Mercredi 19 octobre, le Comœdia accueillait Emmanuelle Seigner et Katell Quillévéré pour l’avant-première de son film Réparer les vivants, qui sortira dans les salles le 1er novembre. C’est devant une salle comble et émue par ce drame sensible et juste que la réalisatrice et son actrice ont ensuite animé une discussion autour de la question majeure du film : le don d’organes.
Réparer les vivants est le troisième long-métrage de la jeune réalisatrice et scénariste française. Après Un Poison Violent en 2005, pour lequel elle reçoit le prix Jean Vigo, et Suzanne en 2013 avec un césar du meilleur second rôle féminin pour Adèle Haenel, Katell Quillévéré s’attaque cette fois à l’adaptation du best-seller de Maylis de Kerangal : Réparer les vivants.
Katell Quillévéré nous confie qu’elle s’est vue offrir le livre de Maylis de Kerangal par son producteur alors qu’elle commençait l’écriture d’un autre projet après Suzanne. Profondément touchée par cette histoire, pas encore devenue best-seller, elle décide alors de mettre en stand-by son projet pour acquérir les droits de l’œuvre.
La réalisatrice est revenue sur sa collaboration avec Maylis de Kerangal dont elle a confié qu’elle était très présente tout au long du tournage et de l’écriture. Si l’écrivaine avait un droit de regard sur les choix de Quillévéré, chacune a pu travailler en bon entente, respectant le travail d’écriture de l’une tout en laissant à l’autre la souplesse nécessaire pour produire une adaptation la plus fidèle possible à l’univers de l’œuvre.
Réparer les vivants : l’importance du lien
Réparer les vivants raconte l’histoire de Simon, jeune homme de 19 ans victime d’un accident de voiture, qui incombe à sa famille la lourde tâche de choisir de faire ou non don de ses organes. De Simon, finalement, nous ne saurons pas grand-chose, sinon qu’il aimait le surf, qu’il avait une petite amie. En effet, le personnage principal n’est pas Simon, c’est son cœur.
Et c’est la longue traversée de ce cœur que nous allons suivre. Comme dans le cas d’une vraie transplantation, la famille de Simon et la femme qui en reçoit le cœur ne sauront rien les uns des autres. Le film, dans sa construction, respecte scrupuleusement cette donnée et on peut ainsi découper le film en trois parties traversées par le chemin du don :
Simon
Ce qui frappe premièrement le spectateur dans la première partie du film, ce sont ces longs plans filmés en travelling de Simon filant dans la nuit sur son vélo dans la ville déserte. D’emblée, le personnage est caractérisé par la vitesse, une pulsion vitale et mortifère à la fois qui finira par causer sa perte. Ce double motif se retrouve également dans les scènes des garçons surfant sur la mer.
Katell Quillévéré nous confie que ces plans ont été filmés grâce à un caisson qui permettait d’immerger la caméra. Ce procédé qui nous permet d’être au plus proche des trois surfeurs donne lieu à des plans impressionnants qui rendent bien compte de ce rapport filial avec la mer, un rapport amniotique. C’est par elle que Simon trouvera la mort, alors sur le chemin du retour, quand le conducteur de la camionnette qui ramène les trois garçons de la mer s’endort. L’accident apparaît sous la métaphore visuelle d’une vague immense qui englouti les trois surfeurs.
C’est par elle encore que le personnage de Claire retrouvera la vie puisque la réalisatrice choisit de rejouer ce motif dans un plan de transition, un fondu enchaîné où la mer s’efface au profit d’une foule, marée humaine au sein de laquelle se trouve le médecin qui lui attribuera son cœur.
Sa famille et leur décision
Katell Quillévéré a abordé la question de la difficulté de la représentation des parents de Simon (respectivement incarnés par Emmanuelle Seigner et Kool Shen, tous deux très justes), dont la figure est marquée par la sidération douloureuse qui précède le deuil. La réalisatrice a évoqué notamment dans ses références le cinéma japonais et la figure de Yasujiro Ozu, cinéaste connu pour son traitement particulier et sensible des relations familiales. En effet, chez Ozu, il est toujours difficile de dire ce que l’on a sur le cœur et le corps (le regard, plus particulièrement) est parfois un bien plus grand vecteur de parole que les mots.
Le film ne tombe jamais dans un pathos malvenu et cet écueil est probablement évité grâce au choix du ramassement temporel de l’action ; on suit la famille de Simon durant les 24h qui précèdent la mort de leur fils. Juste assez pour qu’aucun élément antérieur ne vienne parasiter l’expression de leurs sentiments. Pour Katell Quillévéré, la notion de lien est primordiale et se transmet à travers la subtilité de sa mise en scène.
(SPOILER)
Dès lors que la famille accepte de faire don des organes de Simon, c’est l’infirmier coordinateur (Tahar Rahim) qui va incarner ce lien entre Simon, sa famille, et Claire. Katell Quillévéré, dans sa mise en scène, joue subtilement sur l’idée d’absence et de permanence de la présence. La famille de Simon est présente auprès de lui lors du retrait de son cœur, à travers les mots et la musique choisie par sa petite amie que l’infirmier transmet. La caméra opère des mouvements subtils durant l’intervention, allant du cœur de Simon au visage des médecins. La réalisatrice, par la mise en scène et le filmage, assure la permanence du lien et rappelle son importance.
Claire
La première apparition de celle qui recevra le cœur de Simon se donne sous la forme d’un visage. Katell Quillévéré, tout à la fois, singularise profondément Claire par le choix de cette apparition frontale, et fait de ce visage celui de l’attente. Anne Dorval, bouleversante de sincérité, incarne brillamment cette femme dans l’attente d’un cœur, qui tente de protéger ceux qu’elle aime de l’isolement que cause la maladie. C’est cette raison qu’évoquera Claire pour mentir à son fils et à la femme qu’elle aime sur son état de santé : ne pas vouloir qu’ils s’isolent avec elle.
À cette idée d’isolement, Katell Quillévéré répond encore une fois en mobilisant la force et l’importance du lien. Alors que Claire assiste au concert de piano de sa compagne qu’elle n’a pas revue depuis trois années, la caméra film les mains de la pianiste puis opère un mouvement d’élévation qui découvre son visage jusqu’à celui de Claire qui la contemple du balcon de la salle de concert. La caméra trace une ligne entre les êtres et préfigure l’expression pudique des sentiments, c’est elle finalement qui permet de réparer les vivants.
Réparer les vivants
La projection était suivie d’une discussion durant laquelle la réalisatrice et Emmanuelle Seigner ont pu recueillir les impressions et répondre aux questions des spectateurs. La présence dans la salle de membres du corps médical, de l’Association pour le Don d’Organes et de Tissus humains, et de familles de donneurs a rendu la discussion à la fois sensible et instructive.
Une spectatrice est intervenue pour rappeler que 20 ans auparavant, les dons d’organes étaient systématiques, qu’il n’y avait aucune demande préalable faite à la famille et aucune possibilité pour chacun de faire part de son choix. L’ADOT a expliqué qu’il était désormais possible pour les personnes refusant de faire un don de s’inscrire sur le registre national des refus, tout comme il est important d’évoquer le choix de faire don de ses organes avec sa famille et éventuellement de posséder une carte de donneur d’organes qui permet de faire acte de ce choix.
Plusieurs interventions de médecins et d’infirmières ont également souligné le travail de reconstitution fidèle opéré par la cinéaste. Katell Quillévéré a confié s’être totalement immergée dans les milieux médicaux, allant jusqu’à soumettre ses choix de tournage à de vrais chirurgiens. Une infirmière est intervenue pour remercier la cinéaste d’avoir tout à la fois su représenter le geste médical dans sa complexité, sans pour autant occulter l’humanité des médecins, qui accomplissent volontiers, lorsqu’on le leur demande (et que c’est possible), les volontés des familles (réciter un poème, transmettre une parole…).
Réparer les vivants est un très beau film sur le rapport entre la médecine et l’humain et les possibilités que crée ce lien. Pour les Lyonnais qui seront touchés par le film de Katell Quillévéré et son histoire, Sylvain Maurice présentera en juin aux Célestins sa mise en scène de l’œuvre de Maylis de Kerangal.
Laurine Labourier