Dégradé est un film des jumeaux Arab et Tarzan Nasser qui passe en ce moment au Comoedia. Il s’inscrit dans un collectif créé par les deux frères : Made in Palestine Project, ou la volonté de promouvoir des créations culturelles et esthétique de Palestine. Montrer un visage différent de celui bien (trop) souvent dépeint par les médias sur Gaza et ses habitants. Une jeune génération avide de créer, de mettre en place des projets et de se faire entendre.
L’histoire se déroule dans le salon de coiffure de Christine qui, comme cela arrive souvent, est plein ; les femmes accompagnées de leurs amies, de leurs mères, de leurs sœurs… Si l’intrigue peut sembler tirée par les cheveux, elle est pourtant inspirée d’un fait-divers : un groupe de mafieux s’est emparé du lionceau du zoo de Gaza et se promène dans les rues, l’animal en laisse en signe de pouvoir. Le Hamas ne va pas tarder à remettre de l’ordre afin d’affirmer sa suprématie ; s’en suit des affrontements armés, dont seuls les bruits de tir et de grenade parviennent à travers les rideaux de fer du petit salon où sont enfermées les treize femmes.
Dégradé, un ensemble de couleurs allant des tons les plus clairs au plus foncés, des femmes toutes plus différentes les unes que les autres, des représentations parfois stéréotypées mais qui détonnent de similarité et de justesse.
Le parti pris des frères Nasser : mettre la femme au centre de l’histoire, ne laissant qu’une place diminuée à l’homme, inversant ainsi les normes régissant actuellement les pays arabes. De plus, le film ne se dresse en aucun cas comme un manifeste à propos du conflit israélo-palestinien, au contraire, s’il aborde les oppositions il s’agit plus d’un éclairage sur les affrontements internes, entre le Hamas et des groupes mafieux, sévissant à Gaza. Un angle original et peu souvent étudié, qui détonne parmi tous les films réalisés sur Gaza et ses alentours.
« L’enfer, c’est les autres »
Le nerf du film ne concerne pour une fois pas les hommes et la guerre, mais les femmes, leur place au sein d’une société où leur voix est trop souvent rendue muette.
Les premières images nous plongent dans un gynécée, treize femmes, rassemblées au sein d’un salon de coiffure. Treize personnages, métaphore de nos personnalités, face à un conflit non désiré qui les dépasse, ou comment résister lorsque l’on n’existe pas. Un panorama allant de la bourgeoise désabusée et libérée, à la croyante convaincue en passant par la folle que personne n’écoute.
Un huis clos asphyxiant, qui n’est pas sans rappeler l’œuvre de Sartre. « L’enfer, c’est les autres », une réflexion qui interroge tout au long du film. En effet, ces femmes, oppressées par les hommes et les conflits incessants, vont finir par se déchirer, en venant même jusqu’aux mains, reproduisant ainsi le comportement des hommes qu’elles abhorrent.
« Enlève ta tente et mets-toi à l’aise »
Néanmoins, le salon permet également à ces femmes de parler librement, de laisser entrevoir des pans de leur personnalité qu’elles ne peuvent montrer au dehors. Ainsi Safia (interprétée par Manal Awad), délurée, différente et un peu folle, reprend la place d’une Cassandre mythologique, ne cessant de choquer par ses propos emprunts de vérité, à tel point que personne ne l’écoute.
Pendant ce temps, Eftikhar, la quinqua divorcée et amère, ne cesse de se regarder dans le miroir, comparant son image à celle des autres jeunes femmes du salon. Interprétée par la très grande Hiam Abass, elle ne s’empêche pas de faire part de son ressentiment et de sa désillusion face à un gouvernement qui, à force de censure et de violence, étouffe ses habitants.
Mais celle qui sort du lot, c’est Christine (Victoria Balitska), la propriétaire du salon, qui oscille entre politiquement correct et force de caractère, la justesse de son jeu dynamise les scènes tout au long du film.
Un film où le genre de « comédie dramatique » prend tout son sens car, en effet, on rit beaucoup face aux chamailleries de ces femmes et à leurs répliques pleines d’esprit ; pourtant, on sent monter l’angoisse au sein du salon, où la situation ne cesse de se dégrader au fil des tirs et des coups du dehors, impactant ainsi sur l’atmosphère du salon.
Un film qui dénote par son intrigue et sa justesse mais également par son éclairage. Ici, ce sont des hommes (Arab et Tarzan Nasser) qui racontent des femmes, leurs quotidiens et leurs angoisses, mais aussi leurs relations et leurs amitiés, contrairement aux films de Nadine Labaki (Caramel, Et maintenant, on va où ?) où le ton est sûrement plus juste. Néanmoins, c’est aussi ce qui fait la richesse et la pureté du film, comme une déclaration d’amour à ces femmes normales et parfaitement imparfaites ; une leçon de poésie qui pousse à la réflexion.