Du 8 au 11 juin, L’Espace 44 accueillait une troupe un peu spéciale pour leur adaptation de la pièce de David Greig : « Le dernier message du cosmonaute à la femme qu’il aima un jour dans l’ex-union soviétique ». ArlyoMag a assisté à une représentation et vous livre ses impressions.
Inspirez un grand coup et répétez avec moi : « Le dernier message du cosmonaute à la femme qu’il aima un jour dans l’ex-union soviétique ». Oui, c’est un long titre. Qui comporte plus de caractères que l’Espace 44 ne peut accueillir de spectateurs… Mais à bien y regarder, ce titre de David Greig est surtout puissamment évocateur. Il s’en dégage un léger parfum de poésie et d’absurde, une folie douce, comme celle des hommes et des femmes confrontés au fleuve tumultueux et insensé de la vie.
Une atmosphère qu’a su retranscrire avec finesse la promotion 2014-2016 de l’école Arts en Scène. Toute la promotion ? Non, la moitié seulement, mais quelle moitié ! Depuis 2000, l’école Art en Scène est une référence lyonnaise en termes de formation artistique et ses étudiants de deuxième année sont les professionnels du spectacle de demain. Pour clôturer leur formation, ceux-ci sont divisés en deux troupes distinctes qui mène chacune son projet de bout en bout. Bonne pioche pour cette partie de la promotion, visiblement animée d’une excellente alchimie.
Et il en fallait, de l’alchimie, mais aussi de l’énergie, pour porter ce texte sur les planches du 44, rue Burdeau. « Le dernier message » narre en effet une histoire aux multiples récits enchevêtrés. Tout commence avec ce cosmonaute (Anaëlle Croiset), abandonné par tous dans sa navette spatiale à la dérive, et dont la solitude commence à produire ses ravages. L’histoire nous transporte dans plusieurs pays, à la rencontre de différents destins, parfois directement reliés à celui du cosmonaute, comme celui de sa fille (Natalia Panagiotou), et parfois connectés de manière plus subtile à ce fil rouge spatial.
La mise en scène de Juliette Donner est rythmée, comme autant de coups de projecteurs braqués sur ces humanités souffrantes. Les blessures intimes de tous les personnages se ressemblent par leur mal de dire. À l’image de Joe (Hinde Qrada), rongée par une sorte d’aphasie, les personnages ont de la difficulté à communiquer. La narration, la façon dont leur histoire singulière s’enchaîne les unes aux autres, parle pour eux. Un indice, une clef, fait le pont entre chaque tableau. Il suffit parfois d’un mot…
Si, côté littérature, le titre à rallonge fait penser à du Arto Paasilinna (dont il faut absolument lire « Le bestial serviteur du pasteur Huuskonen »), cette voie lactée où s’effleurent ces vies nous évoquerait plus le travail de Laurent Mauvignier dans « Autour du monde ».
Mais revenons-en au théâtre. On a senti les acteurs investis, un décor soigneusement préparé, une audace dans la mise en scène, accompagnée d’une bonne gestion de l’espace. Le collectif est parvenu à donner une cohérence à ce récit dans lequel il a fallu faire de nombreuses coupes et transformations. À titre d’exemple, ce sont deux cosmonautes qui se donnent a réplique dans le texte original, rôles assumés dans cette version par une seule comédienne.
Cerise sur le gâteau : le tout raconte quelque chose. Car si l’on est un peu vieux jeu (sans mauvais jeu de mot théâtral) et que l’on considère que l’on n’a rien fait de mieux depuis Aristote et son fameux : « Est entier ce qui a un commencement, un milieu et une fin », alors la prestation de la troupe ne pouvait que vous satisfaire. Le spectacle offrait des péripéties et un dénouement digne de ce nom, bien loin de la dernière proposition des étudiants de l’école avec « Et tous ensemble nous avancerons seuls », que nous avions eu l’occasion d’aller voir au théâtre des Asphodèles en décembre. Carton plein donc, pour, on l’espère, ces futurs grands du circuit.
Soulignons que l’autre moitié de la promotion d’Arts en Scène joue quant à elle ces jours-ci, du 16 au 18 juin, toujours à l’Espace 44, avec une pièce de Stanislas Cotton : « Et dans le trou de mon cœur, le monde entier ». Si leur proposition est à la hauteur de celle de leurs camarades, alors n’hésitez pas à aller faire un tour du côté des pentes de la Croix-Rousse.
Déçu d’avoir raté (inspirez) « Le dernier message du cosmonaute à la femme qu’il aima un jour dans l’ex-union soviétique » ? (Expirez). Tout n’est peut-être pas perdu. En coulisse, il se chuchote que la pièce pourrait retrouver les planches lyonnaises la saison prochaine… Promis, ArlyoMag reste sur le coup. Une seule certitude : si l’occasion de voir jouer cette pièce se présente à nouveau, nous vous encouragerons à vous y précipiter.
« Le dernier message du cosmonaute à la femme qu’il aima un jour dans l’ex-union soviétique », Daniel Greig, jouée les 8, 9, 10 et 11 juin à l’Espace 44.
Mise en scène de Juliette Donner, avec Candice Besse, Rémi Bullier, anaëlle Croiset, Florian Géry, Gaëlle Mignot, Natalia Panagiotou et Hinde Qrada ; de l’école Arts en Scène.
Création sonore : Florian Géry – Dramaturgie : Raphaël Lucchini – Accompagnement projet : Mohamed Brikat
Crédits photo : Émile Zeizig