si cette fois en l’occurrence les Cahiers ont encensé le film), et le film de Gibson est désormais clairement un classique.

Sa manière de filmer les batailles influencera même tous les cinéastes qui suivront jusqu’à aujourd’hui encore (notamment Martin Scorsese, Peter Jackson, Oliver Stone, Steven Spielberg, Ridley Scott…). C’est dire la consécration pour cet acteur devenu réalisateur, qui n’en est alors qu’à son deuxième film.

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Loin de moi l’idée de reparler de la polémique de La Passion Du Christ, son film suivant, qui est, pourtant à mes yeux, également un chef-d’œuvre, mais pas autant que Apocalypto, qu’il réalisera après et qui, bien que méconnu, me semble être le plus grand survival de l’histoire et l’un des meilleurs films de sa décennie (2000-2010).

Après ça, Gibson fut black-listé d’Hollywood pour des raisons purement personnelles rendues publiques par nos amis les journaleux, l’empêchant de réaliser son film de vikings. C’est donc après 10 ans de traversée du désert et de trop rares apparitions en tant qu’acteur qu’il revient sur le devant de la scène avec Hacksaw Ridge, un des rares films dont le titre français est plus intelligent que le titre original car plus en adéquation avec la volonté de son réalisateur puisqu’il fut renommé Tu ne tueras point dans nos contrées.

Et le voilà mon coup de gueule justement. Le film s’appelle Tu ne tueras point. Je veux bien que l’on nage en pleine idiocratie ces dernières années, mais j’ose espérer que le spectateur normal ou le critique de cinéma a compris qu’il s’agissait d’un titre à connotation religieuse (un des dix commandements du 1er testament de la Bible, pour être exact). De plus, Mel Gibson ayant fait des films relativement connus par le passé et étant une personnalité également connue, je pense que tout le monde sait déjà que le film proposera un contenu à tendance religieuse également.

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Alors, pourquoi ? Mais vraiment pourquoi ? Pourquoi la quasi-totalité des critiques négatives que je lis sur le film en France se résume à : « Bah… y a de la religion donc c’est caca ». C’est dans le titre, bordel ! Pourquoi, encore aujourd’hui, il y a des gens, simples spectateurs ou critiques de cinéma, qui se rendent encore en salle pour aller voir des films dont le contenu est explicitement indiqué sur l’affiche et qui s’indignent à la sortie d’y trouver ce contenu ? Pourquoi ?

Certes, ce film n’y est pour rien particulièrement, mais moi qui aie entendu à la sortie de salle du Spider-man de Sam Raimi deux mecs en train de dire : « Ouais, c’est quand même vachement patriotique parce qu’il a un costume bleu, blanc rouge » (eh oui, c’est sur l’affiche, les gars !) ; ou encore à chaque sortie de salle d’un film Mission : Impossible : « C’est nul, parce que c’est vraiment impossible, les missions dans le film » (Bah oui, t’avais lu « Mission Pas Très Facile » sur l’affiche ou quoi ?).

Je commence à en avoir ras-le-bol. Moi qui écris cet article, je n’aime pas les brocolis par exemple. Aussi, il ne me viendrait jamais à l’esprit, d’une part, d’en commander au restaurant, et d’autre part, d’en proposer une critique culinaire disant : « Ce plat de brocoli avait un goût de brocoli, donc c’était pas bon ». Mais, a priori, pour un journaliste des Inrocks, cela ne va pas de soi.

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Maintenant, cher lecteur, nous allons procéder à la critique même du film, que j’ai beaucoup aimé. Aussi, si tu n’aimes pas Mel Gibson à cause de ses déboires personnels, tu peux passer ton chemin car je n’évoquerai pas ce film sous cet axe de lecture. Également, si tu as quelque chose contre toute référence explicite à une religion qui ne soit pas une critique expresse, tu peux t’arrêter de lire ici car le film ne sera pas non plus traité sous cet axe. Tu trouveras ton bonheur auprès des journalistes précités.

Il Faut Sauver Le Soldat Mad Serpico

Durant ses dix ans d’absence, Mel Gibson semble avoir compris quelque chose de très important, à savoir à quelle classe de cinéma il appartenait. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne s’est pas trompé tant les références dont son film abonde sont justes. En effet, en tant que réalisateur humaniste, il cite ouvertement ses homologues les plus célèbres, à savoir les Wachowskis  (Matrix, Speed Racer, Cloud Atlas…), en reprenant leur acteur fétiche, Hugo Weaving, mais également à travers le principe même de parcours christique de son personnage (celui de l’Élu, donc).

Bien évidemment, quiconque cite les Wachos se doit obligatoirement de citer leur mentor, à savoir James Cameron (Terminator, Titanic…), et Gibson s’en acquitte plus d’une fois en reprenant également son nouvel acteur fétiche Sam Worthington, mais également à travers la réplique la plus célèbre d’Avatar rendant hommage au Magicien d’Oz de Victor Fleming : « You’re not in Kansas anymore ».

Ce qui est d’autant plus logique que Cameron, dans Avatar, citait Apocalypto de Gibson par le biais d’une musique de film très similaire composée par James Horner, les deux œuvres étant d’ailleurs très proches thématiquement. Également, ayant travaillé avec lui sur les Mad Max, il ne pouvait pas non plus manquer de citer son collègue et ami de longue date George Miller en rendant hommage au rôle qui l’a rendu célèbre, notamment à travers ce plan qui figure dans la bande-annonce du film à 0:11 :

[su_youtube url= »https://www.youtube.com/watch?v=s2-1hz1juBI » width= »800″ responsive= »no »]https://www.youtube.com/watch?v=xLRx6iF90nU[/su_youtube]

Et comme le soulignait le journaliste Arnaud Bordas sur Facebook, il n’est peut-être pas interdit de voir d’autres similitudes dans les compositions de cadres :

Tu Ne Tueras Point, de Mel Gibson
Tu ne tueras point, de Mel Gibson
Mad Max Fury Road, de George Miller
Mad Max Fury Road, de George Miller

L’intérêt de ces citations vient également du fait que tous les cinéastes en question, au-delà de leur humanisme certain, cherchent avant tout, non pas à parler de leur foi en l’être humain, mais à la démontrer à travers des expériences purement viscérales.

Que ce soit les Wachowskis avec Sense8, dont le thème même de l’empathie était une proposition à se mettre à la place de « victimes » du système ; Cameron avec Avatar où, pour citer approximativement les propos du cinéaste Jan Kounen lors de la sortie du film (alors qu’il était interviewé par Mad Movies), l’on trouvait ceci : « il s’agit du seul film de l’histoire du cinéma qui ne propose pas de voir une civilisation se faire coloniser mais qui met clairement le spectateur à la place de la population indigène qui subit cette horreur ».

Et bien sûr, George Miller, aussi bien sur les Happy Feet que sur Mad Max Fury Road. Mais il n’est pas interdit également de voir dans le film, à travers son portrait d’un homme qui veut faire la guerre sans jamais toucher une arme à feu, une descendance directe des thèmes chers à feu Sidney Lumet (Serpico, Le Roi de New York, Network…).

Et cette dualité qui a toujours été au centre de l’œuvre du cinéaste, notamment par l’opposition du pacifisme et de la violence (y compris dans sa représentation), donne lieu à l’écran à ce qui pourrait ressembler à une sorte de filiation avec le film Starship Troopers de Paul Verhoeven.

Notamment dans la partie de l’entraînement militaire, aussi sadique qu’humoristique et poussive, comme celle du film du hollandais violent. Ce qui est clairement la meilleure approche, évitant ainsi au film, contrairement à beaucoup d’autres, d’être dans l’ombre pesante de la première partie de Full Metal Jacket de Stanley Kubrick. De Starship Troopers, Gibson reprend également la manière dont la paix est court-circuitée par la guerre.

Ainsi, dans l’introduction que l’on pourrait résumer à une classique histoire d’amour, le réalisateur vient placer un accident de voiture particulièrement gore, puis un gros plan sur un brûlé lorsque le héros entre dans l’hôpital voir sa future femme qu’il drague dans un cinéma devant… des films de propagande pour partir combattre les nazis.

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Nous avons donc une première partie très lyrique où Gibson pose les motivations de son héros, son passé et son histoire d’amour. Arrive alors la deuxième partie, à savoir l’entraînement puis le procès du héros (dans la plupart des films, la fin se situe exactement là). À ce moment précis, le film a déjà eu son lot d’originalité et de morceaux de bravoure (l’entraînement est étonnamment original dans sa manière d’amener chaque élément que l’on est pourtant censé connaître par cœur et, de plus, chaque scène qui y est montrée aura un écho sur le champ de bataille plus tard).

Mais le véritable morceau de bravoure du film n’est autre que la bataille de Hacksaw Ridge. Et là, Gibson dépasse toutes les attentes. Spielberg avait pris exemple sur Braveheart pour la barbarie des scènes de guerre de Il faut sauver le soldat Ryan, mais avait poussé le réalisme encore plus loin, et la scène d’ouverture du film reste encore à ce jour la meilleure scène de guerre jamais filmée — ex æquo désormais avec celle d’Hacksaw Ridge.

Sachant qu’il ne peut pas dépasser en virtuosité le Mozart du cinéma, Gibson va miser sur un style de mise en scène plus classique à l’opposé de la caméra épaule de Spielberg, mais va chercher avant tout la composition de cadre efficace et l’originalité du plan, tout en gardant une gestion de l’espace incroyable, et en rendant le spectacle d’une barbarie encore jamais vue sur un écran. À côté, le Soldat Ryan ressemble à un épisode de Dora, l’exploratrice. Ce classicisme de mise en scène, tout comme l’approche purement « année 40 » de la première partie, va nous rappeller un autre grand cinéaste humaniste (comme ça la boucle est bouclée), à savoir John Woo et son formidable mais trop peu connu Windtalkers. Mais ce qui reste fascinant, c’est que le film propose, et c’est peut-être une première au cinéma pour le coup, des séquences de guerre en forme de grand huit émotionnelles, où l’on passe du fun de certaines séquences que n’auraient par renié un certain Peter Jackson de sa période guerre au dégoût le plus total en quelques secondes.

Puis, d’un seul coup, l’évidence saute aux yeux en même temps que le choix d’Andrew Garfield (surtout connu pour avoir incarné Spider-Man dans les très mauvais Amazing Spider-Man de Marc Webb), le film de guerre se transforme en film de (super) héros réaliste, ringardisant toutes les productions Marvel (Feige) et DC Comics de ces dix dernières années sans aucune peine, et sans forcément le chercher. Et c’est à travers une nouvelle imagerie héroïque et de rigueur (rappelons que le film est une histoire vraie, aussi il semble difficile de contester ce principe de réalisation) que le véritable message du film va apparaître avec une certaine limpidité. Car si celui-ci a bel et bien un contenu religieux jusque dans le choix de son héros (il fait partie de l’église adventiste du 7e jour), son thème est avant tout celui de ne jamais renoncer à ses propres valeurs.

Gibson ne manque d’ailleurs pas de filmer avec la même emphase que la victoire du héros le seppuku des soldats japonais, pour montrer qu’il n’y a pas de vrai gagnant, seulement des hommes d’honneur et de convictions qui s’affrontent. En un seul film, Gibson parvient à dire plus sur le sujet que Clint Eastwood avec son diptyque Mémoires de nos pères / Lettres d’Iwo Jima, qui était pourtant excellent et surpasse également Tora ! Tora ! Tora ! de Richard Fleischer et Kenji Fukasaku. Pour revenir à Eastwood d’ailleurs, il n’est pas interdit de voir le film de Gibson comme l’exacte opposé d’American Sniper.

ça fait tellement plaisir de voir des plans composés correctement au cinéma, et en scope en plus.
Ça fait tellement plaisir de voir des plans composés correctement au cinéma, et en scope en plus.
bis
Bis.
Si tu ne comprens pas la symbolique de ce type de plan alors peut-être que le cinéma n'est pas fait pour toi.
Si tu ne comprends pas la symbolique de ce type de plan, alors peut-être que le cinéma n’est pas fait pour toi.

/! SPOILER — Spécial Religion — SPOILER /!

Vous êtes arrivé à la fin de l’article, on peut parler de la symbolique religieuse qui fait donc tant parler nos amis journalistes. Mais avant toute chose, sachez qu’elle n’est pas si présente que cela. Certes, au début du film, il est grandement question de religion, mais c’est avant tout parce que celui-ci est un biopic et qu’il s’agit de l’histoire de Desmond Doss, tout simplement.

Ensuite, le héros va réaliser « un miracle » en sauvant des dizaines de vies à lui tout seul alors que son armée s’est repliée (ce qui est véritablement arrivé, dans la réalité), à la suite de quoi il sera considéré comme une sorte de héros messianique par son équipe (idem) et comme le plus grand héros de la bataille en question. Lors de deux plans de 2 secondes, visibles dans la bande-annonce et ci-dessous à 2 minutes 10 (que je vous mets en VF car je l’ai mise en VO plus haut), ses blessures sont soignées :

[su_youtube url= »https://www.youtube.com/watch?v=h1Jv5WdOrz8″ width= »800″ responsive= »no »]https://www.youtube.com/watch?v=xLRx6iF90nU[/su_youtube]

Symboliquement, on voit l’eau qui nettoie le sang. Elle est versée sur sa tête comme lors d’un baptême : c’est la seconde naissance de Desmond Doss qui devient littéralement un héros (cela a lieu après qu’il aura sauvé plus de 40 personnes à lui seul). On peut également le voir comme une résurrection si on veut pousser la symbolique christique jusqu’au bout.

C’est d’ailleurs un thème cher à Gibson, et qu’on trouve dans tous ses films (ce sera même le sujet principal du prochain), y compris dans Apocalypto, dans une référence jubilatoire à Predator de John McTiernan (sachant que dans ce même film, Gibson cite ouvertement Conan Le Barbare de John Milius, preuve qu’il a bon goût). Enfin, le plan final montre le héros sur une civière, filmé en plongée puis en contre-plongée avec la caméra pointant le ciel (dans un hommage à Mad Max 2 d’ailleurs).

En gros, soyons clairs, il n’y a pas plus de symbolique religieuse que dans un film de Martin Scorsese, par exemple. Et personne n’en aurait parlé si le nom du réalisateur n’avait pas été Mel Gibson. Mais bon, c’est les mêmes qui parlent de scientologie à chaque film avec Tom Cruise, donc on ne les changera pas.

FIN DES SPOILERS

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Et une fois que les français auront fini de boycotter ce réalisateur de génie, ils comprendront peut-être qu’en n’allant pas voir ce film, ils passent à côté d’un des plus grands films de guerre jamais faits. En tous cas, pour moi, de part son sujet nullement innocent, il est de loin le plus important, surtout à notre époque. Et certainement, mon film préféré de 2016.

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Jonathan Placide

Chef d'entreprise chez AWD Productions. Réalisateur, cameraman et monteur, Jonathan Placide est le plus ancien journaliste d'ArlyoMag. C'est pourquoi certains l'appellent "Papy". Grand défenseur du cinéma populaire devant l'éternel, il s'intéresse également à la culture geek dans son ensemble, et vous fera profiter de ces passions à travers ses articles.