Retour sur Romeo & Juliet in Las Vegas, spectacle musical, et en anglais, qui s’est joué du 21 au 24 mai au Carré 30 (Lyon 1er) et qui a séduit ArlyoMag
Non, la saison n’est pas encore terminée ! À l’heure où le mercure reprend du poil de la bête, où la plupart des lyonnais bouclent les réservations estivales et où les festivals entament leur programmation (vous pouvez d’ailleurs retrouver ici un aperçu de ce qui vous attend aux Nuits de Fourvière), un irréductible théâtre résiste encore et toujours aux sirènes des vacances pour vous offrir, jusqu’au bout, des spectacles de qualité. Il n’est pas le seul, mais il faut avouer que le Carré 30 finit l’année en beauté, et quelque chose me dit que nous aurons l’occasion d’en reparler très vite. En attendant, nous ne pouvions pas passer à coté de cette pièce : Romeo & Juliet in Las Vegas, qui se présente comme un spectacle musical, intégralement joué en anglais, et dans lequel les sosies d’Elvis Presley et de Marilyn Monroe nous racontent, à leur manière, l’histoire des amants maudits de Vérone.
Oh Roméo ! Roméo ! Pourquoi es-tu Roméo ?
Avant de rentrer dans le vif du sujet, il faut parler un peu de la pièce originale, celle du maître ; et pour moi de vous faire une confidence : à chaque fois qu’un indigent ose affirmer que Roméo et Juliette est la plus grande pièce de Shakespeare, il me prend l’envie fulgurante de lui faire avaler un épais recueil des œuvres complètes du dramaturge, pour pouvoir lui parler librement, bâillonné qu’il serait par le poids de la Culture imprimée sur papier bible, du Roi Lear, d’Othello, ou bien sûr, de Mcbeth.
Attention, ce n’est pas la pièce en elle-même que je fustige, magnifique reprise d’un mythe largement traité par d’autres à l’époque où Shakespeare la monte, un peu à la manière dont Molière puise le sujet de ses plus fameuses pièces dans le théâtre antique, et ses personnages, dans la commedia dell’arte. Peu importe, on n’est pas toujours très inspiré… Non, le problème avec cette pièce, c’est qu’elle est, en fin de compte, très mal comprise. Le prisme contemporain la transforme en une fabuleuse histoire d’amour contrariée ! Une grande tragédie romantique ! Ce qu’elle n’est pas. Le drame, c’est la rivalité historique de deux famille nobles, et l’illusion pathétique de deux jeunes gens immatures qui renoncent à toute raison et en perdent la vie, au nom d’un romantisme qui ne triomphe de rien. L’Amour est au contraire montré sous l’angle peu glorieux d’une sorte de farce subversive qui se jouerait des deux tourtereaux. Cette pièce est bien une tragédie, oui, mais pas à cause de la volonté de dieux antiques un peu fourbes, ici, le grand vilain, c’est l’Amour… Autant dire que j’étais impatient de savoir de quelle manière le mythe serait traité dans cette version de Roméo et Juliette.
Parodie or not parodie, that is the question…
Difficile de ne pas considérer Romeo & Juliet in Las Vegas comme une parodie… car c’est avant tout un spectacle très drôle, et qui métamorphose littéralement l’œuvre originale. Utiliser des sosies aussi emblématiques pour raconter la tragédie que l’on croit connaître donne irrémédiablement à la pièce un aspect comique. Or, ce décalage, quand on exagère de trop certains traits, nous rapproche dangereusement de la parodie. Quelques exemples : lors de la scène du mariage, présidée comme il se doit par un Elvis déchaîné, les ballons de baudruche (représentant Roméo et Juliette) qui s’envolent, en tourbillonnant et en pétaradant, avant de s’échouer au sol, dégonflés, confère à la scène un aspect plus ridicule que dramatique, malgré le symbole. Un autre moment emblématique : lorsque Elvis explique le plan censé permettre à Juliette de quitter la ville pour retrouver son bien-aimé, et qu’il se met à dessiner un schéma hilarant du stratagème en question (on n’aura d’ailleurs jamais vu une aussi brillante démonstration que ce plan est le plus foireux de l’histoire du théâtre), le tragique disparaît totalement à la faveur des rires du public.
Et pourtant, Romeo & Juliet n’est pas une parodie. Quand le public s’esclaffe, ce n’est jamais d’un rire moqueur, mais plutôt attendri. Rendre Roméo et Juliette drôle sans tomber réellement dans la parodie, c’est le tour de force auquel sont parvenus, par leur jeu, fin et touchant (contrairement aux situations), les deux comédiens qui porte cette pièce : Romain Bressy et Georgy Batrikian. D’autres acteurs ne m’auraient sans doute pas fait écrire la même critique. Certes, la gymnastique mériterait peut-être d’être encore affinée, car à la manière d’un funambule, osciller entre le comique et l’émotion est une tâche ardue, mais ce qui distingue le duo d’une fameuse pub de de crédit bancaire au bonhomme vert, c’est que les acteurs sont très sincères dans leur démarche. Presque trop, s’oubliant parfois, me semble-t-il, dans les rôles d’Elvis Presley et de Marilyn Monroe, et non plus dans celui d’acteurs incarnant des sosies.
De Vérone à Las Vegas
Le texte original de Roméo & Juliet in Las Vegas, nous le devons à Rupert Morgan, un auteur bilingue qui situe son histoire dans le Las Vegas des années 70, une époque où la ville est gangrenée par la mafia. On peut difficilement s’empêcher de faire le lien avec Verona Beach, le quartier imaginaire de Los Angeles où Baz Lurhmann transpose l’action de son Roméo + Juliette, en 1996, avec Léonardo DiCaprio dans le rôle titre.
Cependant, la comparaison tourne court. Si l’ambiance du film de Lurhmann, bien que décalée à certains moments, reste assez pesante, Rupert Morgan présente son court récit comme doté « d’un humour british et un peu irrévérencieux ». Rien à voir non plus du coté de la langue. Roméo + Juliette avait été salué par la critique, entre autres, parce que les dialogues reprenaient mot pour mot le texte de Shakespeare, alors que la volonté partagée par Rupert Morgan et par l’adaptation théâtrale de Georgy Batrikian pour Romeo & Juliet in Las Vegas est, au contraire, de miser sur un anglais « pour tous », compréhensible par le plus grand nombre, quel que soit son niveau. C’est donc une pièce intégralement jouée en anglais, une originalité à saluer. C’est d’ailleurs une démarche qui s’inscrit plus largement dans le projet « Acting in english » que coordonne l’actrice et metteur en scène. Un programme qui vise à démocratiser sur les planches… la langue de Shakespeare !
Dans l’immense majorité des cas, les pièces en langue étrangère, au théâtre, sont surtitrées, ce qui pose la question de la traduction et de la dénaturation du texte original, mais c’est un autre débat. Ici, rien de tel, et dès que les projecteurs s’allument, le spectateur est immergé dans une autre langue, avec, selon son niveau, l’impression de tomber à pic dans un précipice. « Where is Brian ? » « Seven O’clock » ; « Begin-began-begun »… pendant un court instant, l’image cauchemardesque de votre professeur d’anglais préféré refait surface. Vous vous mettez à penser à La Leçon, de Ionesco, et vous vous dîtes qu’il va falloir s’accrocher, serrer les dents… avant de vous rendre compte que la pièce a commencé depuis cinq bonnes minutes, et qu’en réalité, vous avez tout compris.
Voilà le pari relevé d’un anglais « pour tous ». Et à la sortie du spectacle, personne ne donnait l’impression d’avoir décroché. Il n’en reste pas moins que le rapport à une langue étrangère est très subjectif. Il est donc difficile de savoir comment les autres spectateurs ont appréhendé l’expérience. Personne ne s’est-il perdu en cours de route ? Les anglophones ne se sont-ils pas sentis lésés par un anglais aussi simple ? On peut imaginer qu’un tri se soit effectué avant la représentation, et que de potentiels spectateurs ne se soient pas déplacés par crainte de ne pas parvenir à suivre la pièce… Et alors, on serait en droit de se demander si ce parti-pris n’a pas l’effet inverse de son ambition. Ce serait dommage, car dans Romeo et Juliet in Las Vegas, l’anglais n’est pas un simple accessoire, ou un détail substituable. Non, il est partie prenante de la mise en scène. C’est une langue travaillée pour s’adresser à un public, comme Elvis et Marilyn décident au début de la représentation de se faire conteur, et de nous embarquer avec eux dans cette histoire. C’est aussi la langue originale de deux stars qui inspirent nos sosies, une langue à s’approprier pour se rapprocher d’eux, au-delà du costume. En résumé, jouer cette pièce intégralement en anglais n’était pas un effet d’annonce, comme on aurait pu le craindre, mais une part importante de la démarche artistique, et cela rend impatient de voir naître d’autres projets du même acabit.
Une visée didactique
Cet anglais « pour tous » donne à la pièce un aspect éducatif qui séduit forcément (mais pas que) l’éducation nationale. En plus des représentations du soir, la troupe à donc aussi joué la journée devant plusieurs classes. Elvis et Marilyn comme profs d’anglais, avouez que l’expérience est tentante ! Cela suffit-il pour considérer ce projet comme du théâtre éducatif (cousin plus ou moins proche du théâtre engagé) ? Si la vision que l’on se fait de l’instruction est celle d’une somme de connaissances à entasser tant bien que mal dans l’espace réduit de sa mémoire, peut-être pas. À la rigueur, ressort-on du Carré 30 avec un refrain d’Elvis en tête. L’expérience reste cependant très riche. En plus de faire découvrir par une porte détournée Shakespeare, Roméo et Juliette, le concept de réécriture et de faire entendre une langue étrangère dans un autre contexte que la rébarbative salle de classe, emmener des collégiens ou des lycéens au Théâtre, c’est faire découvrir un art à bon nombres de jeunes qui n’y aurait peut-être jamais mis les pieds, et pas seulement par manque d’envie. Rappelons que toute expérience artistique est enrichissante pour ceux qui y participent, qu’ils soient d’un coté ou de l’autre de la scène. Quand le rideau rouge se referme, ce sont des esprits qui s’ouvrent.
Musique maestro !
Romeo & Juliet in Las Vegas ne doit pas seulement son succès à ses comédiens et à la mise en scène. Annoncé comme un spectacle musical, la présence sur scène de Ian Kapoudjian apporte à la pièce un atout de taille. Accompagnant en live les comédiens/chanteurs de sa guitare, il est aussi mis à contribution pour les effets sonores, avec un tempo parfait, comme il est de rigueur dans la comédie. Sur des ballades ou des rythmes endiablés, des classiques de Marilyn Monroe et d’Elvis Presley se succèdent avec énergie tout au long du spectacle. La pièce n’est pas pour autant une comédie musicale, car sur moins d’une heure de show, les titres interprétés, tel que « Fever » ou « Can’t Help Falling in Love » sont plus des clins d’œil au texte que l’inverse, mais grâce au trio de musiciens et d’interprètes (saluons au passage la très belle voix de Romain Bressy), les chansons parviennent à emporter l’adhésion du public, qui en aurait bien demandé un peu plus !
Saluons donc cette première mise en scène réussie, avec l’espoir qu’elle puisse se remonter très bientôt. Tous en chœur : Vivaaa Las Vegas !
Romeo & Juliet in Las Vegas, adapté et mis en scène par Georgy Batrikian. Texte original de William Shakespeare et Rupert Morgan.
Retrouvez la programmation du théâtre Carré 30 sur leur site internet : carre30.fr
Apprenez-en plus sur le projet « Acting in English » sur le blog : actinginenglish.canalblog.com